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L’Armée canadienne

L’Armée canadienne qui a pris part à la Seconde Guerre mondiale est restée dans l’ombre du Corps canadien qui a combattu pendant la Première Guerre mondiale. De 1914 à 1918, les Canadiens ont acquis une réputation enviable, celle de constituer sans doute le meilleur corps d’armée allié sur le front occidental. Sous la direction du général Arthur Currie, les Canadiens ont capturé la crête de Vimy en avril 1917, puis se sont démarqués par la réussite de leurs opérations sur le champ de bataille à la côte 70, à Passchendaele, à Amiens, à Arras et à Valenciennes.

Avec l’invasion allemande de la Pologne le 1er septembre 1939 et l’entrée subséquente du Canada dans la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement libéral du premier ministre William Lyon Mackenzie King était soumis à la forte pression de l’opinion publique, qui réclamait l’envoi d’un autre corps expéditionnaire en Europe pour combattre l’Allemagne.

King a tenté de s’y soustraire, se rappelant le fort prix payé lors des combats antérieurs en France et en Belgique. Il s’agissait toutefois d’un débat qu’il ne remporterait pas. En 1942, cinq divisions canadiennes étaient postées au Royaume-Uni. Les premières batailles canadiennes ne se sont pas bien déroulées. La bataille de Hong Kong en décembre 1941 a été désastreuse, tout comme le raid de Dieppe en août 1942. Près d’un an plus tard, l’Armée canadienne ne comptait toujours pas de forces importantes au combat. King a fini par céder aux exhortations des hauts dirigeants de l’armée, des politiciens et du grand public pour que l’armée entre en guerre. Par conséquent, deux divisions canadiennes ont été déployées en Sicile et en Italie. En 1944, l’Armée canadienne s’est toutefois vu accorder une place d’honneur lorsque le second front, tant attendu, fut enfin ouvert en France. Le jour J, le 6 juin 1944, la 3e division d’infanterie canadienne et la 2e brigade blindée canadienne débarquaient sur la plage Juno pour engager la bataille de Normandie. S’ensuivit alors une période de combat presque ininterrompue qui se terminera avec la reddition de l’Allemagne nazie en mai 1945.


À part le raid de Dieppe et quelques autres missions de courte durée et sans incident, l’Armée canadienne en Angleterre a eu quelques années pour se préparer à la guerre. Les dirigeants militaires ont mené des exercices d’entraînement apparemment interminables pour aguerrir les hommes et écarter ceux qui étaient trop vieux ou incapables de gérer le stress. L’entraînement était individuel et collectif. Les hommes recevaient une instruction de base sur les principes fondamentaux du métier de soldat – comment défiler, saluer, utiliser les armes, etc. Ils étaient également formés dans des métiers particuliers – à la cuisine, à l’assistance médicale, à la maintenance des véhicules, etc. –, ainsi qu’au commandement. Grâce à l’entraînement collectif, les soldats apprenaient à travailler ensemble, d’abord au niveau de la section (10 hommes), ensuite au niveau des pelotons (40 hommes), puis des compagnies (200 hommes), et ainsi de suite. L’entraînement pouvait être monotone, mais le temps passé à se préparer faisait une grande différence au combat. L’importance de cet entraînement sera mise en relief plus tard, lorsque des renforts insuffisamment entraînés arriveront au front.

Longtemps après la fin de la bataille de France, en juin 1940, alors que les Français avaient été vaincus et qu’une flottille de petits bateaux civils avait sauvé l’armée britannique à Dunkerque en laissant tout son équipement, les divisions canadiennes en Angleterre sont devenues les meilleures troupes pour la défense de la Grande-Bretagne.

Les Canadiens cantonnés en Angleterre menaient une bonne vie, bien qu’un peu ennuyeuse. Le climat anglais pouvait devenir très froid et humide. Les troupes attendaient avec impatience les virées en Écosse, à Londres ou au pub local lors des permissions. Ils s’entendaient généralement très bien avec la population locale. En témoignent les milliers de femmes britanniques qui ont épousé des militaires canadiens et émigré avec leurs enfants au Canada pendant la guerre ou peu après son dénouement.

Le raid d’une journée mené sur Dieppe et l’invasion de la Sicile en juillet 1943 ont été les premières batailles importantes livrées par les Canadiens en Europe. En dépit des pertes élevées, les troupes ont pu compter à ce stade de la guerre sur un effectif excédentaire. En fait, le nombre élevé d’officiers formés explique la décision prise alors d’affecter à l’armée britannique près de 700 volontaires dans le cadre du programme CANLOAN. Les Canadiens ont maintenu un nombre suffisant de soldats entraînés pour remplacer leurs pertes au front jusqu’aux violents combats en Normandie, qui révéleront l’insuffisance des renforts.

« Smythe se plaint de l’exposition inconsidérée au danger des troupes non entraînées », lit-on en première page du Globe and Mail le 19 septembre 1944. Conn Smythe était le propriétaire des Maple Leafs de Toronto, dont des joueurs s’étaient portés volontaires pour servir durant les deux guerres mondiales. Gravement blessé en Normandie, il n’a pas hésité à dénoncer la pénurie de bons soldats pour remplacer ceux qui tombaient au combat, en ces termes :

« Il est urgent de former des renforts au sein de l’Armée canadienne.

Pendant mon séjour en France et dans les hôpitaux de France et d’Angleterre, j’ai pu discuter de la situation des renforts avec des officiers d’unités représentant chaque section du Canada. J’ai parlé à des officiers de l’Est du Canada, du Canada français, de l’Ontario et de toutes les provinces de l’Ouest. Ils conviennent que les renforts qu’ils reçoivent à présent sont inexpérimentés et mal formés. Outre ce communiqué d’ordre général, on condamnait plus particulièrement le fait que de nombreuses recrues n’avaient jamais lancé une grenade. »

La situation des renforts à l’étranger a atteint un point critique au lendemain de la campagne de Normandie. Il n’y avait tout simplement pas assez d’hommes d’infanterie entraînés pour remplacer ceux, très nombreux, tués et blessés au combat. La crise couvait depuis un certain temps; en faisant la une de la presse, la déclaration de Smyth a jeté de l’huile sur le feu. La plupart des Canadiens, mais surtout le premier ministre Mackenzie King, se souvenaient de la crise de la conscription lors de la Première Guerre mondiale comme d’une menace à l’unité du pays. Personne ne voulait que se répètent les émeutes de la ville de Québec en 1918, qui avaient fait 150 victimes et mobilisé 6 000 soldats pour rétablir l’ordre.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Mackenzie King cédait aux pressions pour rendre la conscription obligatoire, mais celle-ci ne visait que la défense du Canada. Les conscrits ne pouvaient être envoyés outre-mer que s’ils se portaient volontaires. Selon la célèbre formule de King, c’était « la conscription si nécessaire, mais pas nécessairement la conscription ». Les conscrits du Canada, couramment appelés les « zombies », étaient critiqués parce qu’ils ne participaient pas au service de guerre. Farley Mowat, auteur et soldat, rapporte dans ses mémoires qu’il détestait sauvagement ceux qui portaient l’uniforme et refusaient de faire les sacrifices consentis par lui et ses frères d’armes en Italie et dans le nord-ouest de l’Europe.

L’article de Smyth, combiné avec l’augmentation des pertes à l’étranger, a forcé King à envoyer des conscrits au combat. Si cette décision a provoqué de profondes dissensions au sein de son cabinet et menacé d’isoler le Québec une fois de plus, King sentait qu’il n’avait plus le choix. Finalement, le gouvernement fédéral a autorisé l’envoi à l’étranger de 16 000 conscrits. De ce nombre, 2 463 hommes ont atteint les lignes de front et 69 conscrits ont été tués au combat. Les chiffres indiqués semblent faibles, mais il n’en était rien. C’était la différence par rapport à un fragile sous-effectif, celle qui, en définitive, a permis de sauver des vies.


Selon un vieil adage, la guerre a été « une longue période d’ennui ponctuée de moments de terreur ». Cette description correspondait certainement aux expériences de l’Armée canadienne. Le nombre réel de jours passés au combat ou sur les lignes de front était petit comparativement à celui où les troupes n’étaient pas en contact avec l’ennemi. Lorsqu’ils ne servaient pas sur la ligne de front, les hommes vaquaient à leurs occupations quotidiennes, mais étaient sur le qui-vive. De même, si la Normandie a tenu occupée l’Armée canadienne, quelques semaines de calme relatif ont suivi. De la mi-septembre au début du mois d’octobre, il y a eu des moments d’intenses combats dans les ports de la Manche et dans l’estuaire menant au port d’Anvers. Mais après ces opérations, le commandant allié a retiré l’Armée canadienne des lignes de front jusqu’au début de l’opération « Véritable », le 8 février. Les Canadiens n’ont donc pas joué un rôle actif dans la bataille des Ardennes, lors de la grande offensive lancée par les Allemands pour s’emparer d’Anvers. Les régiments ont mis ce temps d’arrêt à profit en reconstruisant leurs compagnies et leurs escadrons, en formant des remplaçants et en faisant la réparation et l’entretien des armes, de l’équipement et des véhicules.

Une de ces interruptions, survenue le 19 octobre 1944, a été décrite dans le journal de guerre du Canadian Scottish Regiment :

« Les personnes, alignées en files d’attente, étaient agréablement surprises de trouver un petit déjeuner presque canadien. Il ne manquait que les rôties (la bouillie, le bacon, les œufs et le café étaient bons). Après le repas, la plupart des troupes ont trouvé un endroit sec et chaud pour se recoucher. Les hommes ne se seraient pas lassés de ce traitement. Des bains ont été organisés, suivis de parades de propreté. La Légion canadienne a montré un film à l’attention de ceux qui avaient été continuellement sous le feu. Dans l’après-midi, le sommeil perdu rattrapé, les hommes ont pu s’adonner à la rédaction de lettres et commencer à raconter. »

C’est étonnant ce qu’un peu de bonne nourriture et de repos peuvent faire pour remonter le moral des hommes.

Il y avait aussi des périodes de repos et de récréation. Le journal de guerre du South Alberta Regiment relate un tel événement en pleine bataille de la Rhénanie :

« Une fois de plus, les activités de l’équipe de hockey sont le point culminant de la journée à Anvers. Ils semblent s’amuser à se promener dans tout le pays et les gars qui s’arrêtent voir les parties sont heureux de se retrouver dans une grande ville après avoir traversé ces petits villages et ce pays de digues. Cependant, les bombes volantes pleuvaient, 17 étaient tombées en une nuit près des gîtes des gars. Nous avons disputé un match contre Argyll and Sutherland Highlanders of Canada et nous avons gagné 5 à 0. Les marqueurs étaient Trotter 2, Tannar, McKee et le Lt Crawford. Trottier a été l’étoile du match; le Cpl Griffin était à nouveau en grande forme au but et toute l’équipe a très bien joué. Sinon, cela a été une journée tranquille. Le régiment a vaqué à ses fonctions habituelles. Les escadrons ont fait l’entretien. »

(Journal de guerre du South Alberta Regiment, 16 février 1945)

Les pauses régulières, importantes pour les soldats, ne les empêchaient pas de céder à l’épuisement au combat. Appelée « traumatisme dû au bombardement » pendant la Première Guerre mondiale et « trouble de stress post-traumatique » (TSPT) de nos jours, cette blessure mentale était difficile à prévoir. De nombreux soldats ont servi pendant toute la guerre sans ressentir aucun effet néfaste, tandis que d’autres ont succombé à la pression dès leur première exposition au feu ennemi. Les soldats atteints de TSPT présentent des réactions extrêmes de peur et d’anxiété, qui provoquent des tremblements incontrôlables, un sursaut au moindre bruit de guerre et une perte totale de confiance en soi. Ils semblent également déprimés et repliés sur eux-mêmes.

Les médecins militaires étaient formés pour traiter les cas d’épuisement. La première étape du traitement se déroulait près des lignes de front, où les soldats recevaient un sédatif pour dormir une nuit entière. Puis on leur accordait un court congé. Cette période d’absence suffisait généralement à les rétablir et à les réintégrer dans leur unité. Les cas les plus graves étaient évacués du front; beaucoup de ces hommes ne sont pas retournés au combat. Les hauts dirigeants de la Première Armée canadienne craignaient que les combats intenses d’octobre 1944 n’augmentent le nombre de cas d’épuisement au combat, ce qui aurait aggravé le problème des renforts. En fin de compte, le calme relatif de l’hiver 1944-1945 a permis à beaucoup d’hommes de se rétablir et de reprendre le service en vue de la dernière poussée vers la fin de la guerre.


Nos dernières réflexions porteront sur la question des « épouses de guerre ». Vu tout le temps passé en Angleterre, loin de chez eux, par de nombreux soldats canadiens, il n’est guère étonnant que des relations, des mariages et des enfants aient vu le jour. Comme l’Armée canadienne a passé la plus grande partie de la guerre au Royaume-Uni (R.-U.), la grande majorité des épouses de guerre et des enfants étaient britanniques. Près de 45 000 femmes et 21 000 enfants ont émigré au Canada à partir du R.-U. Le deuxième plus important contingent d’épouses de guerre est venu des Pays-Bas. Près de 2 000 Hollandaises et plus de 400 enfants ont quitté leur pays pour rejoindre au Canada les soldats canadiens devenus des époux ou des pères. Bon nombre ont traversé l’océan à bord du navire de transport de troupes Mauretania II, qui a accosté à Halifax le 9 février 1946 avec 1 800 femmes et enfants néerlandais. Cette entreprise entièrement financée par le gouvernement canadien a été surnommée l’« opération Daddy » dans les journaux.


En septembre 1941, près de 125 000 soldats canadiens formés sont arrivés en Angleterre. Leur commandant, le lieutenant-général Andrew McNaughton, les a décrits comme « un poignard pointé vers le cœur de Berlin ». Cette image frappante a ravi un public canadien désireux de voir son armée au combat. En vérité, le poignard n’était pas encore bien aiguisé. Certains ont été déçus de voir les Canadiens tenus à l’écart pendant que les soldats britanniques, australiens, néo-zélandais, ralliés par les Américains après décembre 1941, luttaient âprement pour vaincre Hitler. Cependant, l’heure H pour les Canadiens allait bientôt sonner. Les Siciliens, les Normands et, surtout, les Hollandais leur seraient à jamais reconnaissants.