Citez

Michael Smith — l’homme derrière le prix

De Howard Akler

Michael Smith est né en 1932 à Blackpool, un petit village de bord de mer de la côte nord-ouest de l’Angleterre. Ses parents sont issus de la classe ouvrière. Rowland, son père, est jardinier-maraîcher et spécialiste des chrysanthèmes. Mary Agnes, sa mère, tient une pension. Elle se rend à l’église chaque semaine et envoie le jeune Michael au cours de catéchisme du dimanche. Il se remémore sa jeunesse en clamant que « le seul prix jamais obtenu à l’école du dimanche est celui d’avoir fait acte de présence, puisque je présume que mon penchant athéiste, qui s’est pleinement développé lorsque j’ai quitté le nid familial pour aller à l’université, était déjà bien évident à cette époque, même dans son état latent. »

Mike, de son surnom, a grandi dans l’ombre de la Deuxième guerre mondiale. Les avions allemands bombardaient régulièrement des cibles autour de Manchester, non loin de chez lui. Une nuit, alors que Mike est seul avec son petit frère Robin, une sortie offensive tente de détruire une usine derrière leur maison. Il se rappelle comment les bombes ont explosé de part et d’autre de chez lui. 

Et voilà qu’une autre « bombe », dont l’impact social est significatif, touche terre en 1944; il s’agit d’une réforme majeure du système d’éducation régressif de l’Angleterre. Jusqu’à cette date, l’école intermédiaire est principalement fréquentée par les jeunes de la classe supérieure puisque les enfants des familles pauvres délaissaient souvent les études au début de l’adolescence pour aller travailler et soutenir leur famille. La réforme instaure des lois encadrant le travail des enfants et fixe à 15 ans l’âge à compter duquel les jeunes peuvent mettre fin à leurs études. Enfin, la réforme met en place des programmes de bourse pour les étudiants moins bien nantis. Mike va grandement profiter de cette nouvelle réglementation. 

Il fréquente l’école Arnold, au nord-ouest de Manchester, et y effectue un parcours scolaire banal. Mike est un adolescent timide et la protrusion dentaire dont il est affublé fait de lui la cible constante des moqueries de ses camarades de classe. Le dentiste que ses parents consultent recommande d’inscrire le jeune dans les Scouts afin de l’aider à bâtir son estime et sa confiance en lui. Il découvre ainsi une grande appréciation pour le plein air, les randonnées et le camping.  

Malgré un parcours académique moyen où il cumule les B, Mike termine, en 1956, son doctorat en chimie à l’Université de Manchester. Sa passion pour le plein air l’amène à l’Université de la Colombie-Britannique où il se joint à l’équipe du laboratoire menée par Har Gobind Khorana, un jeune biochimiste à la carrière prometteuse. Khorana, qui allait également se mériter un prix Nobel (prix de physiologie en 1968), se spécialise dans la recherche sur les acides nucléiques, ces grandes molécules qui permettent de déterminer les caractéristiques héréditaires de tout organisme vivant. Parmi les acides nucléiques les plus connus, on compte notamment l’acide désoxyribonucléique (ADN) qui contient la formule qui permet aux cellules de produire les protéines qui servent de blocs de construction nécessaires à la vie. Les chercheurs James Watson et Francis Crick de l’Université de Cambridge démontrent la structure en double hélice de l’ADN seulement trois ans auparavant. C’est une période excitante dans le domaine de la biologie moléculaire. 

La vie personnelle de Mike s’épanouit alors au même rythme que sa carrière. En 1960, il épouse Helen Christie, originaire de Vancouver, avec qui il aura trois enfants, Tom, Ian et Wendy au cours des cinq prochaines années. Mike devient citoyen canadien en 1963, professeur agrégé de la faculté de biochimie de l’Université de la Colombie-Britannique en 1964 et est nommé professeur titulaire six ans plus tard. Son cheminement dans le monde académique est ponctué de nombreuses bourses qu’il mettra à profit pour mener les recherches fondamentales qui le mèneront éventuellement à remporter le prix Nobel en 1993. 

Le 12 octobre, soit la veille de l’annonce du prix Nobel, Mike célèbre le 29e anniversaire de sa fille Wendy et festoie avec quelques martinis. Il rentre tard, retire ses prothèses auditives et sombre dans un profond sommeil. Il se réveille le lendemain en fin de matinée et allume la  radio pour connaître le pointage final de la partie de baseball des Blue Jays. C’est alors qu’il apprend qu’il est le lauréat du prix Nobel de chimie. L’attention des médias est intense et il semble tout à fait étrange pour Mike, qui est bien connu pour son image peu soignée, ses chandails trop amples, ses pantalons informes et les sandales Birkenstock portées avec des chaussettes noires, de se retrouver sur la couverture de la section Style du quotidien Vancouver Sun.   

Il s’envole pour Stockholm avec 12 personnes pour assister à la cérémonie de remise des prix : ses enfants, Helen (dont il est séparé depuis 1983), Elizabeth Raines, sa nouvelle conjointe et quelques collègues. Dans son discours, Mike parle avec ferveur du futur de la planète, de l’impact de l’humanité sur la biodiversité et de son idée de mettre sur pied un nouveau prix pour la pérennité de l’environnement. Il croit fermement au rôle que la science joue dans la société et fait valoir le besoin de financer de nouvelles recherches auprès des politiciens et des personnes d’affaires lors de toutes les occasions qui se présentent. 

Mike Smith s’éteint en 2000 des suites d’une rare maladie du sang. Après sa mort circule une photo sur laquelle nous pouvons le voir portant fièrement un t-shirt personnalisé qu’il s’est fait faire après son retour de Suède. On pouvait y lire :         

      Comment gagner un prix Nobel (mode d’emploi pour les médias)

              1. Dormir nu

              2. Avoir un faible QI 

              3. Porter des Birkenstocks