Henrietta Ball Banting

Après avoir divorcé de sa première épouse, Marion Robertson, le Dr Frederick Banting a marié plusieurs années plus tard Henrietta Ball, 21 ans plus jeune que lui, suscitant la consternation de nombre de personnes qui prétendaient le connaître. Henrietta, qui deviendra la célèbre lady Banting, était une obstétricienne accomplie, championne de la prévention du cancer du sein au Canada par la mammographie systématique. D’aucuns diront que les accomplissements scientifiques d’Henrietta Banting sont tout aussi remarquables que ceux de son époux dans les domaines de la médecine et de la recherche. Pourtant, toute sa vie, elle sera lady Banting, l’épouse discrète d’un homme dont les hauts faits auront éclipsé les siens. De plus, contrairement à son mari dont le prestige n’a cessé de grandir à titre posthume, l’histoire d’Henrietta est vite tombée aux oubliettes, classée dans les archives de l’histoire médicale de Toronto.

Lady Banting est née Henrietta Elizabeth Ball le 14 mars 1913 à Stanstead, au Québec. L’aînée de trois sœurs, elle n’était qu’une enfant lorsque son père est mort et que sa mère a déménagé son foyer à la ferme familiale à Newcastle, au Nouveau-Brunswick. Jeune femme, Henrietta a fréquenté l’Université McGill pendant un an avant de poursuivre ses études à l’Université Mount Allison, à Sackville, au Nouveau-Brunswick, où elle a obtenu un baccalauréat ès sciences en biologie en 1932. Elle a travaillé comme technicienne de laboratoire pendant trois ans à l’Hôpital général de St John’s, au Nouveau-Brunswick. En cette époque caractérisée par la faible présence des femmes dans les domaines des sciences et des technologies, Henrietta a fait preuve d’une remarquable persévérance en décidant de poursuivre ses études pour se consacrer à la recherche et au développement. Elle s’est rendue en Ontario pour décrocher un diplôme supérieur et s’est inscrite au programme de maîtrise ès sciences en recherche médicale de l’Université de Toronto, tout en menant sa propre recherche à l’Institut Banting, travaillant notamment comme assistante de recherche de Frederick Banting. Son intelligence et son éthique de travail hors pair témoignaient de dispositions naturelles pour les études.
En 1947, Henrietta a demandé à son exécuteur testamentaire de détruire toutes les lettres d’amour que Banting lui avait envoyées. Aussi ne sait-on que très peu de choses au sujet de leurs fréquentations et du temps où Banting la courtisait à l’institut éponyme. Un fait avéré, c’est qu’Henrietta s’est installée à London, en Ontario, peu après avoir obtenu sa maîtrise en 1938 pour poursuivre ses recherches. Banting s’est acharné à la retrouver. Elle l’a finalement épousé en juin 1939, lors d’une cérémonie privée à Toronto. Henrietta Ball est donc devenue Mme Banting, mais on l’appelait lady Banting, puisqu’elle avait été sacrée chevalière quelques années auparavant, en 1934. En contractant ce mariage, la jeune Henrietta s’est retrouvée avec un titre d’honneur, un beau-fils de 10 ans et les attentes que les gens plaçaient en l’épouse d’un héros national. Elle était aussi l’héritière directe d’un legs particulier, car Banting était, après tout, le premier prix Nobel du Canada. Le portrait que Banting a brossé de son épouse dans son journal intime évoque une relation qui avait besoin de temps pour s’épanouir. Le scientifique nourrissait un sentiment d’insécurité à l’égard de sa jeune épouse, déclarant, malgré l’absence apparente de preuves, qu’« elle pourrait changer à mon égard »[i]. Même si la grande différence d’âge d’Henrietta, qui ne s’était jamais mariée auparavant, a porté plusieurs à croire à une union mal assortie, les époux partageaient une passion commune pour la médecine et la recherche. Leur attirance mutuelle n’aurait donc dû guère surprendre.
Le 20 février 1941, sir Frederick Banting, époux et père, a péri dans l’écrasement d’un avion avec deux membres de l’équipage. Le Canada a perdu en ce jour fatidique son héros national, un chirurgien et un chercheur passionné. L’interruption brutale des recherches de Banting s’est alors révélée un puissant catalyseur d’énergie qui poussa Henrietta à se lancer dans la pratique médicale et à reprendre la recherche scientifique qu’elle avait délaissée depuis son mariage. À peine dix mois après le décès de son mari, Henrietta s’est inscrite à la faculté de médecine de l’Université de Toronto. Sa maîtrise et ses années d’expérience en laboratoire lui ont permis de sauter la première année et de commencer en deuxième. Aux yeux de nombre de personnes, Henrietta ne faisait que perpétuer l’œuvre de son mari plutôt que d’assumer sa vocation médicale. Tout comme son époux l’avait fait pendant la Grande Guerre, Henrietta s’était portée volontaire pendant la Seconde Guerre mondiale en s’enrôlant dans le Corps de santé royal canadien. Ce geste a relancé les spéculations sur son désir de suivre les traces de son mari. C’était cependant ignorer le fait que la plupart des membres de sa cohorte s’étaient déjà enrôlés dans les Forces armées canadiennes au moment où Henrietta obtenait son diplôme en 1945. Henrietta était bien consciente des privilèges associés au titre qu’elle avait reçu en épousant le Dr Banting – par exemple, elle avait été dispensée du paiement des droits de scolarité par l’école de médecine. En entrant dans l’armée, elle est devenue admissible à une bourse d’études. Elle a alors avisé l’intendant de supprimer l’exemption des droits de scolarité.
Ses études de médecine ont été ponctuées d’embûches. Être la veuve d’un héros national ne lui facilitait aucunement la vie. Connue de tout le corps professoral, et sans contredit la plus ancienne de sa classe d’une bonne dizaine d’années, Henrietta devait jongler avec sa vie d’étudiante en médecine et sa notoriété de veuve d’un Nobel. Ses apparitions publiques lors d’événements et de cérémonies étaient très appréciées, notamment pendant ses études de médecine, au moment où le pays ressentait encore le vide causé par le décès tragique de Banting. Ses nombreuses visites protocolaires en qualité de veuve du Dr Banting, tant au Canada qu’à l’étranger, ne l’ont pas empêchée de devenir en 1948 la première femme canadienne à être admise au Royal College of Obstetrics and Gynaecologists de Londres. En outre, elle a obtenu la même année un poste d’enseignante à Hong Kong.


De retour au Canada, elle s’est jointe à une obstétricienne bien connue de Toronto, la Dre Marion Hilliard. Plus tard, elle sera à nouveau la « première », cette fois à se voir octroyer une bourse de recherche au nom de la Dre Hilliard au Women’s College Hospital. Nommée directrice de la clinique de dépistage du cancer du sein à cet hôpital en 1958, elle a occupé ce rôle jusqu’à sa retraite en 1971. Lorsque cette clinique a ouvert ses portes, seules 24 femmes pouvaient être évaluées chaque mois, alors que la demande pour les services de la clinique était beaucoup plus élevée. En 1966, sous la direction d’Henrietta, la clinique a été transférée dans des locaux plus grands. Dès lors, plus de 500 patientes pouvaient être examinées chaque mois. La capacité d’accueil accrue de la nouvelle clinique et la plus grande accessibilité des mammographies de dépistage ont marqué un moment déterminant pour les Canadiennes.
En 1967, Henrietta Banting a participé à une étude révolutionnaire qui évaluait l’efficacité de la mammographie comme outil diagnostique pour la détection précoce du cancer du sein. Les résultats de l’étude qu’elle a menée de concert avec la Dre Elizabeth Forbes, cheffe du service de radiologie du Women’s College Hospital, ont été publiés dans le Journal de l’Association canadienne des radiologistes en 1967. Il s’agissait alors de « l’un des premiers articles scientifiques canadiens sur la mammographie ». À la suite de la publication de cette étude, le Women’s College Hospital a fait figure de pionnier en étant le premier en Ontario à utiliser la mammographie comme outil de dépistage systématique du cancer du sein.

Embrassant l’idéologie féministe tout en montrant des tendances traditionalistes, Henrietta s’est exprimée à la fin de sa vie sur les potentialités des femmes : « Il n’est pas dit que les années passées à élever une famille doivent épuiser les capacités physiques ou le potentiel intellectuel d’une femme. Une femme d’une quarantaine d’années, si elle a cultivé son esprit dans la vingtaine, devrait pouvoir revenir à la vie communautaire et publique[ii]. » Henrietta a également milité pour un meilleur accès des femmes aux services de planification des naissances. Après mûre réflexion, elle a décidé de recruter des patientes pour ses études sur la mammographie au Women’s College Hospital. Cette décision a permis au personnel médical, à l’équipe de recherche et aux participantes à l’étude – uniquement des femmes – de contribuer à la recherche scientifique, dominée à l’époque par les hommes.
Si le nom de « Banting » a indéniablement fait avancer sa carrière médicale, il n’en demeure pas moins que Henrietta s’est prévalue de son privilège pour défendre les droits des femmes dans le domaine de la médecine pendant sa vice-présidence de la Medical Women’s Association. Elle a affirmé que la popularité incontestable de la clinique de mammographie constituait une « preuve supplémentaire du besoin continu de services médicaux destinés aux femmes et prodigués par des femmes[iii] ». Elle a plaidé pour la présence accrue des femmes dans la profession médicale, allant jusqu’à déclarer qu’elles étaient plus aptes que les hommes à œuvrer en santé publique et en médecine sociale. « Leur persévérance, leur patience et leur souci manifeste du bien-être d’autrui les prédisposent naturellement à faire carrière en médecine. Du reste, ce travail long, ardu et fastidieux est souvent mieux accompli par les femmes que par les hommes[iv]. »

La biographie d’Henrietta dévoile deux facettes de la même femme : celle qui a été l’épouse perpétuant l’œuvre héroïque de Frederick Banting par son travail médical; celle qui, indépendamment de son époux, a fait œuvre de pionnière dans le dépistage du cancer et qui mérite d’être reconnue à part entière. Contrairement au Dr Banting, célébré de son vivant pour ses réalisations novatrices dans le domaine du diabète, Henrietta Ball Banting est passée incognito. Son nom résonne très peu dans la mémoire des Canadiens, même si après le décès de son mari, elle a réalisé ses aspirations médicales et permis de grandes avancées en matière de santé au pays. Malheureusement, après sa mort, son histoire est tombée dans l’oubli. Si nous connaissons dans les moindres détails la vie du Dr Banting, nous en savons fort peu sur la vie personnelle d’Henrietta, celle qui a été « lady Banting ». Henrietta ne s’est jamais remariée. Nombre de personnes ont présumé qu’elle voulait rester fidèle à la mémoire de son mari, alors que d’autres ont supposé qu’elle ne voulait pas répéter l’expérience du mariage. Comme Henrietta a amorcé sa carrière médicale après la mort de son mari, il est possible qu’elle ait cédé à la norme sociétale de l’époque. Les femmes devaient autrefois choisir entre embrasser une carrière médicale ou se marier et fonder une famille; la conciliation des vies professionnelle et personnelle n’était ni populaire ni possible.
Dre Henrietta Ball Banting a été emportée à 64 ans par un cancer du cerveau au Women’s College Hospital. Elle a été enterrée aux côtés de son époux, le Dr Frederick Banting, au cimetière Mount Pleasant, à Toronto. Tous deux resteront à perpétuité dans la mémoire collective comme M. et Mme Banting, partenaires de recherche, même si leur vie commune a été de brève durée – lui, pour avoir découvert l’insuline qui a permis de traiter une maladie autrefois fatale; elle, pour avoir œuvré à la détection et à la prévention d’une maladie potentiellement mortelle.
Bibliographie
« Lady Henrietta Banting: a Life of Service », Canadian Medical Association Journal, 8 janvier 1977.
www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1879130/pdf/canmedaj01495-0086.pdf
Janice Dickin. « “By Title and by Virtue”: Lady Frederick and Dr Henrietta Ball Banting », dans Great Dames, Toronto, University of Toronto Press, 1997, p. 245.
Rachel Delle Palme, « Dr. Henrietta Banting — Banting House », publié par bantinghouse, 8 mars 2019.
bantinghousenhs.ca/2019/03/08/dr-henrietta-banting/
Denisa Popa. « Henrietta, l’autre Dr. Banting: Early Mammography Research at Toronto’s Women’s College Hospital (1967) », Association pour l’histoire de la science et de la technologie au Canada, 17 août 2020.
cstha-ahstc.ca/2020/08/14/henrietta-the-other-dr-banting-early-mammography-research-at-torontos-womens-college-hospital-1967/
[i] Janice Dickin, « “By Title and by Virtue”: Lady Frederick et Dr Henrietta Ball Banting », dans Great Dames, Toronto, University of Toronto Press, 1997, p. 245-263.
doi.org/10.3138/9781442675506-013
[ii] Janice Dickin, « “By Title and by Virtue”: Lady Frederick and Dr Henrietta Ball Banting », dans Great Dames, sous la direction d’Elspeth Cameron et de Janice Dickin, Toronto, University of Toronto Press, 1997, p. 259.
[iii] « Lady Henrietta Banting: a Life of Service », Canadian Medical Association Journal, vol. 116, 8 janvier 1977.
www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1879130/pdf/canmedaj01495-0086.pdf
[iv] Ibid.