Citez

L’etuaptmumk sous l’angle de la réconciliation

Par Dre Carmen Rodriguez de France

Carmen Rodriguez de France

Consultante en éducation

En tant qu’immigrante d’origine autochtone de la nation Kickapoo, Carmen reconnaît le privilège et la responsabilité qu’elle a de vivre et de travailler sur les terres des nations Songhees et Esquimalt, ainsi que sur les terres des peuples W̱SÁNEĆ et lək̓ʷəŋən en Colombie-Britannique. Son travail se situe toujours à l’intersection de la justice sociale, de la science de l’enseignement et de l’apprentissage, et des expériences des enseignants en service et en formation. Elle anime actuellement des cours sur les visions du monde indigènes, les épistémologies et l’éducation au département d’éducation indigène de l’Université de Victoria. Ses recherches sont toujours motivées par son propre intérêt à être une apprenante permanente et à promouvoir la diversité et la justice sociale.

En tant qu’ancienne enseignante au Mexique, Carmen comprend l’importance de développer et d’explorer des approches de l’enseignement et de l’apprentissage comme outil pour faire progresser la pensée critique. Grâce à sa participation à diverses initiatives communautaires dans des écoles, des centres de loisirs, des galeries d’art, des bibliothèques et d’autres espaces d’apprentissage, son travail vise à sensibiliser les gens afin qu’ils comprennent et apprécient mieux les histoires et les récits des peuples autochtones du Canada et d’autres parties du monde, et qu’ils en tirent des enseignements. Elle s’est engagée à renforcer les collaborations entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada afin de créer un meilleur avenir commun.

Je suis un peu « à l’ancienne ». Même si les chaussures à fermeture Velcro existent depuis longtemps, je préfère encore lacer mes chaussures de sport. Si, comme moi, vous préférez les lacets, vous savez sans doute que vous devez aligner les deux extrémités pour qu’elles aient la même longueur, puis les tenir fermement et les tirer pour faire un nœud ou une boucle.

Quand je songe à l’application au quotidien des savoirs occidentaux et autochtones, j’aime bien voir dans les lacets une métaphore de ces modes de pensée. Pour cheminer vers la réconciliation, nous devons développer des modes de pensée et d’action qui valorisent les forces propres aux deux types de savoirs.

Prenons comme point de départ notre vie de tous les jours. Considérons la manière dont nous utilisons la technologie pour apprendre des langues autochtones, au moyen d’une application par exemple; pensons à certains médicaments en vente libre auxquels nous recourons pour soulager nos douleurs ou encore aux vertus de certains thés ou aliments que nous pouvons utiliser pour recouvrer notre bien-être. Peut-être vous demandez-vous comment intégrer ces façons d’être en classe et utiliser en tandem ces deux types de savoirs en misant sur leurs forces respectives? Je présenterai quelques exemples adaptés à différents groupes d’âge même s’il convient de se rappeler que tous, peu importe l’âge, aiment apprendre en faisant des activités amusantes et interactives.

Dans une classe de jeunes élèves, je présenterais en premier lieu le concept d’etuaptmumk au moyen d’une représentation visuelle (voir les images ci-dessous), puis je donnerais des exemples. J’inviterais les élèves à penser à l’utilisation de leurs deux mains au quotidien. Je les inciterais à considérer toutes les choses que leurs deux mains leur permettent de faire, comme lacer leurs chaussures, prendre leur déjeuner, etc. Je ferais comprendre que certaines personnes sont droitières, d’autres sont gauchères, et qu’il arrive même que l’on privilégie une main plutôt qu’une autre selon la tâche à effectuer. Mais, tout compte fait, les deux mains aident à bien faire les choses. Nous pourrions également nous arrêter, entre autres exemples, à l’utilisation de nos mains pour tenir le couteau et la fourchette ou encore à l’utilité de nos pieds pour maintenir l’équilibre.

Il faut faire preuve de prudence lorsque l’on parle de corps « capables » (sans incapacité ou handicap) et inclure divers exemples de la manière dont un corps fonctionne pour aider à atteindre des objectifs. Les enfants, dans leur sagesse, sauront nous surprendre en nous offrant d’autres exemples. Ainsi, ils pourraient affirmer que les objets mécaniques sont aussi utiles que les objets trouvés dans la nature ou qu’un filet en plastique peut aussi bien servir qu’un autre en corde de cèdre. Pour se déplacer, on peut utiliser ses jambes, mais aussi un fauteuil roulant ou une trottinette.

Photo d’une personne en train de nouer les lacets roses de ses chaussures noires et blanches. Elle attache sa chaussure gauche et sa chaussure droite n’est pas attachée.
Illustration de deux pièces de casse-tête, l’une bleue et l’autre verte, s’emboîtant l’une dans l’autre. Chaque pièce porte un œil. Tiré de Integrative Science.
Photo d’une personne utilisant un couteau et une fourchette pour couper son dîner (viande, légumes, fruits) sur une assiette blanche.

Après avoir examiné ces analogies, nous pourrions évoquer les façons d’apprendre et les manières d’être des Autochtones et des non-Autochtones. Beaucoup d’entre nous connaissent des fêtes célébrées dans différentes parties du monde, et nous pouvons certes y faire référence à certaines périodes de l’année. Les danses traditionnelles des Matachines du Mexique et d’autres pays d’Amérique latine en sont un bon exemple. Le syncrétisme affiché dans ces danses et cérémonies reflète une fusion de la religion occidentale et des croyances spirituelles autochtones. Voici une vidéo qui donne un aperçu de ces danses exécutées lors d’un pèlerinage.

La façon dont on utilise la « connaissance du ciel » pour se repérer, se guider et naviguer dans les eaux est un autre bel exemple de la richesse des savoirs autochtones et occidentaux. Dans son ouvrage intitulé Pour ne pas disparaître – Pourquoi nous avons besoin de la sagesse, l’anthropologue Wade Davis nous invite à réfléchir aux relations entre les modes de pensée des Occidentaux et des Autochtones dans différents domaines du savoir humain (plantes, géographie, etc.) qui convergent vers l’apprentissage de la vie. Comme le livre et les vidéos de Wade Davis emploient un vocabulaire et des concepts plus spécialisés, il conviendrait de les présenter à des élèves plus âgés. Cependant, certains de ces concepts peuvent être abordés auprès d’élèves plus jeunes grâce à un livre écrit par Alootook Ipellie, intitulé Innovations inuites, il fallait y penser. Le bédéiste et illustrateur inuit y décrit de nombreuses inventions ingénieuses des Inuits au fil du temps pour vivre et survivre dans l’Arctique, à l’origine d’idées contemporaines, appréciées dans diverses cultures.

Outre ces exemples, nous pouvons aborder la musique, sa beauté, sa richesse, en présentant le ténor malécite et compositeur, Jeremy Dutcher. Celui qui a touché le cœur de nombre d’auditeurs reprend des enregistrements de chants traditionnels de la Première Nation Wolastoqiyik trouvés dans les archives du Musée canadien de l’histoire. Sa démarche artistique intègre des enregistrements originaux à des compositions contemporaines alliant piano, guitare et autres instruments occidentaux. Parmi les autres artistes autochtones possédant une formation lyrique, citons la mezzo-soprano Marion Newman, qui s’est produite dans Missing, un opéra qui raconte l’histoire des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées du Canada et les épreuves endurées par leurs familles. Bien que ce sujet délicat puisse être difficile à aborder, la musique aide à ouvrir la porte à la présentation d’épisodes historiques à un public plus âgé. L’opéra est chanté en stó:lō et en anglais.

J’aimerais mettre en avant un dernier exemple (même s’il y en a beaucoup d’autres), soit l’appréciation de la valeur du sport et de l’activité physique selon deux points de vue : occidental et autochtone. Pensons à la gymnastique. Cette discipline sportive millénaire, toujours populaire de nos jours, est aussi un sport de compétition internationale. Elle a modelé le corps selon une image occidentale; les femmes sont jugées « parfaites » si elles répondent aux canons esthétiques de taille, de poids et d’apparence définis par cette discipline. Cette situation est en train de changer. À preuve, de nombreux sports considérés comme étant traditionnellement « occidentaux » commencent à intégrer certains principes autochtones. Le savoir traditionnel acquis par les athlètes autochtones est désormais reconnu, car il peut soutenir la quête d’harmonie et de compréhension qui honore chacun et chacune d’entre nous et nous valorise en tant qu’êtres humains. En reconnaissant la beauté et les forces des visions autochtones et occidentales, non seulement nous prenons acte des principes sur lesquels repose l’etuaptmumk, mais aussi, et c’est tout aussi important, nous soutenons l’œuvre d’une vie de l’aîné Albert Marshall. Celui-ci résume ainsi sa vision et ses aspirations : [Traduction] Etuaptmumk, l’approche à double perspective, prône résolument la compréhension et l’utilisation respectueuse des savoirs autochtones et non autochtones pour construire des lendemains meilleurs. Le passé nous influence et nos actions menées au présent ou nos inactions ont une incidence sur la jeunesse (les sept générations futures).

Pour de renseignements additionnels, voir L’etuaptmumk, l’approche à double perspective.