20 choses à garder à l’esprit lors de la consultation d’une carte
Par Ethan Small
Ces conseils sont inspirés et adaptés du livre de Mark Monmonier:
Comment faire mentir les cartes
Un glossaire figure à la fin de cette page.
1. Toute carte a une raison d’être, et chacune est conçue dans un but précis
Demandez-vous : pourquoi cette carte existe-t-elle? Servirait-elle à vous persuader du bien-fondé de quelque chose? Vise-t-elle à vous guider? Sert-elle de décoration murale ou rehausse-t-elle simplement une présentation?
2. Les cartes doivent déformer la réalité
Pour être utile, une carte déforme la réalité en omettant certains détails pour mettre en avant les éléments d’information les plus importants. Il est même essentiel qu’elle le fasse. Une carte n’est pas une représentation objective de la réalité, mais reflète les partis pris et les priorités de la personne qui l’a réalisée.
3. On se fie aux cartes
Les personnes qui utilisent des cartes ont tendance à y faire trop confiance, présumant qu’elles ont été créées par des professionnels ou des experts agissant en toute impartialité, sans aucune intention de tromper. Or, même les cartes peuvent contenir des erreurs, intentionnelles ou non, tout comme les livres, les discours ou toute autre forme de communication.
4. Le choix de la projection importe
Nous vivons sur une planète ronde. La courbure de la Terre fait en sorte qu’il est difficile de la représenter sur une surface plane, bidimensionnelle, comme une carte sans une distorsion des distances. Le choix de la projection ne pose pas trop de problèmes lorsque la taille de la zone cartographiée est petite (comme une ville). C’est une tout autre histoire lorsque la zone cartographiée est vaste (les continents ou la Terre entière)!
5. L’échelle de représentation est un élément de manipulation du réel
Sauf exception, les cartes sont généralement un modèle réduit de la réalité. Les cartographes doivent transposer les espaces géographiques à une échelle beaucoup plus petite. Vérifiez si la carte que vous consultez comporte une échelle et si elle est utilisée de façon cohérente. Certaines cartes numériques permettent de faire un gros plan ou un zoom arrière en modifiant l’échelle.
6. La symbolisation s’avère un choix subjectif
Les cartes utilisent des symboles pour représenter certaines caractéristiques ou pour transmettre des éléments d’information particuliers. Les codes et les légendes qu’elles comportent peuvent aider à expliquer ces symboles. Toutefois, ceux-ci peuvent être trompeurs. Non seulement les conventions relatives aux symboles et à la cartographie varient-elles selon les cultures, mais un même symbole peut représenter différentes choses d’une culture à l’autre.
7. Les couleurs peuvent induire en erreur
Demandez-vous pour quelles raisons les concepteurs de cartes utilisent les couleurs et de quelles façons. En sélectionnant certaines couleurs, les cartographes peuvent, intentionnellement ou non, diffuser des messages au sujet des éléments représentés.
8. Le codage des couleurs peut être déroutant
Si les couleurs contribuent à rendre les cartes plus lisibles et plus attrayantes, elles ne sont d’aucune utilité pour les personnes atteintes de daltonisme. De plus, une mauvaise utilisation des couleurs peut gâcher la présentation des cartes.
9. La simplification vise la clarté
Les cartes à grande échelle doivent généralement omettre certains détails, menus, pour éviter la surcharge informationnelle. Parfois, les frontières et les formes représentant un territoire sont retouchées, simplifiées, aplanies ou fusionnées par souci de simplicité et de clarté.
10. Ce qui importe aux publicitaires, c’est la bonne image
Les publicitaires s’attachent davantage à la bonne présentation de leur produit qu’à l’exactitude des renseignements. Faites donc preuve de prudence lorsque des cartes tentent de vous vendre quelque chose. Une compagnie de transport exploitant une autoroute à péage peut modifier à dessein une carte en rapprochant des points, en omettant certains détails géographiques, en rétrécissant ou en étirant le territoire dans le seul but de donner à son itinéraire une image plus flatteuse que celui de ses concurrents.
11. Les cartes forcent parfois la reconnaissance de la légitimité
Les cartes peuvent se révéler un objet politique. La représentation sur une carte d’un territoire avec ses particularités et ses frontières peut lui conférer (ainsi qu’aux têtes dirigeantes) une légitimité politique et une certaine importance. Les gouvernements, les entreprises et les particuliers peuvent chercher à légitimer leurs causes simplement en plaçant les éléments d’information de leur choix sur une carte d’apparence officielle. Les propagandistes modifient les cartes de plusieurs façons pour promouvoir leur idéologie.
12. Le choix de la taille peut trahir une volonté de manipuler
Les cartographes peuvent choisir de redimensionner les territoires pour les faire paraître plus grands ou plus petits, exagérer ou minimiser leur importance, mettre en relief ou atténuer leur caractère menaçant ou leur puissance. Les concepteurs peuvent également modifier les frontières d’un pays pour y inclure un territoire contesté.
13. Les cartes ont tendance à affirmer la culture dominante
Les cartographes peuvent faire prévaloir une culture sur d’autres en traduisant les noms des lieux ou en utilisant la toponymie préférée d’une culture tout en excluant les noms utilisés par d’autres.
14. Les cartes peuvent dissimuler les secrets du gouvernement
Les gouvernements peuvent publier des cartes contenant de fausses informations pour dérouter leurs ennemis et les étrangers, voire présenter à leurs compatriotes ces cartes en prétendant qu’elles sont officielles et fiables. Bien souvent, les cartes dressées par les gouvernements cachent ou excluent les bases militaires, les installations d’armes, les risques pour l’environnement et d’autres éléments susceptibles d’être peu attrayants ou politiquement incendiaires, même si l’existence ou la localisation de ces éléments est un secret de Polichinelle dans une région donnée. Les cartes gouvernementales ne sont pas impartiales : elles revêtent une connotation idéologique et politique.
15. Les normes cartographiques dictent le contenu
Les cartographes peuvent faire partie de comités. Leur travail est souvent réglementé par le gouvernement ou assujetti à des normes cartographiques fixées par leur comité d’appartenance. Outre leur spécificité culturelle, ces normes sont dictées par les intérêts du pays, de la région, de la société et de l’institution qui les crée. Dans bien des endroits, ce sont les intérêts économiques et militaires qui prévalent, de sorte que ce sont les éléments pertinents à ces domaines qui seront mis en avant.
16. Les cartes ne sont pas exemptes d’erreurs
Parmi les erreurs les plus fréquentes, mentionnons les mots mal orthographiés, les rues initialement prévues, mais qui n’ont jamais vu le jour, et les frontières mal dessinées. Il arrive que des cartes comportent des erreurs parce que les cartographes ont escamoté les points jugés secondaires ou n’ont pas fait un bon travail, faute d’argent ou de ressources. Et il arrive aussi que des cartes recèlent des erreurs volontaires pour duper qui les consulte.
17. Les cartes doivent être actualisées
Les cartes peuvent être incorrectes tout simplement parce qu’elles n’ont pas été mises à jour ou parce qu’elles s’appuient sur des données compilées à partir d’autres cartes créées à différents moments. Certaines cartes, comme les météorologiques, doivent être mises à jour quotidiennement. Les cartes dérivées, qui s’appuient sur d’autres cartes, sont plus susceptibles de contenir des erreurs que celles produites autrement. Non seulement le transfert des données s’accompagne-t-il d’erreurs, mais les nouvelles cartes reprennent toutes les fautes contenues dans les originales utilisées pour les compiler.
18. L’agrégation aréale peut être une technique manipulatrice
Le même ensemble de données peut être réutilisé pour produire différentes cartes qui représentent différentes réalités. On entend par « agrégation aréale » la façon dont le territoire est divisé en entités spatiales distinctes. Cette approche peut modifier notre perception ou amener à extrapoler des tendances observées sur une carte. Elle peut servir à manipuler les données pour amplifier une tendance. Les cartographes peuvent vouloir dégager une tendance particulière et sélectionner les données qui feront valoir leur perspective.
19. Les cartes numériques ne disent pas tout
Il est devenu aisé de produire des cartes à partir de logiciels de cartographie sur ordinateur et de les intégrer à des présentations multimédias (images, sons, animations). Aussi la vigilance est-elle de mise, en particulier si la personne qui présente la carte numérique tente de vendre une idéologie, un projet ou un article.
20. Une carte peut simplement servir de décoration
Une carte n’est pas toujours créée et utilisée pour transmettre de l’information. Elle peut servir à décorer, à épater la galerie ou à asseoir la légitimité de quelque chose, et ce, sans que cela soit mauvais en soi. De telles cartes peuvent être précises et utiles, mais quand même servir à des fins ornementales. N’oublions surtout pas que les cartes créées comme des pièces décoratives peuvent être trompeuses ou sacrifier la précision au tape-à-l’œil.
Glossaire
Agrégation aréale : Approche choisie en cartographie où des objets distincts sont combinés (p. ex. un groupe d’arbres perçus comme une forêt). Comme une telle approche fait ressortir différemment le contenu, les cartographes veillent à diviser un territoire pour afficher les éléments d’information qui leur importent.
Cartographe : Personne qui dresse et dessine les cartes géographiques.
Échelle : Suite de données décrivant la relation entre la distance sur une carte physique et la distance dans l’espace représenté par cette carte. Essentiellement, l’échelle indique combien de fois un lieu est plus grand (ou, dans de rares cas, plus petit) par rapport à sa représentation dans une carte. De nombreuses cartes indiquent leur échelle sous forme de rapport (1:1000) ou de fraction (1/1000). Ces différences ne sont que stylistiques dans le contexte d’une carte.
Élément d’information : Symbole, pictogramme, lieu ou marqueur sur une carte.
Légende : Tableau ou encadré expliquant la signification des symboles, des pictogrammes et des couleurs utilisés sur une carte
Légitimité : Justification de l’existence, de la promotion ou de la célébration d’un fait, d’un événement, etc. Celui-ci doit être largement considéré comme étant réel et significatif pour que l’on en consacre la légitimité.
Projection : Transfert de coordonnées 3D sur une surface plane 2D (bidimensionnelle), comme une carte. Différentes projections peuvent être réalisées en 2D à partir d’une même zone 3D, et les cartographes doivent choisir la meilleure façon d’adapter un espace 3D à l’objectif de leur carte.
Propagande : Diffusion d’information, notamment médiatique, dans le but d’influencer ou de promouvoir des idées, généralement des doctrines ou idéologies politiques. Il s’agit généralement de renseignements nuisibles, faux ou partiellement vrais.
Symbole : Image ou marque simple utilisée comme substitut d’une notion ou d’un élément plus complexe. Sur les cartes, les symboles sont habituellement intuitifs – par exemple, un pont dessiné dénote généralement la présence d’un pont. Toutefois, certains symboles peuvent avoir une signification différente selon les cultures. Les cartographes peuvent utiliser des symboles qui ne sont pas intuitifs. Une légende doit être ajoutée, dans la mesure du possible, pour expliquer les symboles sur une carte.
Territoire contesté : Terre qui fait l’objet d’un litige. Si plusieurs pays, provinces, gouvernements, etc., revendiquent une parcelle de terre, celle-ci peut être considérée comme un « territoire contesté ».
Suggestions de lectures
Sur les projections :
Briney, Amanda. « A Look at the Mercator Projection », 13 janvier 2014 (consulté en septembre 2022).
www.gislounge.com/look-mercator-projection/
Dempsey, Caitlin. « What is a Map Projection? », 27 décembre 2002 (consulté en septembre 2022).
www.gislounge.com/map-projection/
Sur la propagande :
Cornell University – PJ Mode Collection of Persuasive Cartography (consulté en septembre 2022).
persuasivemaps.library.cornell.edu/copyright/
McGhee, Geoff. « How to Make Maps and Influence People », 22 octobre 2015 (consulté en septembre 2022).
www.nationalgeographic.com/science/article/151022-data-points-how-make-maps-influence-people
Sur les noms de lieux autochtones :
Gouvernement du Canada. « Noms de lieux autochtones » (consulté en septembre 2022).
ressources-naturelles.canada.ca/sciences-de-la-terre/geographie/noms-de-lieux-autochtones/19740
Leonard, Kelsey. « Putting Indigenous Place-Names and Languages Back on Maps », hiver 2011 (consulté en septembre 2022).
www.esri.com/about/newsroom/arcnews/putting-indigenous-place-names-and-languages-back-on-maps/