« Une quête de la vérité » : le récit de Garfield
Par Garfield Gini-Newman

Garfield Gini-Newman
Consultant en Éducation
Garlield Gini-Newman est un professeur associé du département du curriculum et de l’enseignement à l’OISE (Université de Toronto). Il explore comment enseigner par l’entremise de questionnement soutenu, tout en nourrissant une compréhension conceptuelle et une réelle compétence. Garfield a travaillé avec des milliers d’enseignant de tous les niveaux et dans tous les sujets, leur permettant de cadrer l’apprentissage autour d’activités engageantes et provocatrices, ainsi que des évaluations riches et authentiques. Actuellement, Garfield œuvre avec des écoles partout au Canada, en Amérique du Sud et en Europe. Dans les deux dernières décennies des demandes professionnelles l’ont mené en Asie, au Moyen-Orient, en Europe, aux Caraïbes et partout en Amérique du Nord. Ses intérêts en apprentissage en en compréhension efficace l’ont mené à activement explorer les défis que représentent l’apprentissage dans une époque numérique. En plus que son travail à l’université de Toronto et de ses ateliers, Garfield a aussi rédigé plusieurs articles, chapitres et 7 manuels et a enseigné aux universités de York et de la Colombie Britannique. Son plus récent ouvrage Creating Thinking Classrooms, écrit avec Roland Case, a reçu des lauriers de la part de pédagogues partout au Canada et à l’international.
Note de rédaction
En tant qu’homme blanc ayant grandi dans l’Ontario rural, j’avais développé un lien avec la terre, bien que de nature occidentale. Ma jeunesse s’est déroulée dans une petite ferme, et mes années de formation dans une petite ville de 700 âmes. J’ai travaillé plusieurs années, tout au début de mon adolescence, dans une ferme du coin. Ces expériences au contact de la terre ont façonné mon rapport personnel avec elle, quoique j’aie davantage été un récolteur qu’un gardien. Au terme de mes années universitaires, je possédais un baccalauréat spécialisé et une maîtrise, les deux en histoire. Ma scolarité de maîtrise m’a permis d’explorer diverses facettes de l’histoire et de jeter un regard critique sur l’ère de la colonisation européenne. Bon nombre de mes lectures dans le programme remettaient en question le discours dominant des explorateurs venus d’Europe à titre de découvreurs héroïques, ce qui m’a amené à reconsidérer ce récit même qui avait jusqu’alors façonné ma compréhension de la manière dont le passé a modelé le présent. Depuis la fin de mes années universitaires, mon travail constant auprès des communautés autochtones, mon incursion dans l’œuvre d’écrivains comme Chimamanda Ngozi Adichie et le fait d’arriver à comprendre les notions de postmodernisme et de postcolonialisme m’ont incité à remettre en question ma perception de notre monde, tel qu’il est devenu. Cela m’a poussé à réfléchir en profondeur au monde tel qu’il peut être, et tel qu’il le devrait.
Un éveil
Le voyage peut élargir les horizons et s’avérer une source très riche en leçons. Il peut aussi être très déstabilisant. Lors d’un récent séjour en Italie, Jeff, qui a été élevé dans la foi catholique et éduqué dans le système scolaire catholique, a réalisé un objectif de toute une vie en visitant le Vatican. Même si la magnificence de la basilique Saint-Pierre l’a impressionné, beaucoup d’œuvres d’art et de nombreux artefacts de la collection du Musée du Vatican l’ont profondément troublé. Alors qu’il faisait la file pour accéder à la place Saint-Pierre, il s’interrogeait : « Pourquoi y a-t-il des obélisques égyptiens sur la place Saint-Pierre? » Cette question tournait en boucle dans sa tête alors qu’il se promenait dans les galeries, où il a contemplé d’innombrables objets issus de cultures du monde entier. « Mais d’où venaient donc tous ces trésors exposés au Musée du Vatican? »
À mesure que Jeff prenait conscience que la vaste collection en grande partie présente dans ce complexe muséal était en réalité composée d’artefacts volés, il s’est senti envahi par un indicible malaise. Alors qu’il parcourait la collection de tableaux inestimables abritée au Vatican, l’interrogation subsistait : « Pourquoi tant de tableaux montrent-ils des scènes de guerre et de violence? » Il remarqua que de nombreuses images, dépeignant des récits bibliques ou des événements marquants dans l’histoire de l’Église, étaient des représentations violentes de conflits et de conversions forcées au catholicisme. Jeff se demandait comment il pourrait parvenir à concilier sa foi catholique avec le fait de savoir que tant de pratiques soutenues dans l’histoire du Vatican ont contribué à des génocides, à la destruction de cultures et au vol d’objets inestimables. Le passé colonial et ses répercussions sur des millions et des millions de personnes dans le monde lui semblaient en totale contradiction avec les enseignements du Christ et de l’Église.
La grandeur que Rome représentait et la vaste collection d’œuvres d’art et d’artefacts historiques lui apparaissaient soudainement embourbées dans un passé qui glorifiait et enrichissait certains au détriment de tant d’autres. L’expérience au Vatican s’est muée en un éveil moral pour Jeff – la prise de conscience qu’autant de choses considérées comme acquises ont été obtenues au prix fort pour autrui. Comment se fait-il que cet aspect de l’histoire n’ait pas été enseigné dans les écoles? Pourquoi l’Église n’a-t-elle pas assumé la responsabilité de ses actes? Et surtout, comment pouvons-nous, chacun et chacune d’entre nous, engager des démarches de réconciliation dans notre vie quotidienne?
Liens pédagogiques
Ma vie en soi et mes activités intellectuelles, amorcées dans une petite ville ontarienne, m’ont entraîné dans un cheminement personnel où la découverte de nouvelles connaissances m’a souvent incité à prendre du recul, à réfléchir et à revoir mes convictions et ma perception du monde.
Le fait d’apprendre doit doter les élèves des outils nécessaires pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et pour concilier leurs expériences vécues avec les défis auxquels ils seront confrontés.
- L’éducation doit être une quête de la vérité mue par l’écoute attentive des récits des autres. Les vérités en émanant peuvent mettre en lumière des actes préjudiciables du passé qui nécessitent d’être reconnus et pris en compte.
- Les salles de classe doivent stimuler la curiosité à propos du passé en vue de bâtir un avenir meilleur.
Cultiver la conscience
Lors de ma première visite à Versailles, dans ma jeune vingtaine, j’ai été stupéfié et impressionné par les immenses jardins, sans compter les innombrables fontaines. Ce que Louis XIV avait réussi à créer était splendide à mes yeux encore novices. Or, j’ai fini par saisir l’énorme coût humain des efforts exigés pour satisfaire la vanité du roi Soleil. Ces somptueux jardins n’étaient pas le fruit de la nature : ils avaient été créés sur des marais infestés de moustiques, lesquels ont causé la mort de milliers de travailleurs, victimes de la malaria.
Au fil du temps, l’opulence de Versailles m’est apparue comme l’incarnation même de la vanité et de l’arrogance de l’esprit occidental. La Révolution scientifique avait fait naître la croyance en l’esprit occidental, à savoir que l’humanité avait à la fois le droit et la faculté d’appliquer l’ingéniosité humaine pour maîtriser et manipuler la nature. Cette arrogance finirait par entraîner des catastrophes du XXe siècle, comme le naufrage du Titanic, censé être insubmersible, et un siècle de guerres dévastatrices après la guerre qui devait « mettre fin à toutes les guerres ».
Ma perception de Versailles s’est radicalement transformée après avoir vu une image simple et marquante qui comparait une communauté autochtone du XVIIe siècle à une première colonie européenne dans ce qui est aujourd’hui la Virginie. Il s’en dégageait un contraste saisissant entre les relations des Autochtones et des Européens avec la terre. Les Autochtones se voyaient comme des protecteurs de la terre, bénéficiant des dons de la nature, tandis que les Européens s’imaginaient capables de dominer la terre, de la maîtriser, de la manipuler. Ils s’appropriaient ce qu’ils voulaient. Les premières colonies européennes sur l’île de la Tortue s’apparentaient à Versailles à une plus petite échelle. Tout comme Louis XIV avait fait assécher des marais, dériver un cours d’eau et créer des jardins parfaitement entretenus pour refléter sa domination sur la nature, les colons, eux, ont tenté de défricher la terre, de clôturer ce qu’ils voulaient asservir et de modifier le paysage dans le but de modeler l’environnement selon leurs besoins et leurs envies.
Mon parcours vers un mode de vie respectueux et harmonieux avec la terre se poursuit, et j’ai encore beaucoup à apprendre. Alors que j’écris ces mots, je me rends compte que les 1 400 bulbes de tulipe que je viens de finir de planter dans les jardins aménagés sur notre propriété sont tous importés d’Europe. De plus, je constate que nous nous efforçons de conserver une pelouse soigneusement entretenue plutôt que de laisser place à un espace vert naturel. Je cherche pourtant à réintroduire des espèces d’arbres indigènes sur la propriété, en modifiant certaines pratiques de jardinage pour compter davantage sur les ressources de la nature afin d’enrichir le sol. Cette année, nos extérieurs arboreront des décorations festives pour célébrer les dons de la Terre mère. Pour cela, nous utiliserons des branchages provenant de nos cèdres, sapins de Douglas, pins, sumacs et cornouillers à tiges rouges.
Liens pédagogiques
Éduquer, c’est former l’esprit, pas empiler des connaissances. Lorsque nous axons l’apprentissage sur l’investigation critique, nous élargissons les horizons et invitons les élèves à considérer différentes perspectives et à accepter que des croyances et des perceptions puissent être remises en question. Quand il est animé par l’esprit d’investigation, l’apprentissage devient la quête de toute une vie.
- Les apprenants doivent reconnaître la valeur à la fois des cultures occidentales et autochtones au quotidien.
- La vie est le moteur de l’apprentissage – le programme d’études est un outil qui peut contribuer à enrichir notre existence.
- Le programme d’études doit être sondé et équilibré : il n’y a pas qu’une version de l’histoire à transmettre aux élèves.