Un Survivant Japonais
La grippe espagnole et la communauté Japonaise de Vancouver
Racontée par un survivant de la pandémie, le 13 octobre 1958
Anonyme
Á la mi-octobre 1918, une pandémie de grippe fait son apparition au Canda, en provenance des champs de batailles de la Première guerre mondiale en Europe. On l’a nommée, la grippe espagnole.
La grippe espagnole s’est répandue jusqu’à Vancouver en Colombie-Britannique, où de nombreux immigrants japonais vivaient¹. Les écoles publiques et les églises ont été forcées de fermer leurs portes afin d’empêcher la propagation de la grippe. Plusieurs [patients ne pouvaient pas être admis dans les hôpitaux car on manquait de personnel. En effet, plusieurs médecins et infirmières étaient partis travailler sur les champs de bataille en Europe.
Le pasteur japonais de l’église méthodiste, M. Masamitsu Akagawa et l’un de ses missionnaires ont pris l’initiative de s’attaquer au problème. M. Akagawa a dit : « Le premier patient japonais était Akio Iwatsuru. Il était un étudiant japonais et un chrétien. »
C’était terrible et triste de voir autant de patients qui n’avaient pas pu recevoir des soins et qui sont morts.
M. . Akagawa s’est rendu au Consulat pour obtenir de l’aide et des conseils. M. Akagawa et M. Ukita, le consul, ont fait les démarches nécessaires pour qu’on établisse un hôpital où seraient traités les patients japonais, en transformant l’école publique Strathcona en un hôpital temporaire. Plusieurs issei et nisei (première et deuxième génération d’immigrants) avaient déjà fréquentée cette école.
- La terme « Nikkei » apparaissant dans le titre « Le survivant Nikkei », fait référence à un immigrant japonais ou à une personne d’origine japonaise.
Il y avait quatre médecins principaux : le Dr Shimotakahara, le Dr Takakashi, le Dr Ishiwara et le Dr Kinoshita. Ils ont travaillé très fort pour le bénéfice de leurs patients.

Heureusement, Mme Akagawa était une infirmière expérimentée. Elle s’est dévouée à prendre soin des patients. Elle travaillait avec Mme Nakano, qui était l’épouse d’un autre pasteur, et avec Mme Higashi, une infirmière de la Croix-Rouge. L’une des infirmières était la fille du Dr Watanabe. Même si de plus en plus de patients devait être admis à l’hôpital, très peu d’autres infirmières sont venues y travailler par peur d’être infectées.
Nous voyions bien que M. et Mme Akagawa travaillaient très fort. Comme nous étions en bonne santé, nous sentions qu’il fallait faire quelque chose pour les aider. Nous avons discuté avec nos amis de l’église de ce que nous devrions faire mais nous n’avions aucune bonne idée. Certains d’entre nous disaient que nous ne devrions pas risquer de devenir infectés.

D’autres disaient que nous pourrions aider les Akagawa en leur procurant des choses dont ils avaient besoin sans être directement en contact avec les patients.
Mon mari s’est rendu à l’hôpital. Il voulait aider les patients, mais M. Akagawa lui a dit : « Nous préférerions avoir des femmes, et non des hommes, comme infirmières ». Le lendemain, j’ai postulé pour un travail. Après qu’elles ont appris que j’avais postulé, deux de mes amis de l’église l’ont fait aussi. J’étais très heureuse.
L’une d’entre nous travaillait dans les cuisines et les deux autres travaillaient dans les chambres des patients. Nous avons travaillé très fort sous la supervision de M. Akagawa.
Nous n’étions pas préparées à vivre une telle expérience. Nous travaillions des quarts de 12 heures, de 7:00 à 19:00, avec une heure pour le repas du midi. C’était un travail très difficile.
Je n’avais jamais vu de cadavre avant de travailler à l’hôpital, mais là, j’en voyais tous les jours. Le salon funéraire n’avait pas le temps de venir chercher les cadavres immédiatement alors, on laissait les cadavres dans leur lit. Au début, j’étais sous le choc d’en voir autant. Mais de jour en jour, je m’y suis habituée.
La chambre où je travaillais comptait huit patients d’âge mur. L’un d’entre eux avait une forte fièvre et parlait constamment de ses enfants. Une autre dame a essayé de sortir de la chambre. Je devais la surveiller. Aussi, je parlais souvent avec d’autres patients qui faisaient de la fièvre.
Un jour, M. et Mme Taira ont été admis à l’hôpital avec leur enfant. Ils n’avaient pas l’air malade. Mme Taira était enceinte de trois mois. Plusieurs patientes qui étaient en début de grossesse n’ont pas survécu. M. et Mme Taira sont décédés trois jours après leur arrivée. Leur enfant était maintenant orphelin. Des membres du personnel se sont occupés de l’enfant en particulier un homme qui revenait de la guerre. Il transportait toujours l’enfant sur ses épaules pendant qu’il travaillait. Une gentille vielle dame a dit : « Parce que j’ai suffisamment d’argent, prenez soin de cet enfant s’il-vous-plaît, peu importe le coût ». Je n’oublierai jamais sa gentillesse.
Une patiente a donné naissance à un bébé pendant qu’elle était hospitalisée. Mme Takeshi a aidé à l’accouchement².
Je me sentais très fatiguée depuis quelques jours. Normalement, comme je commençais à travailler très tôt le matin, j’avais une faim de loup quand arrivait l’heure du repas du midi. Cependant, un jour, je n’avais pas envie de manger. J’ai demandé à M. Fujita de me remplacer et je suis rentrée à la maison.
J’avais complètement oublié ce qu’on nous avait dit de faire si on tombait malade… Il ne fallait pas retourner chez-soi; il fallait rester à l’hôpital. Je suis rentrée chez moi parce que j’étais inquiètes de mes enfants. Pendant que j’étais au lit à la maison, j’ai commencé à vraiment me demander si j’étais infectée…
2. Mme Tateishi était une sage-femme et elle a mis au monde tous les enfants de l’auteur sauf un, alors que les accouchements se faisaient à la maison.
J’ai téléphoné à quelques médecins mais je n’ai pas pu les rejoindre. Après avoir attendu jusqu’au lendemain matin, j’ai rencontré le Dr Takahara et j’ai appris que j’étais bel et bien infectée. Il m’a réprimandée pour ne pas avoir suivi l’avis du médecin.
On est venu me chercher en ambulance pour me conduire à l’hôpital. J’avais une forte fièvre à ce moment-là. Le plus âgé de mes enfants s’est mis à pleuré quand il a entendu dire que, lorsqu’on amenait une personne à l’hôpital en ambulance, elle allait mourir.
Mon mari a lui aussi attrapé la grippe et il s’est rendu à l’hôpital avec notre fils âgé de 18 mois. Heureusement, ils ont pu quitter l’hôpital quelques jours plus tard. J’ai appris ça bien après.
J’ai été bouleversée quand j’ai vu mon père qui se tenait aux portes de l’hôpital et qui portait ses plus beaux habits. Je lui parlais dans mes rêves.
La grippe s’est graduellement dissipée mais je faisais encore de la fièvre. Quatre médecins ont perdu espoir et m’ont abandonnée. On m’a dit que j’allais mourir. Plusieurs patients m’ont rendu visite après avoir appris que je n’en avais plus pour longtemps.
Les médecins voulaient me mettre en quarantaine dans un autre hôpital parce que ma condition était très sérieuse. Mais, tout à coup, la fièvre a disparu. Les médecins ont dit que c’était un miracle.
Ils ont décidé que je pouvais rester à l’hôpital parce qu’ils espéraient que j’allais bientôt me rétablir complètement. J’ai appris cela plus tard et j’étais très reconnaissante des soins qu’ils m’avaient prodigués.
L’hôpital est devenu très tranquille après le départ de la plupart des patients. Il ne restait plus que quelques médecins et infirmières. Le dernier jour, une autre patiente, Mme Hokkyo, toussait beaucoup et on m’a demandé si elle pouvait rester dans ma chambre. Nous étions les deux derniers patients.
Mme Hokkyo ne faisait qu’appeler le personnel mais personne ne venait dans notre chambre. Elle s’est mise à pleurer. Trois membres du personnel étaient dans le bureau mais le bureau était situé loin de notre chambre. Je trouvais ça triste pour elle donc, je suis sortie du lit et j’ai réussi à me rendre jusqu’au bureau. Quand je suis revenue à la chambre, j’ai essayé de me remettre au lit mais je suis tombée.
J’ai appris plus tard pourquoi personne n’était venu dans notre chambre. Plus tard ce soirlà, il y avait beaucoup de bruit dehors. L’hôpital recevait souvent des nouvelles à propos de la guerre qui se déroulait en Europe et les trois membres du personnel sont devenus très excités quand ils ont appris que la guerre était terminée. Plusieurs personnes klaxonnaient et faisaient toutes sortes de bruits.
C’est lors de cette journée excitante que j’ai pu revenir à la maison. J’étais dans une automobile décorée de drapeaux de tous les pays.
C’était le 11 novembre 1918, un jour historique non seulement pour le monde entier, mais aussi pour moi.
Comme j’avais été mourante trois jours auparavant, cela me semblait très étrange. En même temps, j’étais très désolée pour mes nombreux amis qui avaient perdu la vie à cause de la grippe espagnole.