Citez

« Lettre au diabète »

par Rebecca Redmond

Rebecca Redmond, sa grand-mère et le Dr Frederick Banting

Cher diabète,

Te souviens-tu de notre première rencontre?

Ce n’était pas exactement à cela que l’on s’attendait et ce n’était certainement pas ce que je souhaitais. Cependant, j’étais tellement malade à cette époque que tout diagnostic pointant vers une maladie quelconque était un soulagement, puisque je pouvais alors espérer une solution. Et il y en avait une solution. De cela, je suis très reconnaissante.

Au début, c’était difficile. On ne se comprenait pas. Mais j’aime penser qu’on commence à s’apprivoiser.

Lorsqu’on nous a présenté, tout ce que je connaissais du diabète de type 1 me venait de mon parent lointain, Sir Frederick Banting (qui a découvert l’insuline avec d’autres collaborateurs) et d’une amie de l’école élémentaire qui avait toujours quelques collations additionnelles et devait se faire une injection avant le dîner. Au-delà de cela, j’étais complètement ignorante.  

Notre proximité soudaine nous a complètement soudés. Il était difficile de connaître nos limites à chacun. Je n’aimais pas cette impression d’être désorientée, ni toutes les émotions qui m’assaillaient. Je croyais avoir perdu le contrôle.

Beaucoup de gens ont partagé nos premiers moments. Trop sans doute. Et cela nous a empêchés de parcourir ce nouveau chemin ensemble, ce qui nous a certainement nuit à tous les deux, cher diabète.

C’est comme si nous avancions à l’aveugle; nous ne nous faisions pas encore confiance, et malgré le danger, nous avons poursuivi notre route.

Notre nouvelle relation tombait au mauvais moment, c’est le moins qu’on puisse dire. Je sortais de l’enfance et je commençais ma vie de (jeune) adulte avec crainte et appréhension. Notre lune de miel n’en a pas été une. Certains pourraient même la qualifier de cauchemar.

La chance n’était pas de notre côté, mais on peut quand même s’estimer chanceux d’être encore ici.

Te souviens-tu de ce premier endocrinologue que nous avons rencontré? Celui qui m’a fait m’injecter de l’insuline moi-même et qui a dû cesser de pratiquer la médecine dans son pays? On ne m’a jamais donné de réelle occasion de composer avec toi. Et toi, tu n’avais aucune chance devant mon attitude présomptueuse de jeune ado.

Les quelques cours auxquels mon médecin de famille m’a inscrite n’ont pas beaucoup aidés. Ma mère a assisté à certains des cours sur l’alimentation, mais le reste des séances ne m’a pas appris grand-chose d’utile. L’obligation d’être assise dans une salle d’hôpital avec des vieux, dont la plupart ne souffraient même pas du même type de diabète que moi, ne m’aidait pas à me sentir à ma place. J’avais 17 ans, presque 18, mais je me sentais loin de l’âge adulte.

Il me semblait que nous étions condamnés, dès le départ.

Nous avons vécu des moments difficiles, je le comprends très bien aujourd’hui.

Cette incompréhension et méconnaissance de la maladie, jumelées à l’inconnu, m’ont fait vivre des jours sombres au début. Tout ce que je voulais, c’était d’être normale, ce qui n’est pas toujours simple, alors quand on t’a en plus sur le dos…! Mais je ne pouvais tout simplement pas continuer de t’ignorer.

Et tu m’as fait comprendre cela très clairement.

T’es parfois lourd, diabète, mais je comprends. Parfois, il faut que tu fasses comprendre ton point de vue.

Je pensais vraiment que j’allais bien pendant cette première année d’université. J’habitais loin de chez moi, mais tu me tenais compagnie, et je croyais que j’avais réussi à prendre le contrôle de la situation. Cet épisode d’acidocétose diabétique m’a prouvé le contraire. Tout comme la crise cardiaque et le coma qui ont suivis. Depuis, mon cerveau ne s’en est jamais remis.

Quel drame! Je ne devrais même plus être de ce monde, mais je le suis encore. Je ne sais pas qui ou quoi tenir responsable. Pendant longtemps, j’ai été en colère. Crois-moi, diabète, quand je dis ce n’était pas toi, c’était moi, parce que c’est la vérité.

Mais aujourd’hui, je comprends mieux ces émotions.

CROIS-MOI.

Je suis contente qu’on ait rétabli le lien et que l’on sache maintenant quelle place revient à chacun. Peut-être qu’on ne se comprend pas encore parfaitement, mais au moins, on a appris à se reconnaître et ce n’est pas rien.

Nous avons vécu de nombreux revirements au fil des ans, jusqu’à ce que je tombe enceinte. Là, ce n’était plus seulement toi et moi, il y avait quelqu’un d’autre dans le décor. Quelqu’un de plus important que moi, alors je t’ai laissé prendre les rênes, je t’ai fait passer devant, comme tout le monde me le suggérait.

J’ai tout cédé pour donner la priorité à la santé de mon enfant. Et c’était facile. Bien plus que je ne le pensais. Quand on vit sa propre vie, on a le pouvoir et la capacité de faire ce qu’on veut. Mais quand on parle de la vie d’une autre personne, on a la responsabilité et l’obligation de prendre les bonnes décisions.

Notre relation a changé à la lumière de cette nouvelle perspective.

Et mon cœur veut exploser lorsque je pense à cette petite âme. Elle est tout pour moi. Ma joie, mon inspiration. Mon enfant fait de moi une meilleure personne et je me sens toute remuée lorsque je l’entends me dire « maman ».

Merci, diabète, de travailler avec moi et de m’aider à le garder en sécurité.

Hé! Tu te souviens de la fois où j’étais en pleine crise d’anxiété et tentais de sortir de ma bulle d’isolement? J’étais tellement contente de trouver un groupe de personnes comme moi, qui vivaient avec le diabète de type 1. J’ai essayé de leur dire que je t’étais reconnaissante.

J’ai passé tellement de temps à me sentir nulle, je voulais juste projeter un peu de lumière dans un coin sombre. Ne serait-ce que pour une minute. Tu te souviens comment tu m’as rappelée à l’ordre? Ça m’a détruit, diabète, je me sentais perdue et indigne. Je me suis mise en retrait et me suis fait la promesse de ne jamais revenir.  

Ces gens étaient censés être mes gens, des diabétiques de type 1, comme moi, et ils te détestaient tous. Ils étaient si véhéments et te détestaient avec tant de force que je n’étais tout simplement pas de taille. Ils ne voyaient pas en toi ce que je commençais à voir… alors j’ai fui, j’ai pris la direction diamétralement opposée.

Pendant de nombreuses années après cela, on s’est retrouvés tous les deux, seuls.

Mais nous vivions de la solitude. Nous avons quand même eu de la chance d’avoir quelques personnes dans notre camp. Certaines nous ont même sauvés. De nous-mêmes, l’un de l’autre. Mais aussi aidantes soient-elles, ces personnes ne nous ont jamais entièrement compris.

Et c’est sans doute ce qui rendait ces eaux si tentantes, pour la deuxième fois.

Tu te souviens, lorsque nous sommes sortis de notre bulle pour la deuxième fois, diabète?

C’était terrifiant, mais ça en valait la peine. J’ai rencontré mon âme sœur. Elle était magnifique et compréhensive. Nous étions sur le seuil d’un tout nouveau monde, les bras grands ouverts, et elle m’a accueillie, elle m’a fait comprendre que chaque appréhension et hésitation était parfaitement normale. Elle nous a appris à traverser les obstacles et à nous relever lorsque nous tombions. Elle a ressuscité mon envie d’en apprendre davantage à ton sujet, diabète.

Elle a traversé les mers pour nous faire profiter de sa présence. Je n’avais jamais rien vécu de tel – c’était comme si nous appartenions à la même famille. Et c’est toi, diabète, qui a provoqué cette rencontre.

Cette rencontre n’était qu’un début, une poussée qui a ouvert la porte à tout ce qui a suivi. Tu m’as amenée à rencontrer les autres, à en faire plus, et à m’éloigner de plus en plus de ma zone de confort. Merci d’avoir été là pour moi, diabète. Je ne pense pas que j’y serais parvenue sans toi.

Tu continues de me pousser vers l’avant, comme j’en ai tellement besoin, et parfois sans savoir le reconnaître.

Je suis encore frustrée par les écueils que tu me fais vivre, mais je ne suis jamais en colère. Plus maintenant. Je comprends que toi et moi, nous avons une relation unique qui nous force à travailler ensemble.

Côte à côte, ensemble.

C’est grâce à TOI que je suis moi. Oui, c’est nul, il faut bien l’admettre. La vie avec toi n’est pas une sinécure, mais est-ce que je serais moi sans toi? Je ne sais pas. Je refuse de vivre avec des regrets. Je crois fermement que ce sont tous les bons moments et tous les mauvais moments qui m’ont amenée jusqu’ici. Et tu sais quoi? C’est vraiment super.

Il y a des choses que j’ai faites, et d’autres que j’ai évitées, à cause de toi. Mais je pense que je peux dire que tu fais autant partie de moi que mon cœur qui bat. Diabète, oserais-je le dire, je t’aime. Tu m’as montré tous les côtés de ma nature complexe. Tu m’as mise à nu de façon parfois humiliante, mais je t’en suis aujourd’hui reconnaissante. 

J’ai ouvert la porte à tant de bonnes choses dans ma vie, en ton nom, diabète. Je me suis fait des amis, j’ai trouvé ma famille, j’ai créé des souvenirs que je chérirai à tout jamais. J’ai tellement appris sur moi et sur ce que je suis capable de faire. Sans toi, je n’aurais sans doute jamais réussi tout cela.

Il y en a encore qui ne comprennent pas mon amour pour toi. Après tout, tu n’es pas de tout repos. Et parfois, un idiot total. Tu pointes ton nez au moment le plus inopportun… Mais ce n’est pas un peu tout cela l’amour? Un défi? Des obstacles à surmonter?

On n’est pas toujours exemplaires, toi et moi, diabètes, mais nous sommes toujours ensemble et le resterons à jamais.

Je te remercie pour tout le bon et tout le mauvais que tu m’as fait vivre. Ces dernières décennies ont été bien remplies, mais surtout remplies de VIE. Alors, merci.

Nous venons de loin. Et nous avons encore un bon bout de chemin à faire ensemble. Nous cheminerons sur cette route cahoteuse, vivrons des hauts et des bas et traverserons les épreuves, ensemble. C’est notre destin, diabète.

Toi et moi.

Merci pour tous tes bons coups qui m’ont fait sourire. Merci pour tous les coups durs qui m’ont fait grandir. Merci pour tout ce que tu m’as fait vivre, parfois, simplement pour voir si je portais attention. Et merci de m’avoir laissée assumer la responsabilité de ma vie. Merci pour tout.

Parce que la vérité, c’est que sans toi, je ne serais pas ici. Je n’aurais jamais émergé, je n’aurais jamais repoussé mes limites, je n’aurais jamais réellement exploré qui je suis. Tu n’es pas toujours prévisible, et tu ne brilles pas toujours, diabètes, tu es un peu brut et je t’aime comme ça.

Avec affection,
Rebecca

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Rebecca Redmond avec les drapeaux commémoratifs de l’insuline