Legs de la recherche sur l’insuline et en matière d’innovation : Le meilleur de la biotechnologie
Par Christopher J. Rutty, Ph.D
Historien principal, Moments déterminants Canada, « Insuline 100 »
Le 25 août 1923, Frederick Banting et Charles Best sont les invités d’honneur des cérémonies officielles d’inauguration de l’exposition nationale canadienne (ENC) à Toronto. Leur présence est justifiée par une exposition spéciale de l’Université de Toronto sur l’insuline, dans l’esprit du thème de l’ENC, soit « l’année des sciences et des relations internationales ». Comme on la dépeint dans les journaux, l’exposition décrit de façon très détaillée le « processus de fabrication du fluide curatif » et présente plusieurs « instruments originaux utilisés par le Dr Banting et M. Best dans le cadre de cette découverte reconnue mondialement ». L’exposition connaît un immense succès, et l’on distribue les 3 000 copies du bulletin spécial rédigé par Best dès la première journée.
Dans son allocution d’ouverture, Banting affirme que « le plus grand monument du Canada est le laboratoire d’antitoxines Connaught, qui relève de l’Université de Toronto ». « Le Canada, poursuit-il, a besoin d’autres monuments de cette nature afin que les scientifiques qui veulent poursuivre leurs recherches dans le domaine de la médecine n’aient pas à quitter le pays ». Best est l’un de ces scientifiques qui auraient pu s’exiler pour réaliser ses projets de recherche, mais il est très heureux de pouvoir rester chez Connaught, où il est responsable de la production d’insuline, notamment dans les nouvelles installations aménagées dans l’ancien bâtiment du YMCA de l’Université.
Best demeure silencieux pendant l’allocution de Banting, ainsi que pendant le dîner qui la précède, animé par les directeurs de l’ENC et auquel participent des notables de la ville. Au début du repas, Banting interpelle Best, qui s’était modestement dissimulé dans la foule (en compagnie de son père et de celui de Banting), afin qu’il prenne place près de lui. Pour faire contrepoids à toute l’attention qu’il reçoit du public, Banting souligne que le travail sur l’insuline n’a pas été celui d’un seul homme. Il mentionne l’aide de première heure que lui a fournie Best et explique la façon dont il a pris en charge la production d’insuline à grande échelle chez Connaught dès le début. Pour établir, stabiliser et élargir la production d’insuline chez Connaught, Best a bénéficié du soutien de deux chimistes, David A. Scott et Peter J. Moloney. Dès que les premiers problèmes de production sont réglés, Best, Scott et Moloney ont la voie libre pour utiliser leurs connaissances et leur expérience de l’insuline afin d’élaborer de nouveaux outils biotechnologiques permettant de mieux gérer, traiter ou prévenir d’autres problèmes de santé. Ironiquement pour Best et Scott, leur travail sur la biotechnologie de l’insuline les obligera bientôt à quitter le Canada pendant un certain temps.
Charles Best : Le voyageur
Best est particulièrement occupé en août 1923, alors qu’il s’installe dans le nouveau bâtiment de Connaught dédié à la production d’insuline. Il voyage souvent aux É.-U. pour inspecter les installations de plusieurs entreprises pharmaceutiques qui demandent une licence de production d’insuline au Comité de l’insuline de l’Université de Toronto. De plus, Best poursuit ses études en médecine tout en dirigeant les opérations de production chez Connaught et en travaillant comme adjoint de recherche pour la chaire de recherche en médecine Banting et Best. En 1924, Best est également promu au poste de directeur adjoint des laboratoires Connaught et, le 4 septembre 1924, il épouse sa fiancée de longue date, Margaret Mahon.
Vers la fin de 1924, Best commence à réfléchir à la possibilité de poursuivre ses projets de recherche ailleurs. Deux ans plus tôt, Best avait rencontré Sir Henry Dale, du Institute for Medical Research de Grande-Bretagne, lors de sa visite à Toronto, afin de discuter d’une éventuelle production d’insuline au R.-U. Dale propose alors à Best de quitter « l’atmosphère surchauffée de la recherche sur l’insuline, une fois ses études en médecine terminées, afin d’acquérir une nouvelle perspective et d’élargir son expérience dans d’autres domaines de recherche scientifique ». En décembre 1924, le directeur de Connaught, le Dr John FitzGerald, membre du Rockefeller Foundation’s International Health Board (conseil international sur la santé de la fondation Rockefeller), amorce un processus qui permettrait à Best d’obtenir une bourse Rockefeller pour étudier à Londres, avec Dale, et ensuite à Copenhague, avec August Krogh, qui y a établi une production d’insuline. Cependant, Best doit dans un premier temps décrocher son diplôme de médecine, ce qu’il fera en juin 1925. Best, qui est l’étudiant le plus brillant de sa cohorte, reçoit d’autres honneurs et une bourse du fonds pour la recherche de Connaught afin de le soutenir pendant les 18 prochains mois. Le 9 juillet, le Dr Charles Best et Margaret Best quittent le pays pour Londres. Il souhaite ardemment travailler sur autre chose que l’insuline.
Cependant, l’un des premiers projets sur lesquels Best travaille dans le laboratoire de Dale repose sur l’utilisation de l’insuline dans la métabolisation du glucose chez les animaux dont on a retiré le foie. Ensuite, Best abandonne l’insuline et s’intéresse à la métabolisation de l’histamine dans les tissus pulmonaires et développe une méthode pour tester l’histamine dans différents types de tissus. L’histamine se trouve dans certaines cellules et participe à la réponse immunitaire locale qui cause plusieurs symptômes d’allergie.
Charles Best et David Scott : Développement de l’héparine
En développant et en appliquant la méthode découverte pour tester l’histamine, ainsi que la choline (un nutriment essentiel pour les humains et de nombreux animaux), Best constate des problèmes liés à la coagulation du sang pendant les tests. Il observe cette réaction pour la première fois dans ses recherches sur des tortues pendant ses études au premier cycle; en effet, lors des expériences, il arrive fréquemment que le sang coagule. Une des solutions possibles à ce problème consiste à utiliser un anticoagulant appelé héparine, découvert en 1916 par Jay McLean et William Henry Howell de l’Université Johns Hopkins. L’héparine est un composé organique que l’on trouve dans divers tissus humains et animaux et qui régule le processus de coagulation. McLean parvient à extraire l’héparine d’un foie de chien, mais ne poursuit pas ses travaux, laissant la voie libre à Howell. L’héparine McLean-Howell ne pouvait être produite qu’à petite échelle. En outre, il s’agissait d’une substance toxique et d’une valeur limitée. Best pense pouvoir purifier l’héparine, un peu comme l’insuline, mais pour cela, il lui faudra attendre son retour à Toronto.
Best revient à Toronto pour Noël, en 1926, mais il faudra encore un certain temps avant qu’il ne se replonge dans le dossier de l’héparine. Pendant son absence, les travaux de construction d’un nouveau centre de santé publique financé par la fondation Rockefeller ont avancé. Ce nouveau bâtiment consacré à l’hygiène accueille des installations de recherche et de production beaucoup plus vastes pour développer les produits biologiques de Connaught. On y trouve un très grand laboratoire de production d’insuline, ainsi qu’un vaste centre de recherche et d’enseignement en santé publique relevant du nouveau département d’hygiène. Le bâtiment ouvre officiellement ses portes en juin 1927 et Best est nommé chef du nouveau département d’hygiène physiologique. Ce département a pour mandat d’étudier l’effet sur la physiologie et la santé de la ventilation, de l’exercice musculaire, de la lumière ultraviolette, et des variations de la pression atmosphérique, entre autres. Les recherches de Best sont interrompues lorsqu’il retourne en Angleterre en mars 1929 pour terminer son doctorat en sciences pendant l’été. Il revient ensuite à Toronto, où il ajoute une nouvelle corde à son arc : chef du département de physiologie, succédant ainsi au professeur J.J.R. Macleod, qui est retourné en Écosse.
Vers la fin d’octobre 1928, Best peut enfin reprendre ses travaux sur l’héparine, qui mettront l’accent sur 1) la purification de l’héparine et sa production en quantité importante, mais de manière abordable; et 2) l’étude des effets de l’héparine sur les animaux et sur les humains. Pour s’attaquer à son premier objectif, Best fait appel à son étudiant diplômé, Arthur Charles, spécialiste en chimie organique. Best entend également travailler avec David Scott, qui a pris en charge la production d’insuline chez Connaught pendant que Best poursuivait ses études; Scott a également conçu la nouvelle installation de production d’insuline du bâtiment d’hygiène. Toutefois, peu après le retour de Best à Toronto, Scott quitte le pays pour poursuivre ses propres travaux de recherche à Londres, en Angleterre, en 1928-1929, aux laboratoires de biochimie de Sir Charles Harington. Harrington est reconnu pour son travail sur la biochimie de la glande thyroïde.
Scott se trouve à poursuivre le travail sur l’insuline dans le laboratoire de Harington, et s’attache à purifier l’insuline et à vérifier les travaux antérieurs de J.J. Abel, qui a réussi à cristalliser l’insuline en très petites quantités. Scott veut trouver le moyen de cristalliser l’insuline à grande échelle. En 1931, et en collaboration avec Arthur Charles, Scott découvre les conditions essentielles à la préparation des cristaux d’insuline. La clé de son succès repose sur la présence de petites quantités de métaux, comme le zinc, le nickel, le cobalt ou le cadmium, mais le chlorure de zinc se révèle le plus approprié pour la production d’insuline.
Scott s’inspire de son expérience avec la production d’insuline pour élaborer une méthode permettant d’extraire l’héparine non seulement du foie de bœuf, mais aussi des tissus pulmonaires et intestinaux sur une plus grande échelle. Il profite, avec Charles, de l’entente conclue entre Connaught et les transformateurs de viande canadiens pour obtenir les tissus pancréatiques essentiels à la production d’insuline afin de mettre la main sur de grandes quantités d’organes de bœuf qui seraient autrement jetés aux rebuts pour mener ses recherches sur l’héparine. En 1933, Charles et Scott publient leurs premiers articles sur l’héparine, décrivant comment doubler l’héparine extraite si les tissus de bœuf, et surtout les tissus pulmonaires, sont autolysés pendant 24 heures avant de procéder à l’extraction avec de l’ammoniaque. Par autolyse, on entend en fait un processus d’autodigestion qui s’explique par la destruction des cellules par l’intervention de leurs propres enzymes. Cependant, les odeurs qui se dégagent de l’autolyse et du processus d’extraction à l’ammoniaque, qui accélèrent la décomposition et la putréfaction des tissus, sont si nauséabondes qu’il faut déplacer la production hors du bâtiment d’hygiène vers l’environnement plus aéré de la ferme Connaught, au nord de la ville. En 1937, alors qu’ils étudient la chimie mystérieuse et insaisissable de l’héparine, Charles et Scott développent une méthode pour la purifier et la cristalliser sous une forme sèche pouvant être administrée dans une solution saline.
À la suite de résultats encourageants observés lors de tests sur les animaux, l’héparine est ensuite mise à l’essai dans le cadre d’études cliniques en contexte chirurgical par un chirurgien torontois, le Dr Gordon Murray. Les premières chirurgies expérimentales de Murray sur les animaux montrent que l’héparine permet de dissoudre efficacement les caillots sanguins, et semble également utile pendant et après des opérations cardiaques et vasculaires risquées lors desquelles le sang a tendance à coaguler rapidement. Le premier test avec de l’héparine purifiée sur un humain a lieu en avril 1937. Les premiers essais sont réalisés dans le cadre de centaines de chirurgies complexes où l’héparine joue un rôle essentiel et contribue souvent à sauver des vies. Il apparaît évident que l’héparine de Connaught est un anticoagulant sécuritaire, efficace et facilement accessible. L’équipe de l’héparine de Best ouvre ainsi la porte à des opérations cruciales, comme la transplantation d’organes et les chirurgies à cœur ouvert, ainsi qu’au rein artificiel, une technologie médicale de pointe qui est développée par Murray au milieu des années 1930 et mise au point avec succès vers la fin des années 1940. La méthode de production d’héparine développée par Scott et Charles est utilisée jusqu’en 1946, année où le Dr Peter Moloney et la Dr Edith Taylor élaborent une nouvelle méthode qui permet d’obtenir de plus grandes quantités d’héparine à partir de tissus de bœuf.
Peter Moloney : Le combat contre la diphtérie
Peter Moloney joue un rôle crucial dans l’élaboration d’une nouvelle méthode pour produire l’héparine en plus grande quantité, mais il a déjà mis à profit ses compétences uniques comme chimiste, biochimiste et spécialiste de l’immunochimie pour améliorer la pureté, l’activité et l’échelle de production de plusieurs autres produits biologiques chez Connaught. Moloney est le premier chercheur chimiste de Connaught et s’est joint aux laboratoires en 1919; ses premiers travaux portent sur la purification de l’antitoxine diphtérique. Moloney a été témoin de l’évolution du développement de la production d’insuline chez Connaught et, à l’été 1922, FitzGerald et Best font appel à son expertise pour surmonter les difficultés liées à la purification de l’insuline et aux niveaux de production. À l’automne, la méthode initiale de Moloney, qui repose sur l’adsorption d’acide benzoïque et la précipitation, mène à la production de quelque 250 000 unités d’insuline jugées « très satisfaisantes » selon Best. Les recherches de Moloney sur l’insuline attirent l’attention des médias. Un article du Toronto Star du début janvier 1924 annonce la découverte d’une nouvelle méthode pour purifier l’insuline. Cette étape des travaux de Moloney fait appel à une nouvelle méthode de purification au charbon qui repose sur ses travaux antérieurs avec l’insuline et l’acide benzoïque.
Quelques mois plus tard, Moloney reçoit un télégramme de FitzGerald en France lui demandant d’accélérer le développement, la production et l’évaluation clinique d’une autre découverte en biotechnologie. À l’été 1924, FitzGerald parcourait l’Europe pour connaître l’état d’avancement de divers projets au nom de Connaught, notamment ceux liés à l’insuline, mais également des recherches récentes sur la prévention de la diphtérie. Même si l’antitoxine diphtérique est accessible gratuitement au Canada pour ceux qui sont frappés par cette maladie, « l’étrangleuse », comme on appelle la diphtérie puisqu’elle provoque un blocage de la gorge qui entraîne l’asphyxie, est l’une des plus grandes menaces pour les enfants âgés de moins de 14 ans. L’antitoxine limite le nombre de décès, mais n’empêche pas la maladie de se propager. FitzGerald apprend que le Dr Gaston Ramon de l’Institut Pasteur à Paris a récemment fait une découverte : il semblerait que le traitement de la toxine diphtérique au formaldéhyde annule l’effet toxique de cette toxine. Une fois injecté, ce toxoïde stimule l’immunité chez l’humain, à la façon d’un vaccin. Ramon n’a testé l’efficacité du toxoïde que dans son laboratoire, à petite échelle. La visite de FitzGerald au laboratoire de Ramon vient à point nommé puisque Connaught se préparait à faciliter le développement et la mise à l’essai du toxoïde diphtérique de façon beaucoup plus rapide que Ramon ne pouvait le faire à cette époque.
FitzGerald décrit les méthodes de Ramon à Moloney et lui demande de tout laisser en plan et de commencer immédiatement à préparer et à améliorer le toxoïde. Après quelques premiers essais prometteurs où l’on a administré le toxoïde à un petit groupe d’employés de Connaught et observé une forte réponse antigénique, et après avoir obtenu des résultats similaires au sein d’un plus grand groupe d’enfants, des essais en conditions réelles sont lancés dans plusieurs villes en septembre 1925. Ces essais commencent dans les municipalités frontalières d’Essex (qui comprennent Ford, Walkerville, Windsor et Sandwich), où près quelque 9 000 enfants d’âge préscolaire et scolaire reçoivent deux doses du toxoïde. Un essai similaire est réalisé en Saskatchewan en 1925–1926, et en février 1927, 120 000 personnes dans neuf provinces ont reçu le toxoïde diphtérique. Au moment des premières injections, certaines réactions allergiques sont observées, incitant Moloney à développer un « test de réaction » intradermique simple à base du toxoïde dilué afin de détecter les réactions potentielles – généralement chez les enfants plus âgés ou les adultes déjà immunisés contre la diphtérie. Ce test sera bientôt connu sous le nom de « test de réaction Moloney » et sera employé partout dans le monde.
C’est à Hamilton, en Ontario, que l’on fait l’un des premiers usages les plus spectaculaires et reconnus du toxoïde diphtérique. Grâce au leadership éclairé du médecin hygiéniste de la ville, le Dr James Roberts, les résultats obtenus à Hamilton se montrent tout à fait déterminants, puisque le toxoïde parvient à réduire fortement l’incidence de la maladie et le nombre de décès. L’industrialisation et la croissance urbaine rapide de Hamilton rendent la ville plus vulnérable à la diphtérie; elle se révèle donc l’endroit parfait pour tester l’efficacité du toxoïde. En 1922, on comptait 742 cas et 32 décès attribuables à la diphtérie à Hamilton. En 1925–1927, une fois le toxoïde plus largement administré, le nombre de cas a chuté à 368, avec 18 décès; entre le 1er novembre 1926 et le 30 septembre 1927, on ne compte plus que 10 cas de diphtérie et un décès. Dans le cadre d’une exposition de santé publique fort populaire montrant qu’il n’y a eu que cinq cas et aucun décès en 1931, on affirme que « Hamilton a tué le dragon ». C’est à cette époque que sont publiés les résultats de l’essai en conditions réelles le plus exhaustif du toxoïde diphtérique. Cet essai a lieu à Toronto, entre décembre 1926 et juin 1929, avec un échantillon d’environ 36 000 enfants. L’essai montre de façon concluante que le toxoïde réduit l’incidence de la diphtérie d’au moins 90 % chez ceux qui ont reçu trois doses. Ce taux d’efficacité remarquable sera maintenu à Toronto et partout au Canada pendant les années 1930, période où le toxoïde est utilisé à grande échelle. Cependant, lorsqu’on relâche les efforts d’immunisation, certaines éclosions peuvent survenir. Les travaux réalisés au Canada précèdent ceux menés aux É.-U., au R.-U. et ailleurs pour contrôler la diphtérie au moyen du toxoïde. Le toxoïde diphtérique est le premier vaccin moderne et ouvre la voie à une nouvelle ère de prévention contre certaines maladies infectieuses qui font des ravages chez les enfants.
Charles Best, la Seconde Guerre mondiale et la biotechnologie du sérum sanguin
Même si le Canada est durement touché par la Grande dépression des années 1930, les laboratoires Connaught sont florissants et attirent l’attention du monde entier en raison de leurs avancées remarquables dans le domaine de la biotechnologie, et notamment pour leur succès avec le toxoïde diphtérique, l’héparine, la cristallisation de l’insuline et le développement de l’insuline protamine zinc. Best et Scott souhaitaient poursuivre leurs recherches et leur formation hors du Canada vers la fin des années 1920, mais ce sont les années 1930 qui leur ouvrent la porte à de nombreuses propositions des milieux universitaires. Banting a lui aussi reçu et refusé de telles offres. Au début des années 1930, des universités internationales courtisent Best, impressionnées non seulement par son travail sur l’insuline, mais également sur l’héparine et l’histamine.
Une offre particulièrement intéressante arrive en mars 1933 de l’Université d’Édimbourg, en Écosse, qui invite Best à occuper le prestigieux poste de chef du département de physiologie. Le titulaire du poste, Sir Edward Sharpey-Shäfer, un des fondateurs de l’endocrinologie, est à la tête du département depuis 1899. Macleod a accédé au titre de chef du département de physiologie à l’Université d’Aberdeen en 1928, mais on ne sait pas s’il a joué un rôle dans l’offre faite à Best. Le département est cependant assez limité et a besoin d’un nouveau leadership. Même si Best est flatté par cette proposition, il la refuse. [TRADUCTION] « Vous comprendrez sans doute que je ne peux pas enseigner la physiologie dans des installations qui ne me permettront pas d’investiguer divers problèmes physiologiques, écrit-il. Ici, à Toronto, je dispose d’installations à la fine pointe ». Best n’a aucune raison de quitter l’Université de Toronto. En effet, Toronto est l’un des meilleurs endroits dans le monde pour la recherche en physiologie, mais également pour la recherche, l’innovation et la production en biotechnologie.
La prochaine phase d’innovation en biotechnologie découlant du legs de l’insuline est alimentée par les exigences médicales et de santé que génère la Seconde Guerre mondiale, et par le propre leadership de Best. Lorsque la guerre éclate, Best comprend que l’armée canadienne aura besoin, pour ses soldats au front, de plus grandes réserves de sang, mieux conservé, que lors de la Première Guerre mondiale. Même si les transfusions de sang ont sauvé la vie de nombreux soldats pendant la Première Guerre, il existe maintenant, depuis les années 1930, de meilleures solutions que le recours au sang complet pour traiter les soldats blessés. En tant que chef du département d’hygiène physiologique de la faculté d’hygiène, et directeur adjoint chez Connaught, Best a piloté une initiative pour préparer un sérum sanguin séché en collaboration avec le Conseil national de recherche, le ministère de la Défense nationale et la Croix-Rouge canadienne. L’initiative connaît un départ modeste, en septembre 1939, avec le recrutement de donneurs de sang parmi le personnel de la faculté d’hygiène et de Connaught et les étudiants de l’Université, mais elle prend rapidement de l’ampleur. Une fois le sang prélevé, on détermine le groupe et on le laisse coaguler. Le sérum est ensuite séparé du sang coagulé et les différents échantillons sont combinés en fonction du groupe sanguin. Après l’épreuve de stérilité, la cryodessication est effectuée dans une petite pièce de la faculté d’hygiène.
En octobre 1940, il faut déployer un effort coordonné plus important pour traiter les dons de sang. En janvier 1941, en partenariat avec le gouvernement, par le truchement du ministère des Pensions et de la Santé nationale, Connaught se charge de traiter le sang prélevé dans le cadre d’un programme national de dons de sang de la Croix-Rouge et de préparer le sérum par cryodessication. De plus grandes installations sont bientôt nécessaires; il faut alors interrompre certaines opérations du laboratoire ou réunir plusieurs activités afin de faire de la place pour la production de sérum. En mars 1942, avec plus de 11 000 dons de sang reçus chaque mois, il faut encore agrandir les locaux. En octobre, on reçoit plus de 57 000 dons de sang par mois et l’expansion des installations devient urgente. En août 1943, les laboratoires achètent le grand bâtiment vacant de Spadina Circle à l’ouest du campus de l’Université et le rénovent à toute vitesse pour accueillir une production accrue de sérum sanguin. À la fin de la guerre, Connaught avait reçu plus de 2,25 millions de dons de sang, qui ont permis de préparer environ 500 000 bouteilles de sérum séché. La majeure partie de la production est envoyée en Angleterre, où elle est emballée avec des bouteilles d’eau distillée, nécessaire pour dissoudre le sérum séché et traiter les soldats blessés.
Même si la contribution importante de Connaught à l’effort de guerre canadien et des Alliés se poursuit et prend de l’ampleur dans plusieurs domaines – notamment par une production de pénicilline accrue et le développement et la production de plusieurs vaccins – la participation directe de Best prend fin en février 1941. En effet, la mort tragique de Banting dans un accident d’avion en février 1941 propulse Best au poste de directeur du département de recherche médicale Banting et Best. Au même moment, Best démissionne de son poste de directeur adjoint chez Connaught, mais demeure un consultant pour les laboratoires. Best se concentre sur la recherche en physiologie pour soutenir l’effort de guerre.
Le décès de Banting suit de près la mort soudaine de FitzGerald en juin 1940, qui se suicide, accablé par des problèmes de santé mentale. Les tribulations personnelles de FitzGerald n’étaient pas connues du public à cette époque. Ces deux décès, en plein cœur de la Deuxième Guerre mondiale, mènent à une transition importante quant à la nature et la portée de la recherche et de l’innovation en biotechnologie chez Connaught, qui se détourne graduellement de l’insuline. Les années de guerre et la période d’après-guerre donneront lieu à de nouveaux défis en santé publique et offriront aux laboratoires de recherche médicale Connaught, comme ils seront renommés en 1946, la possibilité de poursuivre leurs travaux en biotechnologie pour mieux contrôler et, finalement, prévenir la maladie.