Dre Gladys Boyd
Une lutte quotidienne pour la survie au service pédiatrique
Par Anna England

Anna England
Responsable de Projets et Conservatrice Numérique
Anna England est diplômée du programme de maitrise en études muséales de l’université de Toronto et détient aussi une maitrise et un bac en histoire. Anna a travaillé en tant qu’assistante de recherche auprès du Dr Tim Cook au Musée canadien de la Guerre ainsi que dans le rôle d’assistante à la conservation au Royal Canadian Military Institute. De plus, elle a travaillé avec la société d’histoire multiculturelle de l’Ontario et le centre pour anciens combattant de Sunnybrook.
[TRADUCTION] « L’espérance de vie d’un enfant diabétique a déjà été grandement améliorée par l’insuline. […] Le diabète chez les enfants est une maladie qui progresse rapidement; cependant, elle peut non seulement être freinée, mais aussi atténuée grâce à un traitement reposant sur une alimentation adéquate et l’insuline. »
Dre Gladys L. Boyd, « Course and Prognosis of Diabetes Mellitus in Children » dans le Canadian Medical Association Journal (octobre 1927).

Banting, Best, Collip et MacLeod travaillent sans relâche dans leurs laboratoires à tester différentes variantes d’un extrait qui, espèrent-ils, pourra atténuer les conséquences mortelles du diabète. Pendant ce temps, les soignants des services traitant les diabétiques, partout dans le monde, ont peu d’options à offrir à leurs patients : la privation qu’ils doivent imposer aux malades ne les empêche pas de dépérir et contribue à la détérioration de leur état. Au Hospital for Sick Children de Toronto, le travail au quotidien est réalisé par des femmes et lorsque les premières injections d’insuline sont administrées, c’est la Dre Gladys L. Boyd, l’une des premières femmes médecin au Canada, qui participe à l’administration du traitement et aux soins des premiers patients à en bénéficier[i].
Gladys Lillian Boyd obtient son diplôme en médecine de l’Université de Toronto en 1918. Elle a été la directrice du Undergraduate Medical Women’s Council (conseil des femmes en médecine au premier cycle) et est l’une de seulement quatre femmes à obtenir un diplôme en médecine sur une cohorte de près de cent étudiants[ii]. En 1920, elle obtient une bourse de recherche en pédiatrie au Hospital for Sick Children (HSC) et un an plus tard, elle est nommée chef de son service d’endocrinologie[iii]. Les troubles endocriniens perturbent le réseau de glandes qui produisent et libèrent des hormones. Ces hormones permettent de contrôler de nombreuses fonctions importantes du corps, notamment la capacité de transformer les calories en énergie pour alimenter les cellules et les organes. C’est en traitant les enfants de son service que la Dre Boyd commence ses recherches sur le diabète des enfants, la néphrite (inflammation des reins) et la tuberculose.

La Dre Boyd est grandement influencée par les travaux du Dr Banting et de son équipe. Les avancées réalisées pour isoler les extraits nécessaires à la formulation de l’insuline sont impressionnantes et la Dre Boyd est impatiente de mettre à profit ce nouveau traitement dans son service. Elle entend parler du rétablissement presque miraculeux d’enfants diabétiques, comme Leonard Thompson, Teddy Ryder, Elizabeth Hughes, James Havens, Ruth Whitehill et Myra Blaustein, et s’empresse de faire venir ce nouvel extrait au HSC.
La Dre Boyd saisit bien l’importance que la découverte de l’insuline pourrait avoir dans la vie de bon nombre de ses patients. Cependant, Elsie Needham lui paraît la patiente idéale pour recevoir ce traitement. La Dre Boyd a 28 ans et n’a terminé ses études de médecine que depuis quatre ans lorsqu’elle rencontre Elsie pour la première fois[iv]. C’était en octobre 1922 et la jeune fille de 11 ans venait d’être admise au HSC dans un coma diabétique, à l’article de la mort. Après plusieurs jours sans amélioration, la Dre Boyd demande l’aide du Dr Banting afin d’obtenir une fiole de son nouvel extrait. Avec le soutien de la Dre Boyd, le Dr Banting injecte de l’insuline à Elsie. Sous le regard étonné et émerveillé de tout le personnel médical, la jeune fille sort de son coma très peu de temps après avoir reçu son premier traitement. Il s’agira d’un autre grand triomphe pour l’insuline, le Dr Banting et la Dre Boyd.
L’année suivante, en 1923, le Hospital for Sick Children parvient à convaincre le Dr Banting de devenir chercheur affilié et d’utiliser les installations de l’hôpital pour accroître la notoriété de l’établissement[v]. Le Dr Banting fait équipe avec la Dre Boyd et leur « collaboration permet de réduire d’environ 50 % la mortalité infantile liée au diabète sur une période de dix ans » à l’hôpital[vi]. La Dre Boyd prend une telle importance dans son service qu’on lui attribue la création du service d’endocrinologie au Hospital for Sick Children, dont elle sera la chef de service de 1921 à 1950[vii].
Avant que Banting et Boyd ne travaillent officiellement ensemble, et pendant qu’elle poursuit ses recherches, la Dre Boyd se joint au personnel du Women’s College Hospital (WCH) comme chef du service de pédiatrie, en 1922. « En tant qu’unique pédiatre de l’hôpital, elle soigne en moyenne deux cents enfants par année à la clinique ambulatoire de l’établissement, où elle diagnostique une foule de problèmes de santé chez les enfants, des maladies courantes aux troubles plus complexes[viii] ». Elle acquiert une grande notoriété grâce à ses travaux cliniques réalisés pendant cette période et devient « l’une des premières expertes internationales dans le domaine des maladies infantiles[ix] ».

En juin 1923, la Dre Boyd est invitée à parler de ses travaux à la première réunion scientifique annuelle de la Society for the Study of Diseases of Children (plus tard appelée la Société canadienne de pédiatrie), tenue à Montréal. Comme elle est un des premiers médecins au Canada à traiter les enfants diabétiques avec de l’insuline, elle parle de ses résultats et rapporte « 20 cas de diabète traités en 1922 avec de l’insuline […] sur une période de 8 mois », concluant que « l’insuline ne guérit probablement pas la maladie, mais en freine la progression[x]. » En 1924, la Dre Boyd obtient son titre de docteur en médecine après avoir publié une thèse de recherche qui lui mérite également une médaille Starr de l’Association médicale canadienne. Elle écrit ensuite le « Manual for Diabetics » en 1925 – un guide grand public destiné aux diabétiques – et termine son baccalauréat ès sciences (médecine) la même année[xi]. Sur une période de trois décennies, elle poursuit ses recherches en médecine et publie de nombreux articles universitaires sur le diabète infantile et la néphrite. En 1931, la Dre Boyd est nommée Associée du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (division médecine) et Fellow du American College of Chest Physicians en 1932, pour son travail de médecin traitant au Preventorium (un établissement pour les patients atteints de tuberculose, mais qui n’ont pas encore développé une forme active de la maladie), parrainé par l’Ordre impérial des filles de l’Empire.

Dans les années 1920, la présence de femmes dans les hôpitaux ne passe pas inaperçue, car il y a peu de femmes médecins à cette époque. La Dre Gladys Boyd fait partie d’un petit groupe de femmes canadiennes très influentes qui brisent les règles sociales pour poursuivre une carrière en médecine. Gladys ne s’est jamais mariée, et décide plutôt de se consacrer à son travail et d’élever sa fille Nancy, qu’elle adoptera à la naissance en 1932. Gladys est une mère dévouée. Lorsque Nancy contracte la polio en bas âge, elle veille à ce qu’elle reçoive les meilleurs soins possible. Nancy fréquentera également les meilleures écoles du pays, y compris le Havergal College for girls, le Royal Conservatory of Music de Toronto et le Trinity College. Gladys accorde la priorité à l’éducation de sa fille et encourage sa passion pour la musique, en lui procurant les meilleurs professeurs de piano et de violon. Nancy deviendra plus tard une enseignante inspirée, un membre de jurys dans le domaine de la musique et, pendant des décennies, elle coordonnera les classes de maître Daniel Pollack pour d’innombrables professeurs de piano et étudiants. Les sacrifices consentis par Gladys pour sa fille sont encore plus remarquables puisqu’elle n’a jamais été riche. Elle n’a jamais pu acheter une maison, en partie parce qu’elle était une mère célibataire, et acceptait souvent des cadeaux ou de la nourriture au lieu d’un paiement lorsqu’elle rendait visite à des malades ou les soignait à l’hôpital[xii]. Par compassion pour Gladys et sa fille, un collègue médecin et sa femme leur offraient même de passer une partie de l’été dans leur chalet, en Ontario.
Malgré la situation financière précaire de Gladys, cette dernière était une femme aimante et charitable qui mérite la réputation de générosité qu’on lui accorde. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a hébergé une jeune fille anglaise, Mavis, qui a habité avec elle et Nancy pendant environ six ans[xiii]. Nancy et Mavis se lient immédiatement d’amitié, et sont restées « comme des sœurs » jusqu’à la fin de leur vie. Gladys s’est également impliquée au sein de la Young Women’s Christian Association (YWCA), une organisation mondiale qui aide les femmes dans le besoin en leur fournissant de la nourriture, de l’hébergement, une formation et d’autres formes de soins[xiv]. Son dévouement indéfectible pour l’étude des troubles endocriniens chez les enfants a sans aucun doute permis à des milliers d’enfants de rester en vie et demeure sa contribution la plus connue à la société canadienne.
La Dre Boyd est mentionnée plusieurs fois dans le discours de remerciement prononcé par Frederick Banting au moment de recevoir le Prix Nobel, même si ses références sont de nature essentiellement médicale. Au sujet du Dr Banting, la Dre Boyd a affirmé [TRADUCTION] « que toutes les louanges et félicitations adressées au Dr Banting pour son merveilleux travail ne sont pas exagérées[xv]. » On pourrait dire la même chose à son sujet. La Dre Gladys Boyd mourra à Toronto le 24 octobre 1970 à l’âge de 77 ans. En hommage à sa vie et à sa carrière, sa notice nécrologique se lit comme suit : [TRADUCTION] « Cette femme modeste et dévouée était une bonne enseignante, et des générations d’étudiantes et d’étudiants peuvent témoigner de son approche pratique et concrète. Gladys Boyd a consacré toute sa vie au service de ses patients, de son hôpital et de sa profession, et elle mérite que l’on se souvienne avec gratitude de ses contributions. »
[i] David Wright, SickKids: The History of The Hospital for Sick Children, (Toronto: The Hospital for Sick Kids & University of Toronto Press, 2017), p. 120.
[ii] Heather Gardiner, “Dr. Gladys Boyd: A Pioneer in Childhood Diabetes Care” in Women’s College Hospital Foundation (November, 2018), https://www.womenscollegehospitalfoundation.com/News-Media/Blog/Nov-2018/Dr-Gladys-Boyd-a-pioneer-in-childhood-diabetes-c.aspx.
[iii] Heather Gardiner, “Dr. Gladys Boyd: A Pioneer in Childhood Diabetes Care” in Women’s College Hospital Foundation (November, 2018), https://www.womenscollegehospitalfoundation.com/News-Media/Blog/Nov-2018/Dr-Gladys-Boyd-a-pioneer-in-childhood-diabetes-c.aspx.
[iv] Edward Shorter, Partnership for Excellence: Medicine at the University of Toronto and Academic Hospitals, (Toronto: University of Toronto Press, January, 2013), p. 264.
[v] David Wright, SickKids: The History of The Hospital for Sick Children, (Toronto: The Hospital for Sick Kids & University of Toronto Press, 2017), p. 120.
[vi] Heather Gardiner, “Dr. Gladys Boyd: A Pioneer in Childhood Diabetes Care” in Women’s College Hospital Foundation (November, 2018), https://www.womenscollegehospitalfoundation.com/News-Media/Blog/Nov-2018/Dr-Gladys-Boyd-a-pioneer-in-childhood-diabetes-c.aspx.
[vii] Edward Shorter, Partnership for Excellence: Medicine at the University of Toronto and Academic Hospitals, (Toronto: University of Toronto Press, January, 2013), p. 264.
[viii] Heather Gardiner, “Dr. Gladys Boyd: A Pioneer in Childhood Diabetes Care” in Women’s College Hospital Foundation (November, 2018), https://www.womenscollegehospitalfoundation.com/News-Media/Blog/Nov-2018/Dr-Gladys-Boyd-a-pioneer-in-childhood-diabetes-c.aspx.
[ix] Heather Gardiner, “Dr. Gladys Boyd: A Pioneer in Childhood Diabetes Care” in Women’s College Hospital Foundation (November, 2018), https://www.womenscollegehospitalfoundation.com/News-Media/Blog/Nov-2018/Dr-Gladys-Boyd-a-pioneer-in-childhood-diabetes-c.aspx.
[x] Edward Shorter, Partnership for Excellence: Medicine at the University of Toronto and Academic Hospitals, (Toronto: University of Toronto Press, January, 2013), p. 247.
[xi] Heather Gardiner, “Dr. Gladys Boyd: A Pioneer in Childhood Diabetes Care” in Women’s College Hospital Foundation (November, 2018), https://www.womenscollegehospitalfoundation.com/News-Media/Blog/Nov-2018/Dr-Gladys-Boyd-a-pioneer-in-childhood-diabetes-c.aspx.
[xii] Interview with Gladys Boyd’s granddaughter, Wendy Saddler.
[xiii] Ibid.
[xiv] “SickKids Hospital Women History” in Heritage Toronto, https://www.heritagetoronto.org/explore-learn/toronto-women-history-rights/sickkids-hospital-women-history/.
[xv] “A Tribute to Dr. Banting” in The Glengarry News (Sept. 7, 1923), http://www.glengarrycountyarchives.ca/Glengarry_pdf/The-Glengarry-News/1921-1930/1923/Sep/09-07-1923.pdf.