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Pleins feux sur un crime national: Déclaration de Moments déterminants Canada

le 14 juin 2021

Par Crystal Fraser, Ph.D.

Crystal Gail Fraser, Ph.D., est une érudite gwichyà gwich’in et une historienne-conseil auprès de Defining Moments Canada/Moments déterminants Canada. Elle est actuellement professeure adjointe en histoire et lettres classiques à la faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta.

Depuis que la communauté de Tk̓emlúps te Secwépemc a annoncé la découverte des restes de 215 enfants du pensionnat autochtone de Kamloops, nous avons réfléchi à l’histoire profondément troublante de l’État colonisateur canadien. En tant qu’organisme et équipe, Defining Moments Canada/Moments déterminants Canada a également pris le temps de mieux comprendre la question de la complicité et la perpétuation des structures colonialistes. Nous sommes résolus à lutter contre les structures de la suprématie blanche, du racisme, de la violence et de l’inégalité sous toutes ses formes, et à les démanteler par l’action. 

Il y a plus d’un siècle, en sa qualité de médecin hygiéniste en chef du ministère fédéral des Affaires indiennes (MAI), le Dr Peter Henderson Bryce avait fait œuvre de pionnier en enquêtant sur les conditions subies dans 35 pensionnats autochtones au Canada pour le compte du gouvernement. Le médecin avait alors constaté un taux de mortalité très élevé chez les enfants autochtones placés en institution dans ces « écoles », principalement à cause de la tuberculose. Il avait attribué le lourd bilan des maladies et des décès à la mauvaise ventilation et à l’insalubrité à l’intérieur des établissements, ainsi qu’à la surpopulation d’enfants autochtones. Celle-ci s’expliquait en grande partie par la pression exercée pour respecter les quotas de fréquentation afin que les églises puissent bénéficier d’un plein financement du gouvernement fédéral. Le Dr Bryce avait fait part de ces atrocités au MAI, aux députés et aux églises chrétiennes dès 1907 dans ce qui est communément appelé le « Rapport Bryce ».

Bien que les conclusions détaillées de ce rapport aient attiré l’attention à l’échelle nationale à l’époque, le MAI et les organisations religieuses n’avaient alors rien fait pour améliorer les conditions de vie des milliers d’enfants autochtones internés dans ces espaces carcéraux. Les conclusions du Dr Bryce avaient mis au jour sans détour le mépris génocidaire du gouvernement fédéral de même que la réaction de Duncan Campbell Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes. Scott et John A. Macdonald devraient être largement reconnus comme les architectes du génocide par l’intermédiaire du système des pensionnats autochtones au Canada.

En 1922, après avoir été forcé de prendre sa retraite par le MAI, Bryce a publié à compte d’auteur The Story of a National Crime: An Appeal for Justice to the Indians of Canada (L’histoire d’un crime national : un appel à la justice pour les Indiens du Canada). Il y soulignait une fois de plus les conditions horribles des pensionnats et le danger auquel étaient exposés les enfants autochtones qui y étaient placés. Là encore, ni le gouvernement fédéral ni les églises ne sont intervenus pour remédier à la situation. Au cours des 74 années qui ont suivi, des dizaines de milliers d’enfants autochtones ont été placés en institution et ont vécu dans des conditions dangereuses. Trop d’entre eux ont perdu la vie à cause de la négligence de politiciens et de bureaucrates fédéraux, des administrateurs et des autorités officielles de l’Église, d’enseignants et de superviseurs. De nombreux décès auraient pu être évités si l’on avait écouté Bryce, devenu un héros de l’histoire canadienne pour avoir été le premier à sonner l’alarme il y a plus d’un siècle. 

L’élan de soutien et de solidarité ainsi que le déferlement de ressources de la part des Canadiens et Canadiennes, de différents organismes et des gouvernements nous touchent, et nous les apprécions. Nous n’ignorons pas que l’heure est encore au recueillement en cette période de deuil profond. Pour les peuples autochtones dont l’histoire est reliée à Kamloops, la perte de proches – des enfants – est tragique, d’autant plus qu’une telle perte était tout à fait évitable. Il nous faut toutefois prendre conscience que témoigner son appui ne suffit pas. Il est urgent de passer à l’action. Au fur et à mesure que des enquêtes similaires commenceront ou se poursuivront sur d’autres sites de pensionnats autochtones, les Canadiens et Canadiennes seront sans aucun doute confrontés à la révélation d’autres tragédies de même nature. Un travail constant et difficile, mais immensément important, nous attend. Notre réponse à la situation marquera un moment déterminant pour notre pays.

D’abord et avant tout, nous devons soutenir les communautés autochtones pendant leur période de deuil, en particulier la communauté de Tk̓emlúps te Secwépemc. Comment apporter un soutien? Des ressources et moyens sont proposés ici. L’important travail de la Commission de vérité et réconciliation du Canada doit continuer, et nous encourageons tout le monde à se mobiliser pour cette cause. À ce jour, seuls 12 des 94 appels à l’action se sont concrétisés. Les appels à l’action 71 à 76 revêtent une importance particulière, car ils décrivent les efforts à déployer en ce qui a trait aux enfants disparus et aux tombes anonymes. Nous vous exhortons à écrire à vos représentants élus et à la direction de différentes organisations pour mieux comprendre leurs efforts et leurs engagements, et exprimer ce que vous faites et ressentez. Enfin, en tant qu’organisme à vocation éducative dans le domaine de l’histoire, Defining Moments Canada/Moments déterminants Canada est d’avis que la meilleure façon de lutter contre la violence coloniale afin de créer un Canada juste et équitable, où tous et toutes peuvent s’épanouir, est de mieux comprendre le passé. Nous demandons à tous les établissements d’enseignement postsecondaires de financer et de soutenir les activités de recherche sur ce chapitre de l’histoire. 

Si vous ressentez de la douleur, vous n’êtes pas seul, pas seule. Osez en parler dans votre communauté. La ligne d’écoute téléphonique sur les pensionnats autochtones est accessible 24 heures sur 24 pour toute personne éprouvée ou en détresse à cause de l’expérience vécue dans un pensionnat. Prière de composer le 1-866-925-4419.