La Marine royale du Canada
« Les marins canadiens ne passent pas leur temps à libérer des villes; ils laissent ce rôle à l’armée de terre. Par ailleurs, ce qu’ils partagent avec les soldats du théâtre européen des opérations au cours des derniers mois de la guerre, c’est la lutte acharnée contre un ennemi qui refuse de baisser les bras. »
Bill McAndrew, Bill Rawling et Michael Whitby, La Libération : les Canadiens en Europe, 1995
Parmi les trois services, la Marine royale du Canada (MRC) a joué le moindre rôle direct dans la libération du nord-ouest de l’Europe, malgré ses efforts méritoires. Quelque 75 navires de la MRC ont été déployés dans les eaux européennes, où ils se sont vu assigner diverses tâches : l’escorte de convois, l’attaque de navires marchands et militaires ennemis, la traque de sous-marins (U-boot) et le dragage de mines. Les combats ont souvent eu de funestes conséquences; sept navires et 87 marins ont disparu au cours de cette période.
Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la MRC n’était qu’un service réduit, fort de seulement six navires de haute mer et de 3 500 hommes et officiers (à la fois la force régulière et la réserve). Elle s’est rapidement transformée en une force de combat d’envergure et compétente. Durant les deux premières années de la guerre, elle a constitué la principale force combattante du Canada par sa participation à la bataille de l’Atlantique. Les vaisseaux alliés ont affronté les sous-marins allemands, appelés « U-Boot », qui tentaient de couler les navires marchands transportant des ressources cruciales entre l’Amérique du Nord et le Royaume-Uni. C’est la survie même du Royaume-Uni qui dépendait du maintien de cette route commerciale.
La bataille de l’Atlantique sera la plus longue campagne de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’est étirée de septembre 1939 jusqu’à la toute fin de la guerre, incitant le premier ministre britannique Winston Churchill à faire cette déclaration : « La seule chose qui m’a vraiment terrifié pendant la guerre, c’est la menace des U-Boot. » Le Canada et la MRC étaient sur les lignes de front et avaient la responsabilité d’escorter les convois dans l’Atlantique du Nord-Ouest – le seul théâtre majeur de la guerre à être commandé par des Canadiens.
Certains combats se sont même déroulés sur les côtes canadiennes. D’intrépides commandants de U‑boot se sont aventurés dans le golfe du Saint-Laurent et ont remonté le fleuve afin de couler des navires marchands et militaires. Les sous-mariniers allemands ont même débarqué sur la côte nord du Labrador afin d’y installer une station météorologique automatisée. Au cours de la bataille de l’Atlantique, la MRC a envoyé 27 U-boot par le fond et coulé ou capturé 42 navires de surface. Toutefois, la véritable réussite de la marine canadienne peut être attribuée au libre passage de 25 343 navires marchands charriant plus de 181 millions de tonnes de fret ainsi que le gros des troupes canadiennes et américaines, lesquelles ont finalement libéré l’Europe.
La MRC s’est considérablement développée au cours de la Seconde Guerre mondiale afin de pouvoir prendre part à la bataille de l’Atlantique en sus de ses autres engagements. Les Britanniques et les Américains ont fourni les navires les plus massifs, comme les destroyers et les croiseurs, tandis que des entreprises canadiennes ont bâti les vaisseaux plus petits, comme les corvettes et les frégates. Cet accroissement s’est révélé plutôt impressionnant : à la fin de la guerre, le Canada possédait la troisième flotte mondiale en importance, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.
Bien que la bataille de l’Atlantique ait constitué la plus importante contribution de la MRC à la victoire, sa présence dans les eaux européennes en appui à la campagne du nord-ouest de l’Europe ne doit pas être négligée. Les destroyers canadiens avaient pour mission de protéger les convois alliés des attaques des U-boot (sous-marins) et des S-boot (vedettes lance-torpilles) allemands pendant leur traversée de la Manche en vue de l’invasion de la France. Le NCSM Haida, qu’il est actuellement possible de visiter à Hamilton en Ontario, était alors connu comme le « navire le plus belliqueux du Canada », essentiellement en raison des nombreux navires allemands qu’il a coulés pendant les premiers jours du débarquement. Le capitaine de corvette Henry DeWolf a commandé le Haida durant ces batailles. Il était surnommé « Harry le dur de dur » (« Hard Over Harry ») pour ses tactiques agressives. En avril 1944, Henry a poursuivi un destroyer allemand et l’a envoyé par le fond. Trois jours après le jour J, il a coulé deux destroyers allemands supplémentaires aux commandes du Haida. Le Haida a probablement connu son jour de guerre le plus glorieux le 15 juillet 1944 : le vaisseau a contribué à couler deux chasseurs de sous-marins et un navire de transport, tout en embrasant deux autres bâtiments.
La MRC a déployé deux flottilles de vedettes lance-torpilles (appelées en anglais « Motor Torpedo Boat » ou MTB) dans les eaux européennes, soit les 29eet 65e. Chacune d’entre elles était composée de huit petits navires rapides et bien armés, et ceux-ci disposaient de canons de 6 livres, de canons de 20 mm, de mitrailleuses et de torpilles. L’été 1944 a été une période intense pour les MTB qui ont protégé et couvert la flotte d’invasion dans la Manche. Les choses se sont toutefois calmées à l’automne. Le capitaine de corvette Anthony « Tony » Law était à la tête de la 29e flottille. Ses mémoires contiennent des réflexions sur ces jours calmes :
« La vie est agréable à Ramsgate [R.-U.], et le temps superbe. Le matin, la flottille s’attelle au nettoyage des navires, l’après-midi, elle a quartier libre. Marins et officiers profitent de la plage de sable, sous les falaises blanches. Après les jours pénibles et lugubres de la Normandie, c’est un plaisir merveilleux de pouvoir se détendre et s’exposer aux rayons du soleil jusqu’à acquérir un bronzage d’une jolie teinte cuivrée. Entre deux séances de bains de soleil et de trempettes rafraîchissantes dans l’eau froide et salée, la 29e dispute souvent des matchs endiablés de base-ball ou de football américain sur le sable chaud. Ensuite, vers 19 ou 20 heures, une unité de bateaux prend la mer pour une patrouille nocturne, pendant que ceux qui ne sont pas de service s’empilent dans le vieux taxi pour aller chez M. Lucy, à Margate, déguster un formidable repas couronné par une bouteille de bon vin blanc. »
Après le jour J et la campagne de Normandie, la MRC s’est cantonnée à un rôle secondaire en Europe. Le besoin essentiel de soutenir et de protéger la flotte d’invasion dans la Manche avait disparu, mais il restait d’autres tâches cruciales à accomplir. Les convois de ravitailleurs devaient être protégés lorsqu’ils passaient au large de ports comme celui d’Anvers. La marine avait également fort à faire avec les mines allemandes, d’une part en empêchant les troupes adverses de les placer et d’autre part en éliminant celles présentes sur les routes maritimes. De plus, elle était appelée en soutien de tout débarquement amphibie, le plus important d’entre eux s’étant déroulé sur l’île de Walcheren le 1er novembre. Dans les faits, au cours de l’automne 1944, les MTB canadiens ont souvent « joué au jeu du chat et de la souris » avec leurs homologues allemands. Les S-boot disposaient d’un armement équivalent tout en étant plus rapides. Le début de novembre a été particulièrement chargé pour les flottilles qui ont soutenu les débarquements sur l’île de Walcheren dès le premier jour du mois. Les Canadiens ont réussi à empêcher toute attaque de vedettes lance-torpilles sur la flotte. Les VP-boot (patrouilleurs) lourdement armés représentaient une menace bien plus grande, équipés de canons automatiques intégrés et de terrifiants canons anti-aériens de 88 mm. Tony Law a décrit un affrontement de trois heures avec ces redoutables navires :
« Je sais que ces brutes sont loin d’être des anges de douceur et que, quoi qu’on fasse, elles auront toujours le dessus, surtout par un aussi beau clair de lune. Nous passons la nuit à jouer ensemble à un jeu qui consiste essentiellement à échanger des obus. Ça ne fait de mal à personne, mais nous en retirons une frousse bleue. Dès que nous manœuvrons de façon à occuper une bonne position pour lancer une torpille et que nous sommes prêts à tirer le levier, qu’est-ce qui se produit? Les quatre cavaliers changent de cap pour se diriger vers nous et, rien que pour animer un peu le jeu, ils nous balancent quelques autres obus de 88 mm. »
Ce « jeu » d’un genre particulier s’est finalement achevé lorsqu’Anthony Law a cessé d’attaquer les patrouilleurs ennemis pour se concentrer sur ce qui semblait être deux Schnellboots envoyés pour se joindre aux combats. Après quelques échanges de tirs, Anthony et son équipage se sont rendu compte que les navires en question étaient en fait des MTB britanniques. Par chance, tous les tirs avaient raté leur cible, mais les navires allemands en ont profité pour s’échapper. Bien qu’aucun bâtiment n’ait subi de dégât grave, l’un des marins d’Anthony a succombé.
L’événement le plus notable concernant la 29e flottille canadienne de vedettes lance-torpilles (MTB) s’est produit à la suite d’un accident dans le port d’Ostende en Belgique. Le 14 février 1945, du carburant fuyant de l’un des navires a pris feu, engendrant une série d’explosions qui a dévasté le port. Lorsque le calme est revenu, sept MTB britanniques et cinq canadiennes avaient été détruites, et cinq autres étaient gravement endommagées. Au total, 65 hommes ont perdu la vie, dont 29 Canadiens. De plus, vingt Canadiens avaient été blessés. Cet événement a sonné le glas de la 29e flottille de Tony Law. Les officiers canadiens ont compris que la fin de la guerre était proche et n’ont pas jugé utile de reconstituer la flottille. Dans son rapport final, Tony Law a noté qu’il « est extrêmement regrettable… après les nombreux mois captivants passés ensemble, que la flottille soit dissoute dans des circonstances aussi défavorables ».
Tout comme l’Armée canadienne, la MRC a dû poursuivre les combats jusqu’à la fin de la guerre. La 62e flottille canadienne de vedettes lance-torpilles (MTB) a pris part à l’une des dernières batailles de la guerre dans la nuit du 12 au 13 avril, lorsqu’elle a remarqué la présence de deux E-boot en train de poser des mines dans la mer du Nord. La bataille non concluante s’est révélée être la dernière mission effectuée par des vedettes allemandes durant la guerre. Après l’armistice, les navires militaires canadiens ont poursuivi leurs opérations. La capture des U-boot allemands encore en mer constituait une priorité. Ces navires avaient reçu l’ordre de capituler le 8 mai, mais il n’était pas certain que tous les commandants aient obtenu l’information. Entre-temps, le destroyer NCSM Iroquois ramenait le prince héritier Olav de Norvège chez lui en mai 1945, peu après avoir escorté deux croiseurs allemands vers le port de Kiel. Le NCSM Haida et son navire-jumeau le Huron ont également livré de l’aide humanitaire à plusieurs villes norvégiennes. Le Haida a acquis une notoriété particulière en organisant une fête pour plus de 1 500 enfants reconnaissants. Selon les auteurs d’une histoire officielle de cette période, « après un mois de cette activité trépidante, les trois navires entament leur voyage de retour à travers l’Atlantique. Les marins occupent leurs journées à gratter les couches de peinture mate du temps de guerre et à astiquer les cuivres ainsi révélés. La nuit, ils observent le passage paisible d’autres navires, dont les feux brillent avec éclat pour la première fois en cinq ans. »
Le travail des dragueurs de mines de la MRC s’est poursuivi durant cinq mois après la capitulation allemande; ce fut le temps nécessaire pour éliminer toutes les mines de la Manche. Une fois cette mission achevée, l’Amirauté britannique a exprimé sa reconnaissance aux officiers et aux marins de la 31e flottille canadienne de dragueurs de mines pour « l’excellent travail de la flottille dans les 18 derniers mois. [Votre] lourde tâche… a été effectuée avec un zèle, une efficacité, une résolution et une bonne volonté exemplaires ». Ces paroles concernent également le travail de qualité accompli par la MRC dans les eaux européennes. Bien qu’il soit évident que la bataille de l’Atlantique ait constitué la plus importante contribution de la marine à la victoire, son travail dans les eaux européennes a offert un soutien essentiel à la libération finale des Pays-Bas.
Notes de bas de page
MTB flottilles
