Citez

Tout a commencé par une découverte

Par Cale Allen

Cale a reçu un diagnostic de diabète de type 1 en 2003. Iel a participé au Camp Discovery et au Camp Huronda en tant que campeur et membre du personnel. Ce sont deux camps pour diabétiques de l’Ontario, administrés par Diabète Canada. Cale siège également sur le conseil d’administration de la Pride Camping Association, un organisme à but non lucratif qui soutient l’inclusivité des personnes 2SLGBTQ+ dans les camps de vacances en Amérique du Nord. Cale poursuit des études universitaires de premier cycle à l’Université de Waterloo en développement social, avec une spécialisation en travail social. Iel se réalise en aidant et apportant du soutien aux personnes de sa communauté.

Traduire en mots les difficultés d’une vie marquée par le diabète n’est pas chose facile, mais je vous propose le récit suivant, dans le but de partager mon expérience. Le diabète est une condition qui fluctue constamment, qui change et qu’il faut évaluer encore et toujours et ce cycle incessant de tests et de suivis a donné du sens à ma vie. Nous fêtons en 2021 le 100e anniversaire de la découverte de l’insuline et j’ai le privilège de pouvoir dire que le diabète a contribué à sauver ma vie. Il y a encore trop de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à l’insuline, contrairement aux intentions de Frederick Banting lorsqu’il a fait cette grande découverte.

Mes problèmes de santé ont commencé alors que j’étais encore un petit enfant. Non, ce n’était pas le diabète, mais l’asthme viral qui m’a causé bien des soucis. Je n’avais que quatre ans, mais j’avais déjà été hospitalisé à trois reprises pour des crises d’asthme. Chacune des crises était marquée par un très court laps de temps entre le moment où ma respiration passait de la quinte de toux et des sifflements au resserrement quasi complet de mes bronches, m’empêchant ainsi de respirer. C’est ce qui s’est passé lors de ma dernière crise d’asthme : mes bronches se sont complètement refermées. Ma grand-maman, une infirmière, m’a raconté, des années plus tard, qu’elle avait observé l’électrocardiogramme et que pour un instant, mon cœur avait cessé de battre. Grâce au travail acharné d’une équipe du tonnerre et d’une perfusion de prednisone, mes bronches se sont rouvertes. Cette bouffée d’air qui m’a ramené à la vie marque en fait une entrée symbolique dans l’existence difficile qui allait suivre. Dans l’année qui a suivi cette grave crise, mon spécialiste m’a dit que j’avais surmonté mon asthme, ce qui a grandement soulagé ma famille qui craignait constamment ma prochaine crise. Quel paradoxe de penser qu’à peine un an plus tard, nous allions apprendre que la prednisone qui m’avait sauvé la vie, avait probablement catalysé les problèmes de mon pancréas, moi qui viens d’une famille où il n’y a aucun antécédent de diabète.

La fête de 6 mes ans où tout a basculé

J’ai fêté mes six ans dans la joie; c’était la première fête où la crainte d’une crise d’asthme n’était plus qu’un vague souvenir du passé. Né au mois de juin, j’étais tellement excité à l’idée de fêter à l’extérieur, dans la cour. La cuisine de notre maison donnait sur une grande terrasse surélevée, d’où ma mère m’appelait pour rentrer à l’intérieur. Je me rappelle vivement comment elle nous a appelé, mes amis et moi, pour venir à l’intérieur pour mon gâteau de fête. Mes amis se sont précipités en haut des marches vers la cuisine. Je me tenais au bas de l’escalier; j’avais la nausée et je me demandais comment j’allais faire pour chanter et manger du gâteau. L’enfant de six ans que j’étais a pris une grande respiration, a monté les marches et a participé aux activités de ma fête d’anniversaire.

Mes talents artistiques n’ont pas bien vieilli avec le temps… vous pouvez voir où l’encre du crayon feutre a déteint là où j’ai appliqué un tampon d’alcool sur le bras de la poupée pour me pratiquer à injecter l’insuline.

Le malaise que j’avais ressenti ne s’est pas dissipé. J’avais maintenant soif tout le temps et je mouillais mon lit toutes les nuits, même si c’était quelque chose qui ne m’arrivait plus depuis longtemps déjà. Ma mère avait lu un article dans un magazine dans lequel il était question des symptômes du diabète de type 1 et m’a amené voir le médecin pour passer des tests. Un vendredi 13, le médecin a appelé ma mère et lui a demandé de m’amener d’urgence à l’hôpital. C’est à ce moment que les tests ont révélé le pire; je souffrais du diabète de type 1. J’ai été très malade, ce que ne m’a jamais empêché de demeurer très optimiste et d’être heureux. Je garde même un bon souvenir de mes visites à l’hôpital; j’y avais du plaisir alors qu’il en était probablement tout autre pour mes parents. Le personnel était tellement gentil. Ils me lisaient des histoires pendant leur pause et m’accompagnaient aux séances de ludothérapie. C’est en fabriquant une poupée que j’ai appris tout ce que je devais savoir sur les sites d’injection.

Tous les trois mois depuis l’âge de six ans, je passe des tests sanguins et je rencontre mon équipe de gestion du diabète pédiatrique. Ces gens sont pour moi comme une deuxième famille. J’adore les voir, prendre de leurs nouvelles et partager avec eux ce qui se passe dans ma vie. Un jour à la clinique, le Dr Stein, mon endocrinologiste, m’a parlé de Camp Discovery, un camp de vacances pour les enfants atteints du diabète de type 1. Mes parents étaient d’accord pour m’y envoyer puisque le Dr Stein y allait également, à titre de membre du personnel. C’est pourquoi j’ai fréquenté ce camp depuis l’âge de neuf ans et le Dr Stein était présent lors de tous mes séjours. C’est au camp que j’ai cessé de vivre mon diabète comme un fardeau et qu’il m’a donné une sorte de filet de sûreté. Je m’y sentais comme membre  d’une communauté sur laquelle je pouvais compter, lorsque je suis passé à travers des moments difficiles. C’est une communauté de personnes avec qui je partage une expérience, un vécu, des connaissances vers qui je peux me tourner et savoir que même lorsque je me sens seul, ils sont tous là et ils me comprennent. Au camp, je pouvais être pleinement moi-même. Les cinq journées que je passais au camp avaient tant de valeur à mes yeux. En quittant le camp, je comptais déjà les jours avant de pouvoir y retourner l’été suivant.

Le camp est rapidement devenu un espace où je me sentais en sécurité. Je m’étais fait une bonne carapace et j’étais devenu tellement habitué à faire bonne figure; je n’avais pas réalisé à quel point je vivais ma vie pour plaire aux autres. Au camp, je pouvais être moi-même. Il y a quelque chose au camp qui me permet d’être en contact avec moi-même. À chaque visite au camp, je fortifiais des amitiés et des relations qui allaient perdurer au-delà des limites du camp. Mes amis et moi nous nous retrouvions après une année passée à s’échanger des courriels et nous avions des tonnes de plaisir. Les discussions de vie sont rapidement devenues une de nos activités favorites. C’est devenu une tradition de passer une soirée avec quelques-unes des infirmières et infirmiers pour discuter de la réalité de l’adolescence, des changements, des difficultés, en plus d’acquérir d’importantes connaissances médicales. Quand le dernier soir de mon séjour arrivait, j’étais toujours bouleversé et immensément triste. Heureusement, j’ai pu me confier aux membres de l’équipe médicale du camp et ils m’ont aidé à comprendre et gérer mes émotions et m’ont permis d’établir contact avec le Dr Stein pour en apprendre davantage sur les systèmes de soutien en dehors du camp.

Le Dr (Robby) Stein et moi, un jeune campeur en 2010 au Camp Discovery
Et neuf ans plus tard, à titre de membre du personnel
depuis 5 ans.

Il n’est pas aisé de reconnaître la charge émotionnelle vécue par les personnes atteintes du diabète; peu de personnes comprennent à quel point il est ardu de vivre 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 avec une maladie auto-immune. Les personnes atteintes de diabète demeurent des personnes à part entière avec des vies actives. Je comprends maintenant que « l’immense tristesse » que je ressentais au moment de quitter le camp était en fait une crise d’anxiété qui se déclenchait au moment où je me préparais mentalement à retourner chez moi. Je me sentais complètement démuni à l’idée de retourner à la maison et de faire comme si tout était parfait et que j’étais heureux. Certaines personnes se tournent vers les fêtes et la consommation de drogues ou d’alcool pour pallier le manque de soutien externe pour gérer le stress vécu à la maison. J’aurais pu moi aussi – et j’ai été proche de le faire, croyez-moi – recourir à ces méthodes pour m’aider, or je ressentais un lien très fort avec la communauté des diabétiques et j’ai pu compter sur ce système de soutien. Nombreux sont les jeunes dont la vie personnelle est truffée de difficultés qui finissent par négliger leur santé et la gestion de leur diabète. Dans mon cas, je savais que continuer à bien gérer mon diabète était la condition pour que mes parents continuent de m’envoyer au camp et de passer du temps avec la communauté des diabétiques.

Lorsqu’il ne m’a plus été possible de participer au camp comme campeur, j’ai aussitôt postulé pour faire partie de l’équipe des employés. J’étais emballé puisque travailler au camp signifiait que j’allais passer tout l’été au camp. J’ai eu la chance de travailler au Camp Discovery pour une semaine et ensuite aux camps Banting et Huronda pour offrir des services de counseling pour les autres semaines de l’été. Chacun des camps est unique à sa façon et c’est ce qui m’a le plus plu. Je me sens chez moi au Camp Discovery; ce sentiment émane du fait que j’entretiens des relations de confiance avec toute l’équipe médicale qui y travaille. Au cours des années, de nombreux employés du programme du Camp Banting sont venus travailler au Camp Discovery. Au Camp Banting, j’ai adoré voir mes collègues travailler au camp qu’ils considèrent comme leur second chez-soi. J’ai pu apprendre leurs traditions et comment ils avaient façonné ces expériences, comme moi je l’ai fait au Camp Discovery. En arrivant pour la première fois au Camp Huronda, j’ai ressenti quelque chose de presque magique. J’avais toujours voulu venir au Camp Huronda quand j’étais petit, or la distance et les coûts additionnels ne permettaient pas à mes parents de m’y envoyer. C’est au Camp Huronda que j’ai pu développer mes compétences. J’ai toujours été enclin à vouloir essayer de nouvelles choses et à repousser mes limites et le Camp Huronda m’a permis d’explorer toute une gamme de nouvelles responsabilités, connaissances et habiletés. Au Camp Huronda, j’ai pu, entre autres, éprouver et développer mes compétences en leadership et en gestion des activités de plein air. Mon travail dans les trois camps m’a permis de rencontrer des centaines de personnes atteintes du diabète de type 1 au cours d’un même été : des employés du programme, les membres des équipes médicales, les campeurs ainsi que leurs familles. Il était facile de tenir pour acquis que les personnes que nous côtoyions étaient atteints du diabète.

Je garde un très bon souvenir de mon travail au camp familial; cet été-là, j’aidais une famille dont l’enfant, qui n’avait pas encore six ans, avait été diagnostiqué seulement quelques mois auparavant. Comme je suis de nature sociale et extravertie, je leur ai fait part de mon histoire. À la fin de la semaine, un des parents est venu me voir et a fondu en larmes. Il m’a remercié du fond du cœur de les avoir aidés et de leur avoir donné espoir. J’étais encore moi-même un enfant et je tentais de comprendre comment j’avais pu avoir un impact aussi significatif. Je chéris ce souvenir et tâche de garder en tête que le simple fait de partager son histoire, son vécu est suffisant pour inspirer les gens autour de moi. Donc pendant trois mois par année, j’ai eu la chance de changer non seulement la vie des autres, mais aussi la mienne.

Vous vous demandez peut-être encore pourquoi j’ai écrit que le diabète a sauvé ma vie. Ce sont peut-être les liens que j’ai pu tisser avec la grande communauté des diabétiques qui m’ont permis de m’épanouir. De nombreuses personnes rencontrées au cours des années ont vu quelque chose en moi et m’ont donné une place où je pourrais devenir moi-même, alors que je n’en avais pas la force.

C’est en 2016 que j’ai entendu parler, pour la première fois, des personnes 2SLGBTQ+ lors d’une formation aux employés au Camp Huronda. Je viens d’une famille catholique conservatrice et je ne savais pratiquement rien à propos de cette communauté. J’éprouvais encore et toujours des problèmes de santé mentale et je m’en remettais grandement à une petite poignée de personnes au camp pour me donner du soutien. En 2017, j’ai été en mesure de comprendre et d’accepter mon identité de genre et j’ai fait mon coming out : je suis transgenre. Les mois qui ont précédé l’été 2018 ont été pour le moins difficiles; nombreux sont les membres de ma famille qui ont remis en question ma réalité ou qui ont tout simplement choisi d’ignorer mon identité. J’en avais assez de me justifier et j’avais peur de mon retour au camp avec mon nouveau prénom et mes pronoms allaient également tout chambouler. Et si le camp cessait d’être cet endroit magique où je me sens moi et chez moi? Et qu’en serait-il des gens qui me connaissaient depuis une dizaine d’années? Allaient-ils m’accepter ou me traiter différemment? Heureusement, mes craintes et mon anxiété se sont révélées fausses. Le camp, les campeurs et les employés m’ont accueilli et soutenu comme toujours; ils m’ont reconnu pour la personne que j’étais devenue.

Quand je pense au camp, je ressens un sentiment de plénitude et d’acceptation; c’est comme recevoir un câlin d’un être cher. C’est un sentiment dont on ne se lasse jamais et qu’on aimerait qu’il dure toujours un petit peu plus longtemps. Les camps m’ont donné bien plus que tout ce que je n’aurais jamais pu imaginer en tant que personne atteinte du diabète de type 1 et pour cette raison, j’en suis infiniment reconnaissant.