Philip Pochailo

Né à Rainy River
Philip Pochailo est né le 19 novembre 1920 à Rainy River, en Ontario. Il était le plus jeune des sept enfants d’Anna et de Joseph Pochailo, des immigrants polonais. Élevé dans une famille pauvre au début de la Grande Dépression, il se rappelle avoir été le plus chétif de la famille, mais aussi celui qui avait les meilleurs soins.
Philip a fréquenté l’école publique (Alexandria Public School) à Rainy River. Comme il devenait plus difficile pour ses parents, face aux répercussions de la Grande Dépression, de s’occuper d’une grande famille, Philip a dû déménager avec ses sœurs à Fort Frances. Il y a fait ses études secondaires, puis, muni d’un diplôme, s’est trouvé des emplois dans des épiceries. À 20 ans, il a été embauché au poste de commis au camp de bûcherons J.A. Mahieu, où, en plus d’être logé et nourri, il recevait un salaire de 97 $ par mois.
La Seconde Guerre mondiale était alors bien engagée, et le besoin de personnel s’intensifiait. Philip s’est enrôlé dans l’Aviation royale canadienne (ARC) en 1942, puis a fait son entraînement de base à Edmonton, en Alberta, au Dépôt des effectifs no 3.
L’instruction de base et l’entrée dans l’ARC
À l’instar de tant d’autres jeunes Canadiens remplis d’espoir, Philip Pochailo voulait être pilote. La force aérienne triait ses recrues pour les affecter à différents postes au sein d’équipages et leur faire suivre des programmes d’entraînement après leur passage à l’école préparatoire d’aviation. Ceux qui avaient échoué rejoignaient le personnel de piste. La force aérienne a enseigné les rudiments de l’aviation à Philip, mesuré son aptitude aux études et mis à l’épreuve ses talents pour le vol au moyen du Link Trainer, un ancien simulateur de vol.
C’est ainsi que la force aérienne affecta Philip au poste d’observateur, l’expédiant à l’école de bombardement et de tir de Dafoe, en Saskatchewan. Philip s’y est entraîné pendant six semaines avec des cônes de ravitaillement en vol pour faire des tirs d’exercice sur des cibles mobiles tirées par des aéronefs et orienter des bombes. Par la suite, il a passé six autres semaines à l’école de navigation aérienne no 1 à Rivers, au Manitoba.
Une fois qu’il a été rendu outre-mer, la Royal Air Force (RAF) a affecté Philip à un équipage britannique. Après l’obtention de sa commission d’officier par l’Aviation royale du Canada (ARC), Philip a trouvé difficile de tisser des liens avec les aviateurs britanniques, car il ne pouvait les rejoindre au mess des sergents. Il a réglé le problème en allant retrouver ses camarades au pub du coin. L’équipage a donc franchi les étapes de sa formation opérationnelle à la station de la RAF à Hixon, volant à bord d’un bombardier Vickers Wellington. Il a plus tard accueilli un nouveau sous-lieutenant d’aviation, James « Jock » Reilly. Philip avait désormais des camarades d’équipage avec lesquels partager ses repas dans le mess des officiers.
Une première mission
Le lieutenant d’aviation Philip Pochailo et son équipage ont rejoint le 166e escadron de la RAF au début du mois de mai 1944. L’unité rattachée au Bomber Command pilotait des bombardiers lourds (Avro Lancaster) et participait aux préparatifs encourant le jour J – les débarquements en Normandie. Philip et son équipage ont effectué leur première mission au cours de la nuit du 19 au 20 mai, attaquant une gare de triage à Orléans, en France.
Deux nuits plus tard, leur cible a été Duisbourg, en Allemagne, une ville industrielle au confluent du Rhin et de la Ruhr. Le Lancaster de Philip a décollé de la station de la RAF à Kirmington à 10 h 30. Il a rejoint 500 autres bombardiers dans le ciel de l’est de l’Angleterre avant la traversée de la mer du Nord. Après avoir franchi la côte néerlandaise, l’un des premiers bombardiers du groupe s’est abîmé en flammes. Il avait été atteint par le réseau allemand de défense aérienne, fort d’une combinaison mortelle de chasseurs de nuit, de stations de radar, de projecteurs et de tirs antiaériens
C’est pourtant sans difficulté que l’équipage atteignit sa cible. En tant que viseur de lance-bombes, Philip a lâché de son Lancaster la charge d’une bombe à souffle de grande capacité (dite « Cookie »), de 4 000 livres, et des centaines de bombes incendiaires plus petites. Les bombes de Philip se sont ajoutées à des milliers d’autres à travers les nuages, entraînant la destruction et des feux à l’extrémité est de Duisbourg.
Touché!
Ses bombes ayant été larguées, le lieutenant d’aviation Pochailo relaxait prudemment, confiant que son pilote, Jock Reilly, ramènerait le Lancaster à la base. La défense antiaérienne continuait de faire éclater des obus autour du bombardier, que frôlaient aussi parfois des chasseurs de nuit allemands. Mais les artilleurs du Lancaster, les sergents Arthur F. Patmore et Bill Rankin, manœuvraient pour repousser les quelques attaques. Soudainement, au beau milieu d’une conversation entre Philip et le navigateur, le sergent de section Len Clutterbuck, deux obus de canon ont traversé le Lancaster en explosant.
Trois membres de l’équipage, le sergent de section Clutterbuck et les sergents Rankin et Tery Meehan (opérateur radio), sont morts pendant cette attaque. Les flammes se sont propagées du côté droit de l’aéronef, tandis que le pilote du chasseur de nuit allemand, le Hauptmann (capitaine) Martin Drewes, repartait en décélérant vers la droite. L’équipage de la Luftwaffe s’était servi du canon automatique Schräge Musik (étrange musique) d’un Messerschmitt Bf 110G-4. Un tel canon tire vers le haut (à un angle de 45°) au lieu de projeter les obus en avant, et c’est ce qui a permis au chasseur de nuit ennemi d’attaquer d’en dessous, légèrement derrière la cible; les artilleurs du Lancaster n’ont pu l’apercevoir.
Philip a vu le chasseur ennemi partir entièrement à découvert. Le capitaine Drewes s’était montré négligent et errait à l’intérieur de l’arc défensif du Lancaster. Le Canadien n’a cependant pu rien faire pour en profiter, car il avait quitté sa position de tir juste avant l’attaque. De toute façon, le sous-lieutenant d’aviation Reilly avait perdu le contrôle et avait déjà dit aux quatre survivants d’abandonner l’appareil.
Philip a tenté de prendre son parachute, mais s’est rendu compte qu’il n’était plus là. L’accessoire dont dépendait sa vie avait été projeté vers le fuselage et s’était logé sous le siège du mécanicien de bord. Tandis que le Lancaster poursuivait sa chute dans le ciel, Philip est parvenu à le récupérer et à l’enfiler dans la cabine avant de l’appareil. En ouvrant une petite porte, il vit le sergent Dave Dickson (mécanicien de bord) en train d’aider le pilote à sortir. Philip trouva le courage nécessaire pour sauter à son tour dans le ciel nocturne.
Fuite et évasion
Philip doit avoir brièvement perdu connaissance parce que la seule chose dont il s’est ensuite souvenu c’est d’avoir plané paisiblement, suspendu à son parachute, dans l’obscurité. Il a atterri entre des vaches Holstein frisonnes, qui l’ont accueilli dans un concert de meuglements. Le troupeau surpris s’est dispersé dans toutes les directions. Philip ignorait alors son emplacement précis, mais il se trouvait sur l’île de Voorne, à l’ouest de Rotterdam, dans une Hollande occupée par les nazis.
Le lieutenant d’aviation Pochailo a été chanceux. Il a plus tard appris que le sous-lieutenant d’aviation Reilly était parvenu au sol près de Rotterdam, mais que les Allemands l’avaient rapidement capturé. Les sergents Dickson et Patmore avaient aussi réussi à sortir de l’appareil, mais les parachutes s’étaient dirigés au-dessus des eaux, sans doute celles de la mer du Nord, et tous deux s’étaient noyés.
Philip avait été formé et outillé pour fuir et s’évader. Son premier geste a été de retirer les éléments distinctifs de son uniforme, puis de les cacher, avec son parachute, dans un marais. Il a ensuite quitté les lieux, laissant les vaches derrière lui. À l’aube, il a vu une ferme au loin et a tenté de s’orienter en utilisant sa carte d’évasion. Le fermier l’a alors aidé en le guidant. Philip a poursuivi son chemin vers une deuxième maison de ferme. La femme qui s’y trouvait l’a laissé entrer, lui a servi un repas et a demandé à ses fils de le cacher dans un tas de foin, le temps qu’elle communique avec la Résistance hollandaise. De là, des résistants ont procédé à des vérifications pour s’assurer qu’il n’était pas un complice des Allemands, puis ils lui ont donné les directives pour rejoindre Frans Braal, un père de famille qui travaillait à l’office local des eaux et dirigeait le mouvement de résistance hollandais à Oostvoorne.
Libération et sauvetage
Frans Braal a accueilli Philip Pochailo chez lui à Oostvoorne. Les deux hommes se promenaient à vélo en veillant à garder une certaine distance pour permettre au Néerlandais de s’échapper si les autorités finissaient par arrêter le Canadien.
Philip a donc passé les sept mois suivants chez les Braal, qui abritaient aussi sous leur toit 25 autres personnes – des juifs, des combattants de la Résistance, des enfants et d’autres fugitifs qui se cachaient des nazis. Philip s’était blessé à la cheville et avait subi des brûlures durant l’écrasement, ce qui ne lui permettait pas de s’aventurer le long des routes d’évasion vers l’Angleterre sur lesquelles veillait la Résistance pour les aviateurs dont les appareils avaient été abattus. Il aurait pu le faire une fois assez bien rétabli, mais ces routes avaient été fermées en raison des débarquements alliés en Normandie le 6 juin 1944.
Philip suivait le déroulement de la guerre en écoutant les reportages de la British Broadcasting Corporation (BBC) à la radio – ce que les forces nazies interdisaient pour contrôler l’information sur le conflit à laquelle avaient accès les Néerlandais. Philip adopta un nom hollandais, devenant « Henk Poldervaart », et commença à parler des bribes de néerlandais au contact de ses hôtes. Frans Braal et son épouse Miel, ainsi que les quatre jeunes enfants du couple, partageaient avec leurs invités toute la nourriture sur laquelle ils parvenaient à mettre la main. En fait, Philip s’est souvenu que la famille se contentait toujours de restes.
Un jour, en décembre 1944, on apprit que les nazis avaient intensifié les fouilles dans les environs. Philip devait partir. Le seul moyen sécuritaire de quitter l’île consistait en un pont à Spijkenisse, mais celui-ci était surveillé de près. Frans a donné à Philip son propre laissez-passer en espérant que les soldats allemands n’y prêteraient pas trop attention – les nazis cherchaient à contrôler aussi les déplacements des Néerlandais dans leur pays.
C’est ainsi que Philip est parvenu à traverser le pont, la veille de Noël, avec l’aide d’un combattant de la Résistance hollandaise, Jan Van Meer. Les deux hommes ont convaincu le gardien allemand, qui était ivre à ce moment-là, que Philip traversait pour aller travailler sur le continent. La famille Van Vliet à Rhoon et la famille Bloklund à Rotterdam ont toutes deux accueilli Philip jusqu’à ce que la Résistance le rappelle à Oostvoorne. Philip restait encore chez les Braal quand la nouvelle de l’arrivée des Canadiens à Rotterdam se répandit. Frans et Philip ont pu franchir le pont, désormais sous contrôle hollandais, se frayant un chemin à travers les foules célébrant leur libération imminente, jusqu’à Rotterdam, où se trouvaient les troupes canadiennes.
Philip Pochailo a passé une dizaine de jours à contempler les Hollandais en train de fêter leur libération et de punir les collaborateurs des Allemands – notamment des femmes, qui s’étaient fait raser la tête. La force aérienne l’a finalement transporté vers l’Angleterre en vue de son retour au Canada.
Enfin à la maison
Peu de temps après la guerre, Philip a été propriétaire d’une épicerie avec son neveu, puis il a déménagé à Vancouver, où il pensait faire une halte temporaire avant d’aller travailler dans des champs de pétrole en Amérique du Sud. Toutefois, alors qu’il se trouvait à Vancouver, Philip a revu un ami de l’Aviation royale du Canada qu’il avait rencontré pendant son entraînement en 1943. Cet ami travaillait au ministère du Revenu national (Impôt) et lui proposa un poste pour aider à traiter des déclarations de revenus qui avaient été bien remplies, mais jamais finalisées durant la guerre en raison d’une pénurie de main-d’œuvre. Philip accepta l’offre d’emploi en décembre 1947, puis, le même mois, épousa une infirmière prénommée Juliette. Celle-ci travaillait à l’hôpital St. Paul. Elle a conservé son poste jusqu’à la naissance de leur premier enfant, le 11 décembre 1952. Le second enfant du couple est né deux années plus tard. La famille Pochailo a vécu à Vancouver de 1948 à 1958, année de son déménagement à Ottawa.
Philip est alors entré au service de Revenu Canada. Il est toujours resté en contact avec les familles hollandaises qu’il avait connues durant la guerre, et il est retourné en Hollande 25 ans et 50 ans après le conflit lors de cérémonies de commémoration avec des collègues de l’aviation. Il a consacré le reste de sa vie à des activités philanthropiques, en plus de jardiner et de voyager avec Juliette. Il s’est éteint à 95 ans, à Ottawa, le 21 mai 2016, le jour même de la dernière sortie de son appareil 72 ans auparavant.
Ressources additionnelles
- L’article « Le bombardier Lancaster » publiée par la Musée du Bomber Command of Canada.
- L’article « Schräge Musik »publiée par Pour Bravoure: Aviateurs Canadienne et la Croix de Victoria.
- Document d’information au sujet de les Canadiens du Bomber Command publiée par Anciens Combattants Canada.
- « Les Canadiens du Bomber Command » ressource d’apprentissage par Anciens Combattants Canada.
- L’article « Le gouvernement du Canada décerne les premières barrettes du Bomber Command » par Nicolas Laffont (2013) publiée par 43enord.ca.
- L’article « Un centre consacré au Bomber Command » par M. Richard Mayne (2018) publiée par Le Gouvernement de Canada.
- L’article « Escadrons de bombardiers de l’ARC outre-mer » publiée par Le Centre Juno Beach.
Notes de bas de page
Cônes de ravitaillement en vol

Mess des sergents

Mess des officiers

« Cookie »

Chasseurs de nuit
