Survive et résiliences
L’histoire de la survie et de la résilience d’une femme autochtone : La vie d’Elizabeth « Kirkina » Jefferies Mucko
Ellen Scheinberg

Elizabeth Jefferies est née en 1892 à Rigolet, au Labrador, d’une mère inuite et d’un père inuit-écossais. Le hameau de Rigolet, situé à l’entrée du bras Hamilton, sur la côte centrale du Labrador, abritait autrefois une grande station de la Baie d’Hudson, établie en 1836. La plupart des résidents pêchaient dans cette zone du printemps à l’automne et se déplaçaient ensuite à l’intérieur des terres pour piéger durant les mois d’hiver.
À l’âge de deux ans, Elizabeth est devenue une double amputée après que son père ait été obligé de lui couper les jambes à cause de gelures et de la gangrène. Selon la légende locale, ses parents sont morts et, orpheline, elle a été envoyée à la Mission Grenfell à St. Anthony, Terre-Neuve. Le Dr Wilfred Grenfell administrait des hôpitaux à St. Anthony et à Indian Harbour, ainsi qu’un orphelinat et une école à St. Anthony. Sa mission servait la communauté du Labrador et était adressée en particulier aux enfants inuits et à ceux des colons. Avec l’aide de son équipe, le Dr Grenfell a muni Elizabeth de jambes prothétiques. Il l’a également emmenée à New York, où lui et son équipe ont effectué 16 opérations chirurgicales sur ses jambes. Lors de cette excursion, Grenfell lui a donné le nom de « Kirkina ».

Elizabeth « Kirkina » et un autre patient, Ben Cumby, à Indian Harbour, 1908. Centre culturel The Rooms, VA103-12. 1.
Une fois rétablie, elle a reçu des soins supplémentaires dans les hôpitaux de la mission de St. Anthony et d’Indian Harbour et a fréquenté les écoles auxquelles les missionnaires l’ont amenée à St. Anthony, Halifax, et aux États-Unis. Pendant plusieurs années, elle a accompagné le Dr Grenfell dans ses conférences et ses tournées de collecte de fonds aux États-Unis et au Mexique. Bien qu’Elisabeth ait bénéficié de l’excellent soin médical et de l’éducation qu’elle avait reçus des missionnaires, elle a été déracinée de sa communauté, renommée et poussée dans une vie qui avait été conçue pour elle.
À l’âge de 23 ans, Elizabeth a épousé le trappeur inuit Adam Mucko, qui était de 22 ans son aîné. Ils se sont établis à Peter Lewis Brook, un petit village côtier de la région de la baie Sandwich, au Labrador, près de Cartwright. Ils ont eu sept enfants et ont vécu une vie assez traditionnelle et tranquille. Leur foyer a été secoué tragiquement par la pandémie de grippe qui a frappé leur coin du Labrador à l’automne de 1918. Le mari d’Elizabeth et six de leurs enfants ont attrapé le virus et sont morts.

Hôpital St. Anthony, 1912. Centre culturel The Rooms, A58-3.
En fait, la pandémie a eu un impact dévastateur sur les Inuits du Labrador, en particulier dans les collectivités du Nord, détruisant un tiers de la population. Selon le journal St. John’s Daily Star, le village de Peter Lewis Brook a perdu 70 de ses 350 citoyens. Le Dr Harry Paddon, qui a pratiqué à l’hôpital Grenfell, a décrit l’épidémie comme « la plus dévastatrice de toutes les maladies de l’histoire connue ».
Comme la famille était assez isolée, il n’y avait personne pour les secourir pendant cette crise. Après la mort de chacun des membres de sa famille, Elizabeth a dû creuser elle-même leur tombe et les enterrer. Elle a en outre procédé au service funèbre qui a suivi, s’appuyant probablement sur ses années d’exposition aux services religieux et de prière à la Mission Grenfell. En dépit de ses pertes énormes, Elizabeth a continué sa formation en soins infirmiers et comme sage-femme à l’hôpital St. Anthony avec le Dr Paddon.
Peu de temps après, Elizabeth est retournée à sa maison natale de Rigolet avec Beatrice, sa fille survivante. Elle a continué à pratiquer la profession de sage-femme pendant plus de trois décennies, faisant des visites à domicile dans la communauté dans un rayon de 35 milles de sa maison. Elle a fièrement proclamé à un journaliste lors d’une interview en 1950 : « J’ai mis au monde 32 enfants et je n’ai jamais perdu une mère ou un bébé. » Elizabeth a passé ses dernières années à Happy Valley et est décédée en 1970. Quatre décennies après sa mort, un refuge pour femmes a ouvert ses portes à Rigolet et a été nommé en son honneur. Et un an plus tard, son histoire figurait dans le livre de Merna Foster, 100 More Canadian Heroines: Famous and Forgotten Faces, publié par Dundurn, en 2011.
Une survivante de la dévastation de la pandémie ainsi que de ses propres handicaps, Elizabeth « Kirkina » Mucko est devenue une héroïne locale et nationale dont l’incroyable vie a inspiré de nombreux Canadiens.

Vue de la maison Kirkina à Rigolet, au Labrador.