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Panoplie de la pandémie

Une panoplie de récits sur la pandémie par tout le Canada

Ellen Scheinberg

Chaque année, les Canadiens font face à l’arrivée non désirée du virus de la grippe, qui infecte un bon pourcentage de la population. Selon Santé Canada, la grippe hospitalise 12 200 personnes par an, dont environ 3 500 mourront. Heureusement, la plupart des personnes atteintes reviennent à la santé en quelques jours. Ce n’était pas le cas, cependant, avec la souche contagieuse qui a émergé il y a un siècle, de 1918 à 1920, que l’auteure américaine, Laura Spinney, a décrit comme le plus grand « raz de marée de la mort » du XXe siècle. La grippe espagnole, comme on l’a appelée, a tué plus de 100 millions de personnes à travers le monde, causant des pertes plus élevées que les Première et Deuxième Guerres mondiales combinées, selon les chercheurs.


Hôpital de la base du Camp Funston pendant l’épidémie de grippe, 1918. Archives historiques d’Otis, Musée national de la santé et de la médecine, NCP 1603.

En Amérique du Nord, la maladie est apparue pour la première fois le 4 mars 1918 dans le centre-ouest américain, à la base militaire du Camp Funston au Kansas. Elle s’est rapidement répandue dans tout le continent, transmise par des membres des forces militaires américaines et canadiennes voyageant par bateau et par train. Cette souche virulente et sans précédent a infecté un Canadien sur trois et a causé la mort de plus de 55 000 personnes. Elle a ravagé le pays, se déplaçant d’abord d’est en ouest, pour ensuite revenir en deux vagues successives, en 1919 et 1920, laissant une marque sombre et indélébile dans presque chaque communauté et chaque maison.


Cet article est paru dans l’Edmonton Bulletin du 21 octobre 1918. Archives provinciales de l’Alberta, A13187.

La maladie a infecté sans discrimination des personnes de tout âge, de toute classe et de toute culture. Cependant, ceux qui avaient entre 20 et 40 ans se sont révélés les plus vulnérables. La profession médicale n’avait pas de vaccins ou de traitements médicaux efficaces pour prévenir ou guérir la grippe. Au lieu de cela, les responsables de la santé publique et les médecins ont promu des mesures préventives comme se laver les mains, éviter les rassemblements publics et porter un masque pour protéger le public de la maladie et l’empêcher de se propager davantage. De nombreux Canadiens se sont également tournés vers les remèdes maison et les traitements traditionnels pour aider à combattre les symptômes pénibles associés à la grippe et vaincre potentiellement le virus.

Il n’y avait pas de ministère fédéral de la santé à ce moment-là, ni de politique nationale de santé. Par conséquent, la plupart des villes et des communautés ont dû se débrouiller seules pendant la pandémie. Le nombre stupéfiant de patients nécessitant des soins a débordé et paralysé de nombreux hôpitaux du pays. En réponse, un certain nombre de communautés ont ouvert des hôpitaux temporaires de contagieux pour traiter les patients pendant la pandémie. La portée et l’intensité de la pandémie ont également entraîné une grave pénurie de médecins et d’infirmières dans de nombreux domaines. Pour y remédier, quelque 2 000 femmes bénévoles de la classe moyenne ont été recrutées et formées en tant qu’infirmières auxiliaires dans le cadre du programme DAV (détachement d’aide volontaire). Leur rôle consistait à assister les infirmières professionnelles pendant la pandémie. Les médecins et les infirmières ont vaillamment travaillé de longues heures pour traiter et soigner leurs patients, se mettant ainsi en grand danger. Malheureusement, mais inévitablement, certains ont fini par attraper le virus et périr. En raison du rôle critique et désintéressé que les infirmières et les DAV ont joué pendant la guerre, puis la crise grippale, elles ont suscité l’admiration du public qui les considérait comme des héroïnes.


Cet ancien manoir de Hamilton appelé « Maison Baillinahinch » a été transformé en hôpital de contagieux pour les patients atteints de la grippe de 1918 à 1919. En vedette, Cyrus Birge, vice-président de la Bank of Hamilton, et W. H. Lovering, entourés d’infirmières masquées et de leurs patients sur le porche. Courtoisie de la Bibliothèque publique de Hamilton.

Si les villes canadiennes ont pu mobiliser et mettre en place d’autres hôpitaux et recruter du personnel en santé pendant la pandémie, les localités plus petites et plus isolées ont eu beaucoup plus de mal à répondre à la crise sanitaire. Ces communautés manquaient d’infrastructures internes, de ressources, de personnel médical professionnel et d’hôpitaux nécessaires pour soigner correctement les malades et disposer de leurs morts. Le taux de mortalité moyen au Canada a atteint environ 0,6 %. Pourtant, des collectivités comme Okak dans le nord du Labrador, Arthabaska et Nicolet au Québec, Norway House au Manitoba et Little Salmon au Yukon ont toutes subi des pertes faramineuses qui dépassaient de loin ce chiffre.


Johnny Jack et son père, Little Salmon, Yukon. Cette communauté autochtone a été anéantie pendant la pandémie en 1918. Musée Glenbow, NA-521-8.

La grippe espagnole a frappé certains groupes, en particulier les communautés des Premières Nations, beaucoup plus que d’autres. Okak, une colonie inuite, a été la communauté la plus touchée du pays, perdant 204 de ses 263 habitants pendant la pandémie, éradiquant ainsi la ville. L’éloignement des communautés nordiques et isolées a joué un rôle central. Lorsque le virus a infecté des familles entières et des communautés d’un coup, il n’y avait souvent personne en assez bonne santé pour chasser, pêcher et couper du bois — trois des principales activités requises pour subvenir aux besoins de la vie. Le manque de nourriture et de chaleur, en particulier dans les régions subarctiques, a exacerbé la maladie et, dans certains cas, entraîné la mort par inanition ou hypothermie.

L’historienne Mary Ellen Kelm a fait remarquer que le taux de mortalité des autochtones en Colombie-Britannique était neuf fois plus élevé que celui des résidents non autochtones. Selon elle, le sort des peuples autochtones de la Colombie-Britannique était, à bien des égards, le produit de leurs relations avec le Canada. Ceux qui ont souffert et perdu des êtres chers se sont retrouvés avec un sentiment d’amertume et de trahison envers le gouvernement fédéral et les autorités provinciales.

Deux autres groupes soumis à de plus grandes difficultés que les Canadiens moyens étaient les immigrants et les gens de la classe ouvrière. Ces Canadiens pauvres et souvent marginalisés avaient des taux d’infection plus élevés, parce qu’ils vivaient souvent dans des logements surpeuplés et sujets aux courants d’air. Les familles riches et de la classe moyenne pouvaient se permettre de consulter un médecin, de faire venir de l’aide rémunérée si nécessaire, et d’acheter la nourriture et les médicaments nécessaires pour les soigner et les soutenir. Cependant, la plupart des Canadiens ordinaires ne pouvaient pas se permettre ces luxes.

La fermeture des espaces publics et des entreprises au plus fort de la pandémie a également représenté un fardeau plus lourd pour ces groupes, car ils consacraient tout leur maigre salaire à la nourriture, au charbon et à d’autres produits essentiels. Beaucoup de ces familles ont également eu de grandes difficultés à faire face — financièrement et émotionnellement — à la perte d’un père, qui était en général le soutien de famille, ou de la mère, qui était le principal dispensateur de soins. Tragiquement, certaines familles n’avaient d’autre recours que de placer un ou plusieurs de leurs enfants dans un orphelinat après la mort de l’un ou des deux parents. Enfin, le coût des frais funéraires dépassait souvent les moyens financiers de ces personnes.


Tombe d’une Première nation victime de l’épidémie à Windiandy Flats, Muskeg River, Alberta, 1918. Photographe : Oswald Finnie. LAC, PA-100229.

Les immigrants ont été confrontés à l’indignité supplémentaire d’être accusés d’avoir contribué à la propagation de la maladie chez les Canadiens xénophobes. Par conséquent, ils ont souvent été soumis à une surveillance et à des inspections excessives par les responsables de la santé publique. En réponse, de nombreuses communautés d’immigrants ont mis en place leurs propres réseaux de soutien et d’infrastructures pour les aider à survivre pendant les crises sanitaires et économiques. Cela a également été le cas des groupes ouvriers, dont les membres comptaient sur les syndicats, les sociétés et les réseaux communautaires pour recueillir les fonds nécessaires pour aider leurs membres à payer les frais funéraires, soutenir les veuves et fournir un soutien financier pour d’autres dépenses urgentes. Même si la pandémie, explique Esyllt Jones, historienne de l’Université du Manitoba, « a aggravé et exacerbé les conflits de classe et ethniques », elle a également produit une autosuffisance considérable au sein des collectivités qui ont obtenu le soutien nécessaire pour endurer la crise.

Bien que la pandémie de grippe espagnole ait causé énormément de douleur, de souffrance et de morts, elle a également suscité des changements positifs. Parmi ces derniers, on compte la création d’agences d’aide sociale et de sociétés de bénéfices mutuelles au sein des communautés ouvrières et immigrées. Un autre changement crucial a été le développement d’un système de santé plus fort et plus centralisé en 1919, à la suite de la création du ministère fédéral de la Santé. Les responsables de la santé ont tenté de forger des relations plus étroites entre les différents ordres de gouvernement, améliorant grandement l’efficacité et la coordination. Ces réformes, selon l’historien Mark Humphry, ont représenté un « changement dans les idéologies dominantes et les stratégies de gouvernance de la santé publique » qui, selon lui, « ont marqué le début de l’ère moderne dans la santé publique canadienne ».

À la suite de la pandémie, les Canadiens se sont tournés vers le deuil et ont honoré ceux qui avaient péri. L’irruption de la maladie s’est produite si soudainement et a provoqué de tels ravages — en particulier avec le nombre de victimes en cause — que de nombreuses familles n’ont pas eu le temps de creuser des tombes appropriées et d’ériger des monuments officiels pour leurs morts. Certains cimetières étaient tapissés de croix de bois pour indiquer le corps des victimes de la grippe. En raison de l’urgence de disposer des morts, d’autres ont été enterrés dans des fosses communes ou sans aucune marque.

Après la guerre et la pandémie, la majeure partie des ressources disponibles dans le pays a été consacrée à la construction de monuments pour commémorer les anciens combattants et les professionnels de la santé qui ont participé à l’effort de guerre. Un petit nombre, cependant, a rendu hommage aux médecins et aux infirmières qui ont fait preuve d’une grande bravoure pendant la pandémie, ainsi qu’aux victimes de communautés spécifiques qui ont été reconnues comme un groupe.

L’un des plus beaux monuments du Canada en l’honneur d’un héros de la grippe espagnole se trouve à Cavendish Square, à St. John’s, Terre-Neuve. Cette colonne octogonale remarquable, surmontée d’une croix celtique, rend hommage à Ethel Gertrude Dickenson, une infirmière bénévole locale qui a soigné les patients atteints de la grippe au King George the Fifth Institute et est décédée le 26 octobre 1918. Le gouverneur Sir Charles Harris et sa femme ont dévoilé le monument en 1920. Il comporte une inscription qui reconnaît Dickenson ainsi que « ceux qui ont prodigué des soins avec elle dans l’ombre imminente de la mort ».


Le monument Ethel Dickenson devant l’hôtel Newfoundland, env. 1945. La photo montre deux aviateurs canadiens posant à côté de la structure. Centre culturel The Rooms, article VA15.a-49.1.

Comparativement à la Première Guerre mondiale, la mémoire de la pandémie de grippe espagnole a presque disparu de la conscience de la plupart des Canadiens. C’était clairement un événement catastrophique qui a eu un impact significatif à long terme sur la nation. La maladie a brutalement et sans discrimination infecté et tué des Canadiens sans égard à l’âge, au sexe, au milieu, à la religion et à la région. Pourtant, certains citoyens et certains lieux étaient plus vulnérables que d’autres. Par conséquent, « ce n’était pas la même pandémie pour tout le monde », observe Esyllt Jones.

Les sept récits présentés dans cette section du site fournissent une sélection d’histoires représentatives qui documentent les expériences uniques d’individus, de groupes particuliers et de certaines communautés. Ils ont pour but de fournir un aperçu de ce qui s’est passé pendant la pandémie de grippe au niveau local et de servir de source d’information et d’inspiration pour notre public étudiant. Les élèves utilisent ces courts récits comme modèles pour construire et gérer leurs propres histoires, en utilisant des documents historiques comme les journaux, les dossiers de cimetières, les journaux intimes, les archives du conseil municipal et les traditions familiales provenant des bibliothèques locales, des archives, d’Internet et d’autres sources. L’objectif est de créer une riche mosaïque de récits historiques qui illustrent les diverses expériences des Canadiens de partout au pays pendant la grande pandémie de grippe espagnole.