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L’histoire de l’histoire de la découverte de l’insuline

Par Christopher J. Rutty, Ph.D

Historien principal, Moments déterminants Canada, « Insuline 100 »


Plusieurs éléments ont rendu la découverte de l’insuline irrésistible pour les historiens, mais également pour les journalistes, les scientifiques, les cinéastes et les médecins. Bien sûr, il y a le personnage improbable du médecin de campagne qui a une idée de génie et qui parvient à convaincre un professeur d’université sceptique de lui donner une chance de la mener à bien. Ensuite, il y a l’étudiant fraîchement diplômé qui assiste le chercheur inexpérimenté dans ses expériences en laboratoire et qui réussit à isoler cette sécrétion interne insaisissable et à montrer qu’elle permet de contrôler le diabète chez le chien. Et que dire du biochimiste en visite qui accélère la purification de l’extrait et le teste chez des humains diabétiques!

Et surtout, ce qu’il y a de remarquable, c’est que cette découverte a eu lieu au Canada, et non dans les grandes universités d’Europe, du Royaume-Uni ou des États-Unis. À une époque où les pouvoirs de la médecine pour traiter efficacement la maladie et prévenir la mort étaient encore très limités, nous retiendrons certainement le rôle exceptionnel de l’insuline qui redonnait vie à des malades à l’article de la mort, et leur permettait ainsi de reprendre une vie normale, dans la mesure où ils s’injectaient le précieux extrait plusieurs fois par jour. Pour des historiens de toutes allégeances, cette histoire est et demeure irrésistible à raconter. 

Le premier à raconter la découverte de l’insuline est un journaliste du Toronto Star. Les journalistes sont souvent les auteurs des premières versions de l’histoire et Roy Greenaway a sans doute été le premier journaliste-historien à documenter l’histoire de la découverte de l’insuline, comme il le révélera dans ses mémoires. Greenaway connaissait la nature des travaux du Dr Frederick Banting grâce à un ami de Banting, le Dr G.W. Ross, qui était le médecin de Greenaway. À la mi-janvier 1922, quelques jours après le premier test de l’extrait pancréatique sur un être humain, Greenaway écrit : [TRADUCTION] « Tout l’été, des travaux ont été menés tambour battant dans le petit laboratoire de la faculté de médecine, face à l’ouest et surplombant le campus circulaire devant le bâtiment principal. L’aventure a commencé en mai, lorsque le Dr F.G. Banting et M. Best se sont attachés à concrétiser leur nouvelle idée dans les laboratoires dirigés par le professeur J.J.R. Macleod. » D’autres détails historiques sur la découverte et les découvreurs, surtout Banting, seront racontés par Greenaway dans un article plus exhaustif publié le 22 mars. Cet article reposait sur des entrevues réalisées avec Banting, Best et Macleod, et intégrait des détails tirés d’un article du Canadian Medical Association Journal sur les premiers essais cliniques de l’extrait.

Cette première reconstitution historique de la découverte reconnaissait équitablement l’apport de Banting, Best, Macleod et J.B. Collip, comme en témoigne la photographie « des quatre scientifiques de Toronto, relevant du personnel de l’Université, qui ont joué un rôle majeur dans la découverte de l’extrait pancréatique servant au traitement clinique du diabète chez l’être humain. » Au cours de l’année 1922, la presse s’intéresse de plus en plus à Banting, surtout en raison du traitement très publicisé d’Elizabeth Hughes, patiente de 14 ans et fille du secrétaire d’État américain.

Cependant, à l’automne 1922, alors que l’annonce de cette découverte se répand comme une traînée de poudre au‑delà de l’Amérique du Nord et du Royaume-Uni, l’attention des médias et du corps médical se tourne vers le rôle de Macleod dans la découverte, notamment parce que Macleod, au nom de l’Université de Toronto, offre les droits du brevet sur l’insuline au Medical Research Council du R.-U. Au début de septembre, le professeur W.M. Bayliss, un des plus grands médecins de Grande-Bretagne, et ami de Macleod, provoque une controverse publique, surtout à Toronto, alors qu’une de ses lettres à l’un des grands journaux de Londres souligne le rôle de Macleod et minimise celui de Banting. Bayliss s’y montre critique envers les journalistes canadiens qui semblaient accorder tout le mérite de la découverte à Banting. Macleod est alors sommé par Banting et Best, et un journaliste du Toronto Star, Greenaway, de publier une déclaration réfutant le point de vue de Bayliss et reconnaissant pleinement la contribution unique de Banting. Cependant, la déclaration de Macleod ne satisfait pas Banting et Best, qui font une autre déclaration publique où Banting souligne le rôle de Best.

Cette controverse mènera à ce que l’on pourrait appeler la première histoire officielle de la découverte de l’insuline. Espérant atténuer les tensions entre Banting, Best et Macleod, mais aussi avec Collip, et pour établir clairement le rôle de chacun dans la découverte de l’insuline, le président du comité de l’insuline de l’Université de Toronto, Albert Gooderham, demande à chacun, le 16 septembre 1922, de lui fournir une déclaration écrite, même si Collip avait alors quitté Toronto. Par ce texte, les chercheurs devaient décrire leur propre compréhension des événements entourant cette découverte, ainsi que leur interprétation du rôle de Collip. Macleod demandera plus tard à Collip une liste de ses contributions. Gooderham reçoit les trois documents vers la fin de septembre, mais n’y donne pas suite. En effet, ils ne seront retrouvés que 50 à 60 ans plus tard.

La première critique historique digne de mention sur la découverte de l’insuline date de décembre 1922, mais ne trouve pas ses origines au Canada. Elle repose en fait sur une réévaluation approfondie des premières publications de Banting et Best dans les revues médicales. Cette révision est l’œuvre d’un chercheur en physiologie de Cambridge, en Angleterre, le Dr Ffrangcon Roberts, publiée sous la forme d’une longue lettre au British Medical Journal du 16 décembre 1922. Il s’agit en fait d’une étude très critique, étape par étape, du travail de laboratoire de Banting et Best, tel que décrit dans les publications. Roberts s’intéresse aux premières expériences reposant sur la ligature du canal pancréatique et la dégénérescence du pancréas qui permettait de prélever la précieuse sécrétion externe, avant de pouvoir extraire la sécrétion interne. Roberts soulignait que cette étape était finalement inutile, ce que n’indiquent pas Banting et Best, même si plusieurs expériences le montrent clairement. Il met également en évidence d’autres problèmes dans les expériences, mal interprétées par Banting et Best, ce qui porte atteinte à leur crédibilité scientifique selon Roberts. [TRADUCTION] « La production de l’insuline est le fruit d’expériences mal conçues, mal exécutées et mal interprétées » conclut Roberts. Sa critique donne lieu à une réaction immédiate de Sir Henry Dale, une sommité du Medical Research Council du R.-U., dans une lettre publiée dans le numéro suivant du British Medical Journal.

Un autre fait important vient orienter l’histoire de la découverte de l’insuline. En effet, Dale, un ami proche de Best, ne fait aucune tentative pour réfuter les critiques de Robert. Il conclut plutôt sa lettre en mentionnant que [TRADUCTION] « rien ne peut empêcher le Dr Roberts de soumettre ses propres théories au test de l’expérience. Personne ne peut nier qu’une découverte d’une grande importance vient d’être faite et, si elle se révèle être attribuable à une erreur au cours des expérimentations et découler d’une conception viciée, ce ne sera certainement pas la première fois que cela se produit dans l’histoire de la science. Le monde pourra toujours opposer une armée de critiques à une erreur aussi productive, mais il serait bien malvenu de minimiser une réalisation de cette portée en exposant avec un tel mépris ses erreurs de conception. » La conclusion de Dale selon laquelle toute discussion critique sur les travaux de Banting et Best revient à dénigrer ce qu’il considère comme une grande réalisation a contribué à mettre en lumière certaines idées tenaces dans les cercles médicaux et historiques quant à la façon dont les personnes ayant des liens personnels avec les découvreurs, et les découvreurs eux-mêmes, ont interprété et écrit l’histoire de l’insuline.

En 1927, Banting reçoit le prestigieux Cameron Prize for Therapeutics de l’Université d’Édimbourg et, le 30 octobre, il livre dans le cadre de la conférence entourant la remise du prix, son « histoire de l’insuline ». Publiée par le Edinburgh Medical Journal en janvier 1928, la conférence de Banting fait un récit déterminant de l’histoire de l’insuline, difficile à remettre en question. Banting choisit de souligner le rôle de Best et les difficultés qu’ils ont éprouvées et surmontées dans le cadre de leurs recherches. [TRADUCTION] « Il s’est écoulé tellement de temps depuis nos travaux originaux sur l’insuline, dit-il, que pour moi, ce sujet est maintenant impersonnel et entièrement dissocié de mon existence présente. » Au début des années 1940, un an avant qu’il ne périsse dans un accident d’avion à Terre-Neuve, Banting a écrit un récit autobiographique (incomplet) qu’il a baptisé « Histoire de l’insuline ». Cette version est certainement plus personnelle et moins dissociée que son histoire de 1928. Cependant, comme sa déclaration de septembre 1922 à Gooderham, ce manuscrit est demeuré inaccessible et bien caché dans ses tiroirs.

En 1946, année qui souligne le 25e anniversaire de la découverte de l’insuline, peu de choses ont changé quant à la façon de raconter la découverte de l’insuline depuis la conférence de Banting sur « l’histoire de l’insuline » en 1928. Cependant, ce sont ceux qui se chargent de raconter cette histoire qui changent. Même si quelques livres publiés sur Banting et la découverte connaissent un certain succès, la première biographie sérieuse de Banting paraît en 1946. Écrite par Lloyd Stevenson, étudiant en médecine et historien, la biographie raconte l’histoire que l’on connaît, mais avec une certaine candeur, d’autant que Banting et Macleod sont maintenant décédés; (Macleod, qui quitte Toronto en 1928, meurt en 1935.) Best et Collip sont toujours vivants, mais c’est souvent Best qui se charge de raconter l’histoire de l’insuline, soulignant son rôle et son partenariat avec Banting, tout en minimisant les contributions de Macleod et Collip.

Dans les années 1950, et malgré l’absence de Banting et Macleod, d’autres acteurs directs et indirects dans l’histoire de l’insuline sont encore vivants et influents. En effet, comme Michael Bliss le constate lors de ses recherches pour écrire The Discovery of Insulin, l’histoire orale de cette découverte est plus intéressante que son histoire écrite. Des rumeurs circulent dans la communauté médicale de Toronto : au fil des rencontres et l’alcool aidant, les langues se délient. De nombreuses personnes qui gravitaient autour de l’Université de Toronto en 1921-1922, qu’il s’agisse de professeurs, d’étudiants en médecine, de résidents, d’infirmières ou d’amis, ont des histoires différentes sur ce qui s’est réellement produit et sur ce qui opposait Banting, Best, Macleod et Collip. Une bonne partie de ces rumeurs peut être retracée jusqu’aux découvreurs eux-mêmes, parfois bien bavards. Collip est le plus discret, surtout depuis son départ de Toronto vers le milieu de l’année 1922 pour Edmonton; il migre ensuite vers l’Université McGill à Montréal en 1928 et finit par s’installer à l’Université Western Ontario à London comme doyen de la faculté de médecine en 1947. Mais il arrive à Collip à l’occasion de parler des beaux jours de l’insuline. Certains intervenants, directs et indirects, croient que la vérité historique finira par sortir, surtout après la mort des principaux acteurs. Certains sont convaincus qu’il y a de nombreux documents fondamentaux qui sont cachés quelque part dans les archives.

Au début des années 1950, Best raconte avec enthousiasme sa version de l’histoire, avec l’appui de Sir Henry Dale, qui soumet sa candidature au Prix Nobel en 1950. On demande également à Dale de prononcer une allocution lors de l’inauguration de l’Institut Best à l’Université de Toronto en 1953, érigé près du bâtiment de l’Institut Banting. Dans son discours sur la découverte de l’insuline, axé sur Banting et Best, Dale ne fait aucune mention de Collip, qui comme l’apprendra Dale plus tard, se trouve justement dans l’audience. Embarrassé et curieux, Dale veut en savoir un peu plus sur le rôle de Collip, il fait ses recherches et pose des questions à Best. Dale veut connaître la vérité.

Vers le milieu des années 1950, d’autres intervenants veulent également avoir l’heure juste sur l’histoire de l’insuline. Un médecin‑historien américain, Joseph H. Pratt, qui s’intéresse depuis longtemps au diabète et au pancréas, est le premier à ressusciter les critiques sur l’histoire de l’insuline dans un article publié en 1954 dans le Journal of the History of Medicine. L’article, intitulé « A Reappraisal of Researches Leading to the Discovery of Insulin » (une réévaluation des recherches menant à la découverte de l’insuline), résume un manuscrit qui circule depuis plusieurs années. Mais comme Bliss le découvre dans ses recherches, avant de publier cet article, les éditeurs et examinateurs demandent à Pratt d’atténuer un peu son manuscrit pour éviter d’ouvrir d’anciennes blessures. Il n’en reste pas moins que l’article de Pratt est un examen critique important sur l’insuline qui repose sur certaines des observations de Robert au sujet des premiers articles publiés par le groupe de Toronto, et qui met également en valeur les contributions de Macleod et Collip pour corriger certaines des erreurs d’expérimentation de Banting et Best et raffiner l’extrait brut. Pratt conclut que les quatre hommes ont travaillé en équipe et que la contribution de chacun s’est révélée très importante.

À peu près à la même époque, la Metropolitan Life Insurance Company veut financer la production d’un film fixe sur la découverte de l’insuline, alors que l’Office national du film du Canada souhaite produire un long métrage sur le même sujet. Les films fixes sont en fait une série d’images projetées comme des diapositives, mais sur une pellicule de 35 mm, et constituaient à l’époque une alternative peu coûteuse aux films éducatifs en 16 mm. Les producteurs des deux projets approchent Best pour obtenir des conseils et engagent également comme consultant un ami et collègue de Best, le Dr W.R. Feasby, qui est un historien de la médecine. Les premières versions des deux projets sont envoyées à Best et Feasby pour qu’ils les commentent. Elles mettent l’accent sur le travail de Banting et Best en 1921, et évoquent les dossiers publiés et non publiés qui prouvent qu’ils ont réellement produit de l’insuline cet été-là, alors qu’ils travaillaient seuls aux laboratoires. Il n’est jamais fait mention de Macleod ou de Collip.

Cependant, le scénariste du film, Leslie MacFarlane, étoffe l’histoire présentée par Best et Feasby après avoir consulté la déclaration de Banting de 1922 à l’intention de Gooderham, ainsi que son manuscrit de 1940, par le truchement de la veuve de Banting, Henrietta. MacFarlane prend également connaissance de certains des carnets de laboratoire originaux. Best tente d’expliquer les écarts historiques évidents, mais Collip finit par entendre parler de ces projets. Avec le soutien du président de l’Université de Western Ontario, Ed Hall, qui a déjà été un collègue de Banting, Collip réitère avec insistance qu’il ne serait pas judicieux de redonner vie à la controverse entourant l’histoire de cette découverte alors que bon nombre de ses acteurs principaux sont toujours vivants. Le commanditaire du film fixe décide alors de retirer ses billes, et après d’autres discussions avec Best et Feasby sur ce qu’il faut présenter dans le film, l’Office national du film décide de réduire considérablement la portée de son projet. Enfin, en 1958, l’ONF distribue un court film intitulé « The Quest » (la quête), qui simplifie l’histoire et glorifie Banting et Best. À peu près au même moment, Feasby écrit une réponse acide à l’article de Pratt publié en 1954 dans le Journal of the History of Medicine sur l’histoire de l’insuline. Il tente dans cet article de remettre Banting et Best au cœur de cette histoire, tout en accordant un certain mérite à d’autres intervenants.

Dans les années 1960, le contrôle qu’exerce Best sur la trame narrative de la découverte de l’insuline se poursuit, surtout après la mort de Pratt et de Feasby, et ensuite après la mort de Collip en 1965. Feasby laisse une biographie inachevée de Best, et Henrietta Banting meurt également avant d’avoir terminé sa propre biographie sur son mari. Les efforts déployés pour publier une biographie de Collip ne mènent nulle part. En outre, l’ancien biographe de Banting, Lloyd Stevenson, obtient la déclaration de 1922 de Macleod à Gooderham, qu’il veut publier en même temps que l’article de Feasby. La déclaration de Macleod suit ce dernier en Écosse, mais en 1949, elle est envoyée au président de l’Université Western Ontario; une copie est ensuite transmise à Stevenson, qui en envoie plus tard une copie au président de l’Université de Toronto, Sidney Smith. Mais lorsque Stevenson demande la permission de publier le récit que fait Macleod de cette découverte, Best conseille à Smith de refuser cette requête en faisant valoir que toutes les déclarations de 1922 devraient être publiées ensemble. Cependant, Best ne parvient pas à retrouver ses propres déclarations et Stevenson abandonne la partie.

Vers la fin des années 1960 et au début des années 1970, alors que Best et sa version de l’histoire demeurent au centre de l’attention lors des célébrations entourant le 50e anniversaire de la découverte de l’insuline, on s’intéresse de plus en plus à cette histoire en Europe, notamment sous l’impulsion d’Ian Murray, un historien de la médecine en Écosse. Murray s’intéresse moins à l’histoire de Toronto qu’à celle des recherches antérieures sur l’extrait pancréatique, notamment les travaux de Nicolas Paulesco en Roumanie. En 1921, alors que Banting et Best commencent leurs expériences en laboratoire, Paulesco a déjà publié plusieurs articles importants décrivant ses expériences sur des animaux et des humains faisant appel aux extraits pancréatiques, extrait qui donne cependant des résultats moins concluants chez ses sujets humains. Cependant, alors que l’équipe de Toronto passe rapidement aux tests sur des humains et à une production accrue, Paulesco ne parvient pas à entreprendre des tests cliniques rigoureux de la substance qu’il appelle « pancréine ». Néanmoins, des historiens et d’autres intervenants en Roumanie et ailleurs en Europe tiennent à accorder une place plus importante aux travaux de Paulesco dans l’histoire de la découverte de l’insuline, certains allant jusqu’à parler d’un complot pour enlever à Paulesco sa part méritée des prix et honneurs, surtout le Prix Nobel.

Vers la fin des années 1970, l’attention que portent les historiens à Paulesco et à d’autres travaux antérieurs sur l’extrait pancréatique permet de mettre en lumière les limites de la trame narrative existante et de la documentation originale sur les événements de Toronto de 1921-1922, ainsi que les controverses historiques non résolues au sujet des recherches en laboratoire de Banting et Best. La mort de Charles Best, le 31 mars 1978, lève finalement le voile sur cette affaire, particulièrement à l’Université de Toronto, avec la publication d’au moins une partie des documents originaux liés à la découverte de l’insuline, notamment ceux de Banting. Stevenson peut enfin publier la déclaration de Macleod de 1922 dans le Bulletin of the History of Medicine en 1978.

La mort de Best et la conservation, à l’Université de Toronto, d’une série de documents primaires non révisés liés à l’insuline permettent à Michael Bliss, professeur d’histoire dans cette même université, de commencer des recherches qui mèneront à la publication de son ouvrage The Discovery of Insulin. C’est le frère aîné de Bliss, Jim, qui en 1968 lui parle de cette affaire, alors qu’un présumé biographe de Collip aurait dit à un professeur de physiologie de McGill que tous les documents non publiés sur la découverte de l’insuline seraient accessibles au public après la mort de Best. En effet, Jim Bliss mentionne à son frère, alors étudiant au troisième cycle, que le Medical Research Council possède un fichier secret contenant des documents sur tous les événements entourant la découverte de l’insuline – ces documents devant être mis à la disposition des historiens à la mort du dernier acteur de cette histoire : Charlie Best est alors en mauvaise santé et il est le dernier survivant de cette épopée. L’histoire véritable promet un livre à succès, mais rigoureux, non seulement pour l’intérêt scientifique qu’elle suscite, mais également en raison des personnalités conflictuelles de ses principaux acteurs. L’équipe formée d’un historien et d’un médecin semble idéale pour raconter cette histoire. Malheureusement, Jim Bliss meurt en 1969, et Michael écrit en introduction de son livre The Discovery of Insulin que son ouvrage aurait été bien meilleur si son frère avait été là pour l’aider à l’écrire.

Bliss est déterminé à reprendre l’histoire de la découverte de l’insuline à partir de sources primaires et contemporaines. Il mettra de côté les jugements d’auteurs postérieurs à cette découverte, ainsi que les souvenirs subjectifs des inventeurs eux-mêmes, au moins jusqu’à ce qu’il comprenne ce qui s’est réellement passé. L’Université de Toronto possède les documents de Banting et se prépare à les mettre à la disposition des universitaires au moment même où Bliss commence ses propres recherches. Il cherche également à obtenir des documents originaux qui ne se trouvent pas à Toronto. Plus il creuse, plus il trouve, notamment dans les archives du comité Nobel en Suède.

Bliss rassemble la correspondance originale, des articles publiés, des articles dans les journaux, pour la plupart collés dans les pages des cahiers de Banting, il étudie attentivement et retranscrit les notes de laboratoires originales de Banting et Best afin de retracer chaque étape de chaque expérience, au jour le jour, menée à l’été et à l’automne 1921. Il se penche également sur les dossiers exhaustifs du comité de l’insuline de l’Université de Toronto, les documents du Medical Research Council au R.-U. , les archives d’Eli Lilly à Indianapolis, les dossiers des laboratoires Connaught et l’abondante correspondance d’Elizabeth Hughes avant, pendant et après son traitement à l’insuline en 1922. Après avoir rassemblé cette vaste documentation et mené des entrevues avec le plus d’intervenants possible ayant eu un lien avec les événements, Bliss peut alors commencer son travail de réflexion sur la vraisemblance des souvenirs des intervenants et la validité des revendications des scientifiques et des critiques que leur opposaient leurs détracteurs.

Après avoir publié The Discovery of Insulin à l’automne 1982, autour des célébrations du 60e anniversaire de la découverte, Bliss a souvent dit qu’il n’avait trouvé aucun nouveau document primaire d’importance. Cependant, peu après la publication de son livre, Bliss découvre que l’un des premiers patients diabétiques de Banting en 1922, Teddy Ryder, était toujours vivant et qu’il pouvait le rencontrer, en compagnie de sa mère. Un journaliste du Toronto Star se joint à la rencontre et rédige un reportage qui sera publié le 20 février 1983. En octobre 1990, Ryder est invité à Toronto pour l’ouverture de l’exposition sur la découverte de l’insuline à l’Université de Toronto.

(inclure un lien vers un reportage de la CBC sur la visite de Teddy Ryder à Toronto, en 1990

https://www.cbc.ca/player/play/1785524332 )

Pendant que Bliss poursuit ses recherches et rédige The Discovery of Insulin, il prépare l’écriture de Banting: A Biography, publié en 1984. Il écrit également de nombreux articles sur divers aspects de cette histoire, dont « Rewriting Medical History: Charles Best and the Banting and Best Myth », publié dans le Journal of the History of Medicine en 1993.

Depuis la publication de The Discovery of Insulin et Banting: A Biography, d’autres historiens ont écrit des biographies de Collip, Best et Macleod, ainsi qu’une foule d’articles qui explorent divers aspects de l’histoire de l’insuline. La recherche sur la découverte de l’insuline a été grandement facilitée depuis le lancement en 2002 des archives numériques complètes de la Thomas Fisher Rare Books Library de l’Université de Toronto sur cette découverte; cette partie des archives est appelée « The Discovery and Early Development of Insulin » (la découverte et les premiers développements de l’insuline) et a été une ressource indispensable à la réalisation du projet Insuline 100 de Moments déterminants Canada. L’argument central de Bliss dans The Discovery of Insulin demeure à ce jour largement incontesté, à savoir que la découverte de l’insuline est le fruit d’une collaboration conjointe où tous ont droit à leur part de gloire, comme le rappelle le titre d’une minisérie de la CBC de 1988.

Malheureusement, Michael Bliss n’a pas pu célébrer le 100e anniversaire des événements qu’il raconte et documente avec tant de passion dans son livre. Avant sa mort, le 18 mai 2017, il a réexaminé les documents originaux sur lesquels repose son livre, ainsi que d’autres rassemblés depuis sa publication, afin de publier une édition soulignant le 100e anniversaire, ainsi qu’une histoire annexe sur l’histoire de l’insuline. L’ouvrage The Discovery of Insulin est une œuvre fondamentale, mais « l’histoire » de l’histoire de l’insuline, qui a mené à ce livre de Bliss et à d’autres publiés par la suite, nous apprend beaucoup sur l’influence des événements, des personnages et des aléas de l’histoire sur notre compréhension de l’histoire, et notre façon de la raconter et de la faire.