Willard Boyle : au-delà de la science
De Howard Akler
Si Willard Boyle nous a aidé à sonder le futur, sa personnalité est profondément ancrée dans un passé pastoral.
Boyle naît en 1924, à Amherst, en Nouvelle-Écosse et ses parents déménagent la famille à Sanmaur, un camp d’exploitation forestière dans le grand nord du Québec alors qu’il n’a que trois ans. Son père est médecin et sa mère, infirmière. Les conditions de la vie y sont dures, le froid mordant et les nuits longues et sombres. Ils n’ont ni électricité ni eau courante. Le véhicule familial est un traîneau à chiens. Comme l’école la plus près se trouve à plus de 48 kilomètres de la maison, Bernice Boyle décide de faire l’école du jeune Bill à la maison. Elle lui apprend tout ce qu’elle sait et le garçon se révèle être un élève assidu et investi dans toutes ses lectures.
Bill garde, dans les dernières années de sa vie, des souvenirs très vifs des deux livres qui ont le plus marqué sa jeunesse : La science pour le citoyen et Les mathématiques pour les masses (traduction libre de Sciences for the Citizens et Mathematics for the Millions), deux ouvrages de Lancelot Hogben. Bill se rappelle avoir été fasciné d’apprendre que les peuples de l’Égypte antique avaient développé une forme rudimentaire de calcul intégral pour l’agriculture. Sa curiosité le pousse non seulement vers la mécanique et, mais aussi la physique. En tant que chercheur en herbe, il comprend comment produire des éclairs de lumière très vive en attachant des fils à une pièce de molybdénite, un minéral brillant. Épaté par sa découverte, il en parle à ses seuls amis, des bûcherons de sa petite municipalité.

Bernice voit bien que son fils va bientôt avoir besoin d’une éducation plus poussée que celle qu’elle a à lui offrir. Sa curiosité exige des enseignants professionnels et des pairs avec qui échanger. C’est pourquoi ses parents envoient Bill, alors âgé de 14 ans, étudier au Lower Canada College de Montréal. Malgré le contraste frappant de son éducation plutôt rustique et celle des institutions privées de ses camarades, il s’ajuste bien à son nouvel environnement. Il se réalise pleinement au collège. Il devient capitaine d’équipes sportives. Il excelle dans ses résultats académiques, succès qui se poursuit à l’université McGill. Il doit cependant interrompre ses études pour apprendre à faire atterrir des chasseurs Spitfire sur des porte-avions pendant la Deuxième guerre mondiale.
Les années qui suivent la guerre sont vitales pour Bill : il épouse Betty Joyce en 1946, devient père de 2 de ses quatre enfants et termine son doctorat en physique en 1950. En 1953, il déménage au New Jersey pour aller travailler à Bell Labs, la célèbre division de recherche et de développement d’AT&T, le géant des télécommunications.
Bill trouve sa place dans l’atmosphère de créativité et d’ouverture d’esprit qui règne à Bell Labs. Il clame que c’est la plus belle chose qui lui soit jamais arrivée. « Vous savez, c’était génial d’y travailler, raconte-t-il au quotidien Toronto Star des années plus tard. J’avais accès à un laboratoire complet avec le droit d’y concevoir tout ce dont j’avais envie, peu importe les ressources requises. Nous nous trouvions à la fine pointe de la technologie. »
Cette fine pointe, c’est le dispositif à transfert de charges (CCD). En 1969, lorsque Bill et George Smith, son collègue physicien, conçoivent le dispositif, un composant de l’imagerie numérique, ils déclenchent la révolution numérique.
Bill prend sa retraite en 1979 à l’âge de 55 ans. Betty et lui reviennent au pays et s’installent à Wallace, en Nouvelle-Écosse. Il ne perd rien de sa curiosité. Or il délaisse le domaine des sciences pour explorer celui des arts. Betty se plonge dans la peinture de paysages abstraits et Bill, dans la photographie numérique. Ensemble, ils contribuent à fonder Fraser, une galerie d’art communautaire située à proximité, à Tatamagouche.
La plupart des habitants de Wallace ignore tout des prouesses scientifiques de Bill jusqu’en 2009; il reçoit le prix Nobel et des hordes de journalistes et d’équipes de tournage envahissent le petit village de pêche. Les acclamations se poursuivent jusqu’à son décès en 2011, à l’âge de 86 ans. Dans sa rubrique nécrologique, le New York Times le salue comme le « père de l’œil numérique ».
Le jeune garçon qui a jadis grandi parmi les bûcherons est devenu un physicien récipiendaire d’un prix Nobel qui a aidé à changer le monde.