Legs de la recherche sur l’insuline et en matière d’innovation : Missions de recherche médicale
Par Christopher J. Rutty, Ph.D
Historien principal, Moments déterminants Canada, « Insuline 100 »
La « recherche médicale » est le titre de l’allocution de Frederick Banting lors de la réunion annuelle de l’Association médicale canadienne (AMC) à Victoria, en C.-B., en juin 1926. « L’étape la plus importante de la science médicale est la recherche médicale », mentionne Banting au début de son discours, qui sera ensuite publié dans le numéro du CMA Journal du mois d’août. En conclusion, Banting souligne les défis auxquels est confronté le médecin canadien qui veut résoudre un problème médical urgent, ou qui a une solution prometteuse pour le traiter, mais n’a pratiquement pas de moyens, voire aucun, pour mener des travaux en ce sens au Canada. [TRADUCTION] « Lorsqu’un Canadien visite les centres médicaux des États-Unis, explique Banting, il est surpris par l’ampleur des fonds et des installations mis à la disposition des chercheurs. Lorsque nous comparons les installations de nos propres centres, on ne peut pas blâmer les Canadiens ambitieux de sacrifier leur nationalité pour de plus généreuses conditions ». En octobre 1920, Banting est l’un de ces médecins qui ont une idée prometteuse, mais il est également l’un des rares qui ont eu la chance de bénéficier du soutien du professeur J.J.R. Macleod de l’Université de Toronto, même si ce soutien est modeste (un petit laboratoire, quelques chiens de laboratoire, 100 $ en argent et un adjoint fraîchement diplômé).
Comme l’a souligné Banting à la fin de son allocution à l’AMC, la Fondation de recherche Banting existe depuis un peu plus d’un an pour venir en aide à ceux qui ne peuvent pas obtenir de soutien d’autres sources. [TRADUCTION] « Sa mission, explique-t-il, consiste à aider les hommes qui ont des idées à poursuivre leurs recherches en médecine en leur fournissant les installations nécessaires. » À cette époque, il n’existe pas d’autre fondation de recherche médicale au Canada; on soulignera d’ailleurs que plusieurs femmes en bénéficieront. La première campagne de souscription de la Fondation commence en1925, mais il faudra plusieurs années d’organisation pour bâtir un capital suffisant pour pouvoir verser les premières bourses en 1928. Une partie des revenus de la Fondation permet également de soutenir la chaire de recherche médicale Banting et Best à l’Université de Toronto, et les recherches menées par Banting.
Ironiquement, vers le milieu des années 1920, Banting est l’un des chercheurs les mieux financés au Canada, grâce aux redevances de son brevet sur l’insuline, une rente fédérale, une bourse annuelle provinciale destinée à la chaire de recherche médicale Banting et Best, ainsi que sa part du Prix Nobel et d’autres prix. Cependant, il demeure frustré à titre de chercheur en médecine. Il est le professeur principal en recherche médicale au Canada, mais son financement n’est pas à la hauteur de sa grande découverte, ce qui génère quelques déceptions, pour lui comme pour d’autres intervenants. Il travaille avec une adjointe de talent, Sadie Gairns, depuis le mois d’octobre 1922. Elle a un diplôme de premier cycle en économie domestique de l’Université de Toronto et une maîtrise en physiologie, menée sous la direction de Macleod. Banting aurait préféré un homme, mais au moment où elle est engagée par le professeur Velyien Henderson, chef du département de pharmacologie, il n’y a plus suffisamment d’argent pour payer le salaire d’un assistant. Un an plus tard, Banting dispose des fonds nécessaires pour engager un homme, mais il est très satisfait du travail de Gairns, qui se révèle inestimable pour ses talents en recherche et sa loyauté pendant cette période difficile pour Banting.
À l’automne 1923, les recherches de Banting sont très éloignées de l’insuline ou du diabète. En effet, lors d’une visite à London, en Ontario, au moment du troisième anniversaire de sa grande idée de génie, il s’exclame : [TRADUCTION] « Il y a trois ans, je me suis fiancé, il y a deux ans, en mai dernier, je me suis marié et aujourd’hui, je demande le divorce de l’insuline. » Son dernier article sur le sujet, portant sur les facteurs qui influencent la production d’insuline, et qu’il convainc Gairns d’écrire avec lui, sera publié en janvier 1924. Dans cet article, il applique ce qu’il a appris avec les extraits pancréatiques à d’autres glandes, comme le cortex de la glande suprarénale, dans l’espoir d’extraire des substances similaires prometteuses, comme une sorte « d’antitoxine universelle », qui serait encore plus importante que l’insuline. Mais il est réticent. En novembre 1923, pendant toute la folie des Prix Nobel, Banting admet « qu’il est en position très précaire, car de nombreuses personnes attendent quelque chose de lui et qu’il n’a rien à leur offrir. »
Malgré ses échecs en laboratoire, Banting poursuit ses recherches sur le cancer en préparant un extrait tiré d’une tumeur cancéreuse, mais les résultats sont décevants. Il enchaîne avec un autre projet de recherche sur le cancer reposant sur une tumeur affectant les poulets et qui semble se transmettre, mais il constatera plus tard qu’il s’agit en fait d’un virus. Cette constatation laisse toutefois entendre qu’un cancer peut être créé en laboratoire et qu’un agent, comme un sérum, une antitoxine ou un vaccin, pourrait freiner sa progression. Peut-être trouvera-t-il ainsi un remède contre le cancer. Cependant, les résultats sont peu encourageants et ne donnent aucun résultat concret.
À l’exception de Gairns, Banting mène ses travaux seul. Sa rupture personnelle et professionnelle avec Macleod, qui quitte Toronto en 1928, le prive d’un important soutien scientifique. Vers le milieu des années 1920, Best est en Angleterre où il poursuit des études supérieures, et ne reviendra pas avant décembre 1926. Au cours de l’été 1925, encouragé par le Dr J.G. FitzGerald, directeur des laboratoires Connaught, Banting essaie de se réconcilier avec Collip. Il a eu peu de contacts avec ce dernier depuis son retour de l’Université de l’Alberta à l’été 1922. Mais après la réunion de l’AMC de 1926 à Victoria, Banting part à la rencontre de Collip, à Calgary, dans l’espoir d’enterrer la hache de guerre.
Contrairement à Banting, qui suscite le plus d’attention du public, Collip connaît ses plus grands succès en recherche médicale pendant les années 1920 et 1930. Le rapprochement de Banting avec Collip commence par une lettre le félicitant pour ses récentes recherches qui ont mené à l’isolement de l’hormone parathyroïdienne, également appelée parathormone, qui régule la quantité de calcium dans le sang et son effet sur les os, les reins et l’intestin. Comme pour Banting, la part des redevances du brevet sur l’insuline revenant à Collip se révèle rapidement une source de financement importante et croissante pour ses recherches en biochimie; il en bénéficiera lors de son passage à l’Université de l’Alberta jusqu’à son transfert à McGill en 1928, et ensuite à l’Université Western Ontario, où il s’installera en 1947. En 1925, la part des redevances sur l’insuline revenant à Collip totalise 8 000 $. En outre, Collip investit sa part du Prix Nobel (remise par Macleod) à Edmonton, ce qui lui attire davantage de dons et de bourses de recherche : le collège des médecins et chirurgiens de l’Alberta lui remet 9 000 $, la Fondation Rockefeller lui donne 5 000 $, et la Fondation Carnegie, 10 000 $. Avec tout ce financement, Collip peut faire construire un laboratoire à la fine pointe qui correspond aux laboratoires de Toronto, engager des assistants et se libérer de ses tâches d’enseignement. Aussi, contrairement à Banting, Collip poursuit ses études et obtient un doctorat en sciences en 1924 et un doctorat en médecine en 1926, les deux de l’Université de l’Alberta, tout en travaillant à ses projets de recherche.
À son retour de l’Université de l’Alberta, l’objectif premier de Collip est de fabriquer de l’insuline à petite échelle pour un usage clinique et de poursuivre son expérimentation avec la substance. Au début de décembre 1922, l’insuline de Collip est utilisée pour redonner vie à une fillette de huit ans dans un profond coma diabétique. Le récit dramatique de l’insuline arrachant la fillette d’une mort certaine attire l’attention des médias partout en Amérique du Nord. La recherche de Collip sur l’insuline l’amène à extraire et à tester une substance similaire à l’insuline provenant des plantes, qu’il appelle « glucokinine » et qui semble de prime abord une option de rechange prometteuse. Cependant, comme dans le cas de l’extrait du cortex de la glande suprarénale de Banting, qui suscite beaucoup d’enthousiasme, Collip s’emballe un peu trop pour la glucokinine, sans comprendre sa véritable valeur thérapeutique. Collip sait que des recherches sont en cours ailleurs dans le monde sur des substances similaires, et il entend bien faire valoir ses revendications en priorité. Cependant, il apparaît évident que les promesses de la glucokinine sont prématurées et Collip se désintéresse rapidement des plantes et d’autres sources d’insuline possibles pour se concentrer sur les troubles physiologiques chez l’humain comme chez les animaux.
La découverte de l’insuline et son efficacité redoutable pour traiter le diabète incite de nombreux chercheurs à étudier d’autres glandes et les hormones qu’elles produisent. Avant l’insuline, on utilisait des extraits d’adrénaline et de thyroxine pour traiter certaines maladies rares. Mais l’insuline constitue le premier traitement hormonal d’importance pour traiter une maladie qui n’est ni rare, ni facilement contrôlable. Collip est certainement à l’avant-plan de la recherche sur les glandes et hormones postinsuline, en commençant par la glande parathyroïde. En 1891, le physiologiste Eugene Gley montre pour la première fois que lorsque les glandes sont retirées chirurgicalement, des contractions musculaires généralisées et intenses (tétanie) surviennent chez le patient, entraînant la mort. On savait également que le traitement aux sels de calcium pouvait se révéler efficace, tout comme les extraits bruts tirés de la glande ou les greffes de glande.
Suivant une procédure similaire qu’il emploie en laboratoire pour extraire l’insuline, Collip parvient à isoler et à purifier l’hormone parathyroïde et à l’utiliser pour traiter un enfant souffrant de graves contractions musculaires. Fort de son expérience avec l’insuline, Collip dépose une demande de brevet et cherche à former un partenariat avec Eli Lilly pour développer et vendre ce traitement hormonal. Cependant, il est rapidement confronté à une revendication rivale concernant des travaux similaires présentée par un médecin, Adolph M. Hanson. Hanson est un médecin et scientifique indépendant ayant une formation en chirurgie, établi au Minnesota et qui, en 1922, a aménagé un petit laboratoire dans le sous-sol de sa maison pour réaliser des expériences. C’est Hanson qui finit par obtenir le brevet, mais Collip obtient tout le mérite scientifique pour avoir préparé un extrait actif et établi la preuve définitive de son activité biochimique et de son effet physiologique. (En 1959, l’Université de l’Alberta installe une plaque de bronze au département de biochimie soulignant la reconnaissance internationale accordée à Collip pour son travail avec l’hormone parathyroïde).
Les multiples succès de Collip en tant que chercheur en biochimie et en physiologie, ainsi que ses études sur les hormones, lui valent plusieurs invitations à s’installer à l’Université du Minnesota ou à l’Université McGill. (McGill lui a déjà présenté une offre en ce sens, mais il souhaite avant tout étoffer les capacités de recherche à l’Université de l’Alberta). Mais en 1927, McGill demande à Collip d’instaurer un environnement de recherche plus solide à l’université et lui offre le poste de nouveau chef du département de biochimie de la faculté de médecine. C’est une offre qu’il peut difficilement refuser. Avant d’accepter l’offre de McGill, Collip garde le silence sur le fait que ses redevances sur l’insuline le suivront à Montréal : en 1927, elles valaient 13 648 $, soit 2 500 $ de plus qu’en 1926. Il ne veut pas que cet avantage influence indûment la décision de McGill. En novembre 1927, lorsque Collip accepte de s’installer à McGill et après avoir dévoilé la valeur de ses redevances, il mentionne dans une lettre que si la valeur de ses redevances continue d’augmenter, ses recherches ne souffriront pas d’un manque de financement.
Collip commence son mandat à McGill le 1er juin 1928. Il poursuit ses recherches sur l’hormone parathyroïde jusqu’au début des années 1930 et la chance frappe à nouveau. Il extrait des hormones du placenta, lançant ainsi une nouvelle phase de recherche ciblée sur l’endocrinologie des hormones sexuelles. Les extraits de placenta accélèrent la maturation des jeunes rats et souris. En outre, l’extrait est actif lorsqu’il est administré oralement, une constatation particulièrement importante. Ce travail ne vise pas principalement à extraire des hormones pour traiter des troubles ou des maladies spécifiques, mais plutôt à mieux comprendre les fonctions particulières des hormones sexuelles dans la reproduction humaine et la façon dont ces fonctions pourraient être régulées afin de remédier à des problèmes particuliers.
Collip parvient à tester les effets de l’extrait de placenta sur des patients dont la puberté est retardée; il obtient à cet égard des résultats très encourageants avec des patientes qui souffrent de troubles menstruels, de menstruations douloureuses et de symptômes de ménopause pénibles. Le travail de Collip avec les hormones placentaires, ainsi que des travaux similaires avec les hormones pituitaires, mènent au développement de l’hormone oestriol, au Premarin, au Pituitrin et à l’Emmenin, ce dernier étant utilisé dans le cadre d’une thérapie de remplacement de l’œstrogène. La plus importante découverte de Collip, après l’insuline, est l’isolement de l’hormone adrénocorticotrope (ACTH) qui est produite par l’antéhypophyse et qui influe sur l’action du cortex de la glande suprarénale. L’ACTH est souvent produite en réponse à un stress biologique et ses principaux effets consistent à accroître la production et la libération de cortisol par le cortex de la glande suprarénale.
Du milieu jusqu’à la fin des années 1920, le travail de Banting à l’Université de Toronto et celui de Collip à l’Université de l’Alberta et à McGill représentent l’essentiel de la recherche médicale effectuée au Canada. Leurs travaux sont financés par les redevances de leur brevet sur l’insuline et des bourses de recherche découlant de leurs percées en lien avec cette substance. Ce financement permet d’agrandir les laboratoires de recherche biochimique au-delà du campus de l’Université de Toronto, car on espère des résultats particulièrement importants dans le domaine de l’endocrinologie.
À partir de 1928, les revenus de la Fondation de recherche Banting commencent à être suffisants pour stimuler le travail de recherche réalisé par des boursiers d’autres universités canadiennes, ainsi que celui de chercheurs indépendants. Le Dr Bruce Chown est l’un des premiers à recevoir une telle bourse. Il est pathologiste à l’hôpital pour enfants de Winnipeg et médecin responsable des cliniques externes dédiées à la tuberculose et aux maladies cardiaques; le second sera le Dr J.L. Jackson, conférencier en anatomie à la faculté de médecine de l’Université du Manitoba. Le travail de Chown porte sur la pyélonéphrite, une forme d’inflammation grave des reins chez les enfants, alors que le projet de recherche de Jackson porte sur l’histologie de la glande thyroïde.
Lors de la réunion annuelle de la Fondation en novembre 1930, on rapporte avoir déjà dépensé 30 000 $, dont une partie est consacrée à la poursuite des travaux de recherche menés par le département de recherche médicale Banting et Best. La majeure partie des bourses vise à financer les frais de subsistance, les fournitures et les équipements des demandeurs dont les projets de recherche portent sur des problèmes médicaux. Entre 1928 et 1931, la Fondation accorde une bourse à 38 demandeurs.
Les nouvelles des réunions annuelles de la Fondation de recherche Banting ne sont pas seulement rapportées par la presse médicale canadienne, mais également dans des journaux spécialisés, comme Science, Nature et le British Medical Journal. Dans le numéro du 12 février 1932 de Science, un article sur la Fondation mentionne qu’au cours de la dernière année, malgré l’attention soutenue accordée au choix des projets à financer, les fiduciaires ont dépensé la presque totalité de leurs revenus annuels. Il va donc sans dire que cette fondation a fait une énorme contribution à la recherche médicale, surtout dans les facultés de médecine du Canada qui doivent se contenter de revenus modestes.
Le 10 février 1934, un article sur la Fondation dans Nature précise que 92 bourses ont été consenties depuis 1928 à 63 chercheurs individuels. Ces derniers se trouvent à l’Université de l’Alberta (4), à l’Université de la Saskatchewan (2), à l’Université Dalhousie (8), à l’Université Queen (2), à l’Université Western Ontario (2), à l’Université du Manitoba (16), à l’Université McGill (26) et à l’Université de Toronto (30). Deux boursiers ne sont affiliés à aucune université. En outre, au moins 50 articles rédigés par des boursiers ont été publiés dans des revues scientifiques, et 15 autres articles sont prêts à être publiés. Les fonds versés au département de recherche médicale Banting et Best ont permis de soutenir des recherches décrites dans de nombreuses publications sur la silicose, l’action des vitamines et divers autres sujets. Tel que mentionné dans Nature et Science au début du mois de mars 1934, la Dépression génère une augmentation des demandes de financement auprès de la Fondation. Et comme l’indiquent les journalistes de Science un juin 1938, dix ans après le versement des premières bourses de la Fondation, un total de 184 bourses ont été accordées à 110 chercheurs dans des universités de partout au pays. La liste des établissements qui bénéficient de ce financement comprend maintenant l’Université de la Colombie-Britannique et le collège Brandon au Manitoba.
Dans le résumé du rapport annuel de la Fondation pour 1938-1939, publié dans Science en avril 1940, on souligne que selon les demandes récemment présentées, [TRADUCTION] « il apparaît évident que la tendance en recherche médicale vise de plus en plus l’acquisition de connaissances sur la formation, la nature et l’action de substances qui produisent des effets physiologiques et qui, lorsqu’elles sont insuffisantes, en excès ou altérées, provoquent diverses pathologies. » Cette tendance se poursuit, mais avec l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, elle sera écartée au profit de recherches aux objectifs plus pragmatiques. Cependant, au moment où le Canada entre en guerre, en septembre 1939, la Fondation de recherche Banting n’est plus la seule source de financement de la recherche en médecine au Canada.
En février 1938, on demande à Banting de présider le nouveau comité adjoint de la recherche médicale, qui fait partie du Conseil national de recherches du Canada. Banting avait alors reçu le titre honorifique de « Sir », accordé en 1934 par le premier ministre R.B. Bennett, et faisait partie du Conseil national de recherches en reconnaissance de son rôle en tant que premier porte-parole national pour la recherche médicale au Canada. Le CNRC a été formé en 1916 en tant qu’organisme gouvernemental semi-indépendant ayant pour mandat de coordonner et de favoriser la recherche scientifique dans divers domaines au Canada. Le Conseil n’avait pas forcément de vocation médicale jusqu’en 1935, lorsque son nouveau président, le général A.G.L. McNaughton, demande que l’on forme un comité adjoint spécial pour la recherche médicale. Lorsque Banting se joint au CNRC en 1937, il n’existe toujours pas d’organisme public voué à la recherche médicale, même si le CNRC finance certains travaux de recherche sur la tuberculose, la radiologie et le radium.
Après de vastes consultations, le comité adjoint de la recherche médicale est officiellement formé lors d’une conférence spéciale à Ottawa. Comme le rapporte le Globe and Mail le 19 février 1938, Banting est placé à la tête de ce nouvel organisme. À l’origine, comme le précise Michael Bliss dans son ouvrage Banting: A Biography, Banting hésite à prendre la direction de ce comité, mentionnant à McNaughton qu’il ne se sent pas qualifié pour ce travail et qu’il ne mérite pas réellement la réputation qu’on lui a faite. McNaughton n’est pas d’accord. [TRADUCTION] « Vous avez une réputation dans ce domaine, ce qui n’est pas mon cas. Qu’elle soit méritée ou non ne fait aucune différence. Vous l’avez, tout simplement. Vous pouvez faire ce travail mieux que moi et c’est votre devoir de le faire. » Banting n’est pas homme à refuser d’accomplir son devoir. Il finit par accepter.
La première tâche du comité consiste à faire le point sur l’état de la recherche médicale au Canada afin de savoir qui fait des recherches sur quoi et où. Cette mission se révèle pénible pour Banting, qui doit parcourir le pays et prononcer de nombreux discours. Mais cela lui permet également de revoir de vieux amis, dont Collip, lors d’un passage à Montréal. La plus grande difficulté des chercheurs réside dans le fait qu’ils ont trop d’étudiants, trop peu de techniciens, et jamais assez d’argent pour poursuivre leurs recherches. Banting et le comité constatent, au fil de leurs visites, que des travaux d’envergure sont menés à Toronto et à Montréal, ainsi qu’à l’Université du Manitoba. Au cours de sa première année, le comité adjoint reçoit des demandes représentant un financement de 125 000 $, mais son budget n’est que de 53 000 $, dont seulement 28 000 $ sont dédiés aux bourses pour de nouveaux projets de recherche.
L’entrée du Canada dans la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939 brouille les plans du comité adjoint, puisque la communauté scientifique et le CNRC occupent une place centrale dans tous les aspects de l’effort de guerre canadien. En 1942, la plupart des programmes de recherche médicale en temps de paix sont interrompus en faveur de travaux plus ciblés visant à soutenir l’effort de guerre, tant pour la santé des soldats que de la population civile. Lorsque la guerre éclate, ces travaux sont dirigés par les trois membres survivants de l’équipe qui a découvert l’insuline, en tant que leaders de la recherche médicale canadienne (Macleod meurt en Écosse en 1935). Ils forment à cet effet trois sous-comités spéciaux.
Banting préside le comité sur la médecine aéronautique, avec des membres du département de recherche médicale Banting et Best qui s’impliquent activement dans ce domaine de la médecine et qui élaborent le premier uniforme antigravité permettant aux pilotes de résister à des forces gravitationnelles élevées sans perdre connaissance. Best préside le comité adjoint de la recherche médicale nautique et s’intéresse aux études sur le mal de mer. Collip, pour sa part, fait déjà partie du comité adjoint de la recherche médicale militaire et a été vice-président du principal comité de recherche médicale. Il remplace Banting, souvent absent, lors des réunions. En effet, ce dernier se rend au R.-U. en décembre 1939 et en janvier 1940 afin de faire le lien avec le conseil de recherche médicale britannique dans le cadre de l’effort de guerre conjoint. Banting s’intéresse plus particulièrement à la menace possible d’une guerre bactériologique dans le cadre des travaux du comité ultrasecret M-1000 du Canada.
Le 15 février 1941, Banting reçoit un appel lui ordonnant de se rendre à nouveau au R.-U., mais ce voyage sera cette fois très différent. Depuis son dernier voyage outremer, la situation et les travaux de Banting ont beaucoup évolués. En fait, ses projets ici au pays avancent bien, mais Banting veut être là où est l’action. Lorsqu’il reçoit finalement l’appel tant attendu, il ne sait pas combien de temps il sera parti. Il quitte l’Amérique du Nord à Gander, à Terre-Neuve, en tant que passager unique d’un nouveau bombardier Hudson à deux moteurs de Lockheed en plein cœur de l’hiver. Ces vols transatlantiques sont encore rares à cette époque et les passagers n’arrivaient pas toujours à bon port. Plusieurs de ces bombardiers Hudson, fabriqués aux É.-U., sont requis en Angleterre et doivent traverser l’océan en convoi avec Banting comme passager sur l’un d’eux.
Après avoir reçu son ordre de départ, Banting est inquiet à propos du vol et son anxiété augmente au fur et à mesure qu’il apprend les détails de ce que comporte cette expédition et ses risques. Sadie Gairns lui suggère de rester au pays, mais Banting veut être utile et accepte son devoir, malgré les risques. L’aventure commence le 16 février par un voyage en train jusqu’à Montréal, où il rencontre Collip. Les deux discutent longuement de la belle époque de l’insuline, il y a déjà vingt ans. Ils tentent ensemble d’évaluer le mérite de tous les acteurs de cette découverte. Collip l’établit comme suit : 80 % Banting, 10 % Best et 5 % Collip et Macleod. [TRADUCTION] « Tu sais très bien qu’on ne serait parvenu à rien sans toi », répond Banting.
Le lendemain matin, Banting embarque à bord d’un des avions à St-Hubert, un peu à l’extérieur de Montréal, pour un vol de cinq heures jusqu’à Gander. Mais des conditions difficiles à l’est et un blizzard local retardent son départ de Gander pendant plusieurs jours. Banting passe le temps en socialisant avec les membres d’équipage et le personnel médical de la base, qui est surpris d’apprendre que leur passager est le fameux docteur qui a découvert l’insuline. Pourquoi traverse-t-il l’Atlantique à bord d’un Hudson Lockheed en plein milieu de l’hiver?
Enfin, le 20 février, l’équipage commence à se préparer pour la traversée. Banting apprend avec stupeur que trois des équipes de vol du Hudson ont été décimées le jour d’avant, peu après leur décollage de St-Hubert. Néanmoins, cinq des Hudson quittent Gander (un reste au sol en raison de problèmes de moteur). Après quelque temps, les opérateurs radio de quatre des bombardiers reçoivent un appel de l’avion de Banting demandant des instructions pour un retour à Gander. Un silence radio s’installe après ce dernier message. L’avion a parcouru 70 km au-dessus de l’Atlantique Nord lorsque le refroidisseur d’huile entraîne l’arrêt du moteur. L’avion peut quand même revenir à l’aéroport avec un seul moteur, mais peu après, l’autre moteur cesse de fonctionner. L’avion se retrouve alors sans moteur.
Les Hudson ne sont pas conçus pour planer. Le pilote, Joseph C. Mackey, espère atterrir sur une bande de terre plate, mais il ne peut pas éviter un atterrissage à la dure. Aucun incendie ne se déclare et Mackey et Banting survivent à l’écrasement. Cependant, l’opérateur radio, William Snailham, et le lieutenant d’aviation, William Bird, sont tous les deux tués. Banting souffre d’une grave blessure à la tête et d’un poumon perforé. Comme Mackey le racontera plus tard à un journaliste du Toronto Star, il réussit à stabiliser Banting et à lui parler. Cependant, vers midi le lendemain, 21 février, Banting sombre dans un état d’inconscience profond et Mackay décide de partir chercher de l’aide. Seul, Banting reprend connaissance. Il réussit à sortir de l’avion et à avancer dans la tempête. Mackey revient plus tard à l’avion, mais trouve Banting mort. Il lance une fusée de signalisation, mais les avions de recherche ne peuvent pas quitter Gander avant 14 h le 21 février.
Les collègues de Banting et la presse apprennent que l’avion a disparu. Les équipes de recherche finissent par retrouver la carcasse de l’avion le 24 février, juste au moment où Mackey se préparait à abandonner et à suivre une voie ferrée pour atteindre la ville la plus proche. Une équipe de recherche à bord d’un Hudson a vu la poudre d’aluminium répandue par Mackey et formant ce message dans la neige : TROIS MORTS – JOE. L’annonce publique officielle de la mort de Banting est faite à la Chambre des communes, et des funérailles privées ont lieu le 3 mars. Le corps de Banting est exposé au Convocation Hall de l’Université de Toronto jusqu’à la tenue du service funéraire le 4 mars. Lors de la réunion suivante du comité adjoint de la recherche médicale, les membres observent une longue minute de silence. Collip a été le dernier des amis et collègues de Banting à le voir vivant et il est particulièrement éprouvé par ce décès prématuré.
Collip succède à Banting comme président du comité adjoint de la recherche médicale et devient le principal responsable de la recherche médicale au Canada. Collip restera à la tête du comité jusqu’au moment de sa retraite officielle, en 1957, mais il contribue parallèlement à développer les capacités de recherche à l’Université Western Ontario où il est le doyen de la faculté de médecine depuis 1947. Pendant ce temps, la recherche médicale au Canada continue de prendre de l’expansion et de se transformer, pendant et après la guerre. En effet, au moment où décède Collip, en juin 1965, la recherche médicale a évolué bien au-delà de ce qu’avait laissé entrevoir la découverte de l’insuline en 1921 et de ce que Banting espérait dans son discours sur la recherche médicale de 1926.