Citez

Pandémie de la Grande Prairie

Les efforts vaillants de Grande Prairie pour combattre la grippe et honorer ses victimes

Ellen Scheinberg

Grande Prairie est située en Alberta, à environ 450 km au nord-ouest d’Edmonton. Au moment de la pandémie de grippe, c’était une petite ville récemment constituée. À l’origine, la région abritait un certain nombre de communautés des Premières Nations, y compris les Cris et les Iroquois. La ruée vers les terres du début du XXe siècle a attiré des dizaines de familles de différentes parties de l’Europe pour s’y installer. En 1913, Grande Prairie disposait d’une école, d’un petit hôpital et d’un centre d’immigration pour les colons, ainsi que d’une banque, d’un hôtel, d’un bureau de poste et d’un bureau des terres. Trois ans plus tard, Grande Prairie pouvait également s’enorgueillir d’une nouvelle gare terminus la reliant au reste du pays. Et à la fin de la guerre, la ville avait une population en plein essor d’environ un millier de personnes. Même si la communauté ressemblait à beaucoup d’autres petites villes des Prairies canadiennes au cours de cette période, sa réaction particulièrement remarquable à la pandémie vaut la peine d’être racontée et commémorée.


Rue principale de Grande Prairie avec vue sur la confiserie, le Crown Café, la salle de billard et autres attractions, 1915. Archives régionales de South Peace, 0032.08.08.0368.

L’épidémie de grippe espagnole a frappé l’Alberta en novembre 1918, causant la mort de 4 300 Albertains. Bien que certains villages et villes isolés des Prairies aient été épargnés par les ravages de la grippe, Grande Prairie a été durement touchée par deux vagues distinctes, en novembre 1918 et en janvier 1919. Environ trois douzaines de résidents ont péri. Comme le virus était répandu à travers le pays par les militaires le long des voies ferrées, la présence de la nouvelle gare en ville a probablement servi de point d’entrée de la contagion.

Cependant, Grande Prairie avait la chance d’avoir un petit hôpital Katherine Prittie —qui était établi et exploité par le missionnaire presbytérien local, le révérend Alexander Forbes, et son épouse Agnes, depuis 1914. L’installation a été rapidement inondée de patients après que la première vague de la pandémie ait frappé la communauté. En réponse, le conseil local de la santé a temporairement transformé le centre d’immigration en un hôpital de contagieux temporaire pour accueillir les patients atteints de la grippe.


Centre d’immigration de Grande Prairie, 1918. Archives régionales de South Peace, 2002.54.34.

À peu près au même moment, la ville était aux prises avec un défi encore plus grand. Au début de l’année 1918, James B. Oliver, directeur du salon funéraire et entrepreneur de pompes funèbres de la région, s’était enrôlé dans le Corps expéditionnaire canadien et avait été envoyé outre-mer. James, ou « Jimmy » comme ses amis l’appelaient, était aussi la seule personne de la ville qui possédait une charrette à fond plat. Il utilisait sa charrette tirée par un cheval pour transporter les patients à l’hôpital ainsi que des cercueils au cimetière. Son absence empêchait Grande Prairie de fonctionner pendant cette crise sanitaire sans précédent. Pour y remédier, les fonctionnaires de la ville ont envoyé un appel urgent au personnel militaire fédéral, leur demandant s’il était possible de retirer Jimmy et de le renvoyer chez lui. Malheureusement, le gouvernement a refusé la demande.


Portrait de Frank Donald, env. 1925. Archives régionales de South Peace, 1997.13.54.

Celui qui remplacé courageusement Jimmy était Frank Donald, le propriétaire de l’hôtel local et un chauffeur de voiture de course populaire. En plus de diriger le service de transport, la maison funéraire et le cimetière, Donald a également conçu une solution pour parer au nombre croissant de corps qui ne pouvaient pas être enterrés en raison du sol gelé. Il acheta une parcelle de terrain à côté du cimetière principal — à moins d’un kilomètre au sud-est de la ville — dotée d’un sol meuble sablonneux, idéal pour les enterrements rapides durant l’automne et l’hiver. Cette parcelle de terrain a été appelée cimetière de Bear Creek. Près de 40 victimes de la grippe y ont été enterrées en 1918-1919, bien que certaines aient été relogées dans un autre cimetière voisin après la pandémie.

En 1975, la communauté a restauré le cimetière de Bear Creek et a érigé un panneau l’identifiant comme le lieu de repos de ceux qui avaient péri pendant la pandémie de « grippe asiatique ». Cette erreur a fait l’objet de nombreux commentaires par les habitants. Un beau cairn a également été installé dans ce cimetière, honorant les personnes enterrées là. En plus de ces importants projets dans le cimetière, en 2014, Grande Prairie a nommé un parc Frank Donald pour rendre hommage à ses réalisations importantes et à ses autres contributions à la communauté. Après l’épidémie, il a ouvert un deuxième hôtel appelé l’Hôtel Donald, investi dans deux des cinémas locaux, a élevé du bétail et est devenu un éminent éleveur de chevaux de course. Il était vraiment un individu remarquable et méritait cet honneur. Il est difficile d’imaginer comment la ville aurait pu réagir s’il n’avait pas pris les devants pour fournir le leadership dont la ville avait besoin pour surmonter ces terribles événements.


Photographie du cimetière de Bear Creek, 2009. Daily Herald Tribune, 20 novembre 2009.