Citez

Dre Lillian Chase

Une femme d’action au franc-parler

[TRADUCTION] « Il y a trois questions à se poser si l’on veut contrôler le diabète. 1) Peut-on empêcher sa progression? 2) Lorsque la maladie se déclare, peut-on la découvrir rapidement? 3) Qu’on détecte la maladie tôt ou tard, peut-on la contrôler de façon à ce que le patient puisse vivre une vie normale? […] Toute maladie qui arrive au 10e rang des causes de décès, qui est en hausse et qui risque fort de suivre cette tendance mérite qu’on lui accorde plus de temps et d’attention dans le cadre du cursus médical. »

Dre Lillian A. Chase, « Diabetes Mellitus: Problems of its Control » dans le Canadian Medical Association Journal, (mars 1941)
Photographie de la jeune Lillian Chase. Université Acadia.

Lillian Chase est née à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse, en 1894. Fille d’une enseignante de Toronto et d’un agriculteur diplômé du Collège d’agriculture de l’Ontario, Lillian était une enfant studieuse et sportive. Elle a fréquenté l’école de Wolfville au début de sa scolarité et a ensuite rejoint les équipes de hockey et de basketball de Port Williams. Ces équipes étaient situées de l’autre côté de la rivière Cornwallis, en face de Wolfville, ce qui a donné à Lillian l’occasion de jouer contre sa sœur, Sue.[i] Jeune fille, Lillian participait également à des compétitions de tennis.

En 1912, Lillian, alors âgée de 18 ans, s’inscrit à l’Université Acadia, où elle joue un rôle actif au sein de l’association étudiante et des sociétés littéraires, et où elle devient rédactrice en chef d’Athenaeum, le magazine étudiant[ii]. Encore très sportive, Lillian se joint rapidement aux équipes féminines de hockey et de basketball de l’Université. Elle manifeste de réelles compétences de leader lors des compétitions hors ligue et « donne l’exemple à l’ensemble des athlètes féminines d’Acadia[iii]. » Pour promouvoir le succès de ces athlètes, le numéro d’avril 1914 d’Athenaeum rapporte : [TRADUCTION] « L’équipe féminine de hockey est une nouveauté à Acadia. Tous ceux qui sont liés de loin ou de près au collège manifestent un grand intérêt pour cette activité et lorsque l’on a annoncé une partie en public le 5 mars, tout le monde s’est efforcé d’y assister… Les filles ont surpris les spectateurs par la qualité de leur jeu.[iv] » Lilian est une des « femmes d’exception de la cohorte de 1916 » – dont près de la moitié poursuivront une carrière, un exploit pour l’époque.[v]

« Une vraie petite paysanne (Lillian Chase), du moins si l’on se fie au costume. Été 1918 » Archives de l’Université Acadia, No d’entrée 1969.002-LOC/22
« Mme Chute, Hettie, Ruth Nordforth, Lillian, Lalia au volant de sa voiture. De délicieux moments d’été passés avec les filles d’Acadia, pendant les vacances. » Archives de l’Université Acadia, No d’entrée 1969.002-LOC/22.

Après l’obtention de son diplôme, Lilian reste à la maison pendant un an et enseigne à la petite école de village où son autre jeune sœur, Margaret, est élève en troisième année. Lilian n’aime pas l’enseignement et n’hésite pas à l’avouer, ce qui incite sa mère, dont la sœur a été médecin missionnaire en Chine, à lui proposer d’étudier en médecine[vi]. Lilian, qui a été une ardente missionnaire volontaire au collège, la prend au mot et s’inscrit à l’école de médecine de l’Université de Toronto. Elle obtient son diplôme en 1922. Elle fait ensuite son internat dans des cliniques de Philadelphie et à l’hôpital général de Toronto, où elle peut observer le fonctionnement de la nouvelle clinique du diabète de l’hôpital. Son professeur, le Dr McPhedran, présente à la classe un jeune garçon diabétique de 14 ans, Leonard Thompson, et c’est à ce moment que Lilian est témoin des premières injections d’insuline sur un être humain. Elle reviendra plus tard sur ce moment dans son article de 1941 intitulé « Diabetes Mellitus: Problems of its Control » :

[TRADUCTION] « Il y a DIX-HUIT ans, le printemps dernier, j’ai vu le premier enfant à recevoir de l’insuline. Le professeur McPhedran, maintenant décédé, présentait à ses étudiants de cinquième année en médecine, dont je faisais partie, un petit garçon diabétique qui, en plus du traitement habituel contre le diabète, avait reçu deux doses du « fluide de Banting ». J’aimerais pouvoir dire que nous avons alors tous été témoins d’une grande découverte, mais au contraire, avec toute l’insouciance qui caractérise la jeunesse, nous étions plus intéressés par le dîner du samedi qu’à ce que nous expliquait le professeur. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il s’agissait là d’un événement historique[vii]. »

Lillian sera fascinée par cette expérience, au point de poursuivre des études supérieures sur le diabète à la faculté de médecine de la University of Rochester, à New York.

Cette connaissance pratique et approfondie du nouveau traitement contre le diabète lui ouvre de nombreuses possibilités professionnelles, mais elle décidera plutôt de pratiquer la médecine générale à Regina, en Saskatchewan, de 1925 à 1942. Elle poursuit sa pratique tout au long de la grande dépression, qui touche plus sévèrement l’Ouest du pays. Ses années d’études à Toronto ont cependant coïncidé avec la découverte et le développement de l’insuline, ce qui incite les médecins de la Saskatchewan à la consulter pour leurs patients atteints de diabète[viii]. Lilian se bâtit une solide et excellente réputation dans la province et consacre souvent ses temps libres à enseigner et à encadrer des étudiantes en soins infirmiers, ainsi qu’à s’adresser aux femmes de la région[ix]. Cette volonté de transmission témoigne de son évolution en tant que professionnelle de la santé et marque un fort contraste avec sa première profession d’enseignante, un métier qu’elle détestait, affirmant qu’elle « préférerait récurer des planchers[x]. » En 1932, elle sera élue première présidente de l’hôpital général de Regina[xi].

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, en 1939, Lillian comprend qu’elle a le devoir, en tant que Canadienne ayant reçu une formation médicale, d’aider comme elle le peut. Elle se joint donc au Corps médical de l’Armée royale canadienne (RCMC) en 1942, tout en poursuivant son travail avec les diabétiques. Lors de ses trois années au sein du RCMC, elle fait la navette entre l’Angleterre et le Canada pour soigner les troupes à bord des navires, et travaille également à l’hôpital Sunnybrook[xii]. Les soins prodigués à des soldats canadiens blessés et malades opposent un contraste frappant avec les miracles de l’insuline, un paradoxe que Lilian observe et dont elle dira en 1941 : « Ce que je dis aux garçons diabétiques, alors que leurs contemporains sont décimés par la guerre, c’est qu’ils doivent acquérir une bonne éducation et se préparer à diriger le pays[xiii]. »

Lorsque la guerre prend fin en 1945, Lilian commence à se spécialiser en médecine interne pour les hôpitaux de Toronto et se joint au personnel du Women’s College Hospital (WCH). De concert avec la faculté de médecine, elle organise chaque semaine des cliniques du diabète dans le cadre des services ambulatoires de l’hôpital. Constatant que de nombreux diabétiques ne comprennent pas leur maladie, elle s’emploie à leur expliquer leur condition pendant qu’ils attendent leurs résultats du laboratoire[xiv].

Lillian est une femme franche qui ne craint pas d’exprimer librement ses opinions. Au sujet des restrictions alimentaires imposées aux femmes canadiennes, elle dit :

[TRADUCTION] « La femme canadienne moyenne qui entretient son propre ménage n’a pas déjà terminé de laver la vaisselle qu’elle doit commencer à penser au prochain repas. L’alimentation est un aspect important de sa vie. Après avoir nourri sa famille, l’un de ses principaux loisirs est d’aller prendre le thé chez des amies. Habiller la table avec des chandelles et des fleurs, de jolies nappes crochetées et d’appétissants gâteaux est pratiquement un sport d’hiver national. Le médecin qui retire cette composante cruciale de la vie d’une femme, non pas parce qu’elle souffre du diabète, mais parce que sa grand-tante en souffrait, devra être très convaincant! Et la femme qui écoute les conseils de ce médecin sera assez peu populaire dans ses cercles d’amies; aucune hôtesse ne veut passer la moitié de la journée à confectionner un savoureux dessert à base de sucre et de crème fouettée pour se faire dire par ses invitées : « Non merci! ». Ces thés d’après-midi sont aux femmes ce que les parties de poker sont aux hommes, une institution avec laquelle on ne peut interférer qu’à ses risques et périls![xv] »

Même si cet extrait est de nature humoristique, il illustre bien le rôle que l’on attend des femmes à l’époque, tant en société qu’à la maison. Il évoque également l’importance de la nourriture dans l’identité canadienne, et par conséquent, le sentiment d’exclusion que peuvent vivre les diabétiques. Lilian est également l’une des premières professionnelles de la santé à relier le diabète aux communautés à plus faibles revenus, un constat qui va à l’encontre de la perception selon laquelle le diabète est une maladie de gens riches. Elle explique :

[TRADUCTION] « Le [Dr Elliot P.] Joslin avance la théorie selon laquelle une vie de bonne chère mène au diabète. Il explique que « lorsque les conditions de vie sont faciles, la nourriture abondante et à bon prix pendant de longues périodes, et qu’un grand nombre de personnes s’habituent à consommer plus de nourriture que ne l’exige leur dépense énergétique, il en résulte fréquemment des problèmes de surpoids et de diabète ». Cette théorie paraît convaincante et semble correspondre aux faits observés au Canada. En effet, en Ontario, province riche, les taux de diabète sont élevés; en Saskatchewan, une province frappée par la pauvreté, ce taux est faible. Mais je ne crois pas en cette théorie. Le diabète ne se limite pas aux gens riches. Les femmes riches ont les moyens d’engager du personnel pour se charger des tâches ménagères pendant qu’elles contrôlent leur poids en jouant au badminton et au golf. Les riches ont les moyens d’acheter de la laitue et des tomates, des fruits, alors que les pauvres doivent se nourrir de pain et de porridge, de patates et de porc salé. Les aliments à faible teneur en calories, savoureux et rassasiants, sont très chers[xvi]. »

Dre Lillian Chase, plus âgée. The Miss Margaret Robins Archives, Women’s College Hospital.

Lilian gagne en notoriété en devenant l’un des membres fondateurs de l’Association canadienne du diabète, formée en 1953 (plus tard appelée Diabète Canada en 2017)[xvii]. En 1967, elle sera nommée membre émérite de l’Association médicale canadienne, et en 1969, elle reçoit un doctorat honorifique en sciences de son alma mater, l’Université Acadia. Peu après, Lilian prendra sa retraite, ce qui lui permet de passer du temps avec les membres de sa famille rapprochée, ses neveux et nièces, enfants de ses sœurs Margaret (Mary) et Sue, et de Robert[xviii]. Lillian est restée célibataire et n’a pas eu d’enfant, car à l’époque où elle aurait pu se marier, soit pendant la Première Guerre mondiale, tous les hommes de son âge étaient partis sur les champs de bataille. Vers la fin de la guerre, elle se donnait déjà corps et âme à sa pratique et à son travail; la grande dépression et la Seconde Guerre mondiale qui s’ensuivent ne font que raffermir son dévouement. Lilian poursuit son travail de médecin et est satisfaite de sa vie de famille avec ses neveux et nièces, qu’elle considère comme ses « héritiers ». La Dre Lillian Chase décède à Ottawa, le 28 août 1987, deux mois après son 93e anniversaire[xix].


[i]  “Lillian Chase, ‘16” in Voices of Acadia (Vol. III, April, 2020), https://www2.acadiau.ca/alumni-friends/alumni/news/alumni-spotlight/alumni-spotlight-reader/voices-of-acadia-lillian-chase-16.html

[ii] “Lillian Alice Chase: Chase Plays Chase” in Turn Out and Cheer! Sports in Wolfville, 1870-1950, Female Athletes, (2006), https://library.acadiau.ca/files/sites/archives/special_projects/sporthistory/athletes/female/chase.html.

[iii] “Lillian Alice Chase: Chase Plays Chase” in Turn Out and Cheer! Sports in Wolfville, 1870-1950, Female Athletes, (2006), https://library.acadiau.ca/files/sites/archives/special_projects/sporthistory/athletes/female/chase.html.

[iv] “Lillian Alice Chase: Chase Plays Chase” in Turn Out and Cheer! Sports in Wolfville, 1870-1950, Female Athletes, (2006), https://library.acadiau.ca/files/sites/archives/special_projects/sporthistory/athletes/female/chase.html.

[v] “Lillian Alice Chase: Chase Plays Chase” in Turn Out and Cheer! Sports in Wolfville, 1870-1950, Female Athletes, (2006), https://library.acadiau.ca/files/sites/archives/special_projects/sporthistory/athletes/female/chase.html.

[vi] Esther Clark Wright, “Miss Chase, Miss Chute, Miss Clarke” in The Acadia Alumni Bulletin, Vol. 72, Iss. 1 (1987/1988 Winter), https://archives.acadiau.ca/islandora/object/special%3A301.

[vii] Lillian A. Chase, “Diabetes Mellitus: Problems of its Control” in The Canadian Medical Association Journal, (March, 1941), p. 250-255, https://europepmc.org/backend/ptpmcrender.fcgi?accid=PMC1826722&blobtype=pdf.

[viii] Esther Clark Wright, “Miss Chase, Miss Chute, Miss Clarke” in The Acadia Alumni Bulletin, Vol. 72, Iss. 1 (1987/1988 Winter), https://archives.acadiau.ca/islandora/object/special%3A301.

[ix]  “Lillian Chase, ‘16” in Voices of Acadia (Vol. III, April, 2020), https://www2.acadiau.ca/alumni-friends/alumni/news/alumni-spotlight/alumni-spotlight-reader/voices-of-acadia-lillian-chase-16.html and Fay Hutchinson, “Chase, Lillian (ca. 1894-1987)”, University of Regina and Canadian Plains Research Center (2007), https://esask.uregina.ca/tmc_cms/modules/customcode/includes/print_entry.cfm-entryid=73457E8F-1560-95DA-43A561E233D68192.jsp.

[x] Esther Clark Wright, “Miss Chase, Miss Chute, Miss Clarke” in The Acadia Alumni Bulletin, Vol. 72, Iss. 1 (1987/1988 Winter), https://archives.acadiau.ca/islandora/object/special%3A301.

[xi]  “Lillian Chase, ‘16” in Voices of Acadia (Vol. III, April, 2020), https://www2.acadiau.ca/alumni-friends/alumni/news/alumni-spotlight/alumni-spotlight-reader/voices-of-acadia-lillian-chase-16.html

[xii] Esther Clark Wright, “Miss Chase, Miss Chute, Miss Clarke” in The Acadia Alumni Bulletin, Vol. 72, Iss. 1 (1987/1988 Winter), https://archives.acadiau.ca/islandora/object/special%3A301.

[xiii] Lillian A. Chase, “Diabetes Mellitus: Problems of its Control” in The Canadian Medical Association Journal, (March, 1941), p. 250-255, https://europepmc.org/backend/ptpmcrender.fcgi?accid=PMC1826722&blobtype=pdf.

[xiv] Heather Gardiner, “The History of Diabetes Care at Women’s College Hospital” in Connect: Women’s College Hospital Publication, (November 16, 2017), https://www.womenscollegehospital.ca/news-and-publications/Connect-2017/the-history-of-diabetes-care-at-womens-college-hospital

[xv] Lillian A. Chase, “Diabetes Mellitus: Problems of its Control” in The Canadian Medical Association Journal, (March, 1941), p. 250-255, https://europepmc.org/backend/ptpmcrender.fcgi?accid=PMC1826722&blobtype=pdf.

[xvi] Lillian A. Chase, “Diabetes Mellitus: Problems of its Control” in The Canadian Medical Association Journal, (March, 1941), p. 250-255, https://europepmc.org/backend/ptpmcrender.fcgi?accid=PMC1826722&blobtype=pdf.

[xvii] “Lillian Chase, ‘16” in Voices of Acadia (Vol. III, April, 2020), https://www2.acadiau.ca/alumni-friends/alumni/news/alumni-spotlight/alumni-spotlight-reader/voices-of-acadia-lillian-chase-16.html

[xviii]  Esther Clark Wright, “Miss Chase, Miss Chute, Miss Clarke” in The Acadia Alumni Bulletin, Vol. 72, Iss. 1 (1987/1988 Winter), https://archives.acadiau.ca/islandora/object/special%3A301.

[xix] Fay Hutchinson, “Chase, Lillian (ca. 1894-1987)”, University of Regina and Canadian Plains Research Center (2007), https://esask.uregina.ca/tmc_cms/modules/customcode/includes/print_entry.cfm-entryid=73457E8F-1560-95DA-43A561E233D68192.jsp.