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Impact de l’insuline et du diabète sur le monde moderne

par Ellen G. Fraser

Neuroscientifique canadienne et adepte de plein air, Ellen G. Fraser travaille dans le domaine de la régulation médicale. Elle a grandi avec le diabète de type 1 et est impliquée dans la communauté des personnes diabétiques depuis presque toujours. Elle a d’abord œuvré auprès de la communauté des personnes diabétiques dans le cadre des programmes jeunesse de Diabète Canada avant d’aller faire de la recherche sur les effets du diabète sur le cerveau et les avantages de l’entraide entre pairs pour les personnes touchées par le diabète. 

L’insuline, source de vie

Il m’est difficile d’expliquer à quel point l’insuline a eu un impact majeur sur ma vie autrement qu’en expliquant que sans elle, je n’existerais pas. En plus de me permettre d’être vivante et de profiter de la vie et de tous ses plaisirs, l’insuline joue un rôle omniprésent dans ma vie et il n’existe pas un seul moment qui ait eu lieu sans elle. C’est pourquoi je vous remercie, messieurs Banting, Best, Macleod et Collip pour votre travail. Je pense que vous aviez à cœur de permettre aux personnes touchées par le diabète de survivre à leur diagnostic et vous avez surpassé vos objectifs, puisque vos recherches ont permis aux petits-enfants de vos patients de vivre pleinement et de contribuer au développement de leur communauté.


Mon diagnostic et ma jeunesse

Un diagnostic de diabète demande du courage, de la résilience; c’est un moment qui combine la peur et la crainte à la compréhension et à l’habilitation. Je n’ai aucun souvenir de mon diagnostic, mais je sais que cette histoire a rapidement forgé le rôle que la communauté allait jouer dans mon cheminement et m’a appelé à m’investir moi-même afin d’y contribuer. Je pense bien que Banting, Best, Macleod et Collip savaient à quel point leurs recherches allaient changer des vies, mais ils n’avaient sûrement aucune idée des vies qu’ils allaient permettre de s’épanouir grâce à leurs travaux : ils ont permis à toutes les personnes touchées par le diabète de vivre des expériences autrement impossibles sans insuline. Et ouvert la porte aux joies, aux peurs, aux facteurs de stress liés au diabète et aux communautés qui se sont organisés pour en gérer le fardeau.

À Noël 1997, j’avais 18 mois et toute ma famille s’était réunie pour célébrer. Je ressentais une soif que même de nombreux verres de jus de pomme n’arrivaient pas à étancher. Je n’étais pas dans mon assiette. Je mouillais couche après couche après couche. Mes parents ont remarqué ces indices d’alerte et ont réagi promptement. Ma mère était pharmacienne et elle est allée se procurer des bandelettes d’analyse urinaire dans la pharmacie d’un ami dont elle avait la clé. Elle a trempé une bandelette dans mon urine et regardé la bandelette changer de couleur. Mes parents m’ont amenée d’urgence à l’hôpital Sick Children. Il me plaît de penser que c’est ma mère qui a établi mon diagnostic de diabète de type 1. C’est une femme courageuse et résiliente et je ne suis pas étonnée que l’histoire de mon diagnostic soit tout aussi intense.

Ma famille a dû apprendre à s’occuper d’un enfant de 18 mois atteint du diabète de type 1. J’imagine seulement la détresse que mes parents ont ressentie à l’idée de me voir mener une vie à combattre cette maladie. Je pense que même avec les progrès de la médecine, des traitements et de la technologie, les parents d’enfants malades doivent être tout aussi terrifiés que les miens l’étaient à l’époque. Or mes parents ont canalisé cette peur pour mettre en œuvre un plan d’action; mon père se réveillait régulièrement pendant la nuit pour tester mon taux de sucre dans le sang. Ils s’étaient promis de ne pas me transmettre leur peur et de m’enseigner les risques et les enjeux, sans craindre pour ma vie. Ils ont créé des rituels et des jeux pour rendre les routines et procédures liées à mon diabète amusantes; nous dansions tout le temps avant les piqûres, nous mettions des autocollants sur tous les équipements et ils m’envoyaient au Camp Huronda. Je me demande parfois si Banting, Best, Macleod et Collip avaient déjà pensé que grâce à leurs travaux de recherche, ils ont donné la chance aux personnes de vivre avec le diabète, de danser avant de se faire des piqûres et de bâtir des communautés de personnes touchées. La vie d’un enfant atteint du diabète de type est effrayante, inconfortable et difficile à comprendre. Mes parents ont fait de leur mieux et ont réussi avec succès à transformer leur peur et mes frustrations en leçons utiles et de normaliser l’impact du diabète de type 1 chaque jour de mon enfance.

Moi, en 2000, lors de ma première Marche pour trouver un remède pour le diabète de la FRDJ

L’énergie que ma famille a investie à faire du diabète de type 1 une partie de notre réalité et de l’intégrer à notre mode de vie m’a permis, en dépit de la peur qui y était associée, de faire de mon diabète une force de vie. Chaque année de mon parcours à l’école primaire, je parlais du diabète à mes camarades de classe. Au début, je leur expliquais comment ils pouvaient m’aider si je n’allais pas bien, mais j’ai ensuite fait évoluer ma présentation en un récit de faits scientifiques haut en couleur . Une fois de plus, mes parents s’assuraient que j’étais au fait des risques sans être paralysée par la peur. À vous qui lisez ce récit, gardez en tête que la jeune Ellen animait des présentations éducatives sur la science du diabète; ce trait va revenir un peu plus loin dans mon récit. Ces présentations m’ont fait comprendre à un jeune âge que l’éducation des gens qui m’entourent me permettait d’assurer ma sécurité; je créais un réseau de personnes aptes à m’aider en cas de besoin. Ce que je n’avais pas encore compris est que ma prise en charge de mon diabète était une force, un point d’intérêt et un trait qui suscitait plus la compassion que l’intimidation chez les personnes de mon entourage. Ce n’est que vers l’âge de douze ans que j’ai appris que de nombreux enfants se faisaient intimider à cause de leur diabète; puisque j’avais grandi au sein d’une communauté de soutien, l’intimidation ne faisait pas partie de mon expérience. Le cercle social et familial de ma mère est venu à son secours lorsque j’ai été diagnostiquée et nous avons enseigné à toutes ces personnes comment m’aider au besoin. C’est cette communauté qui demeure une des facettes les plus précieuses de ma vie avec le diabète.

Le Camp Huronda et mon réseau

En 2004, ma première année au Camp Huronda

C’est en 2e année du primaire que je suis allée pour la première fois au Camp Huronda. Mes parents souhaitaient m’habiliter à faire des courts séjours loin de la maison avec l’école et m’ont envoyée au camp pour m’y habituer. Si seulement j’avais su que le camp allait faire partie de ma vie bien au-delà de mes années d’études et que j’allais un jour faire des travaux d’école au sujet du camp! Lors de mon premier séjour, j’ai pleuré à chaudes larmes tous les soirs tellement je m’ennuyais de ma famille. Ma monitrice a fait de son mieux, mais j’étais inconsolable. Elle ne s’attendait probablement pas à me revoir l’année suivante. Lors de la dernière journée du camp, je pleurais toujours et elle m’a demandé : « Mais pourquoi pleures-tu? Tu retournes chez toi aujourd’hui! » Je lui ai confié à quel point elle et le camp allaient me manquer. Je ne me suis plus vraiment ennuyée de la maison pendant les séjours qui ont suivi, mais je m’ennuyais toujours énormément du camp lors de mon retour. Ce que j’aimais, c’étaient les blagues, les chansons et les jeux au sujet du diabète. J’adorais le fait de partager et d’affronter avec mes camarades avec mes camarades le malaise et les peurs liés à une vie avec le diabète de type 1. Je compte parmi mes meilleurs ami.es des personnes avec qui j’ai connecté lors de ces expériences communes au Camp Huronda. Ça me faisait du bien d’avoir des modèles vivant avec le diabète de type 1. Les moniteurs et monitrices du camp étaient sans contredit les personnes les plus chouettes que je connaissais; à mes yeux, c’étaient des héros. Il leur arrivait même de porter une cape! J’imagine qu’avant la découverte de l’insuline, le diabète engendrait une grande solitude. Cette découverte a non seulement permis aux individus de vivre avec le diabète, mais aussi de faire des rencontres, de vivre des expériences communes relatives au diabète et de développer un sentiment d’appartenance.

Mes moniteurs et monitrices en super héros en 2009

Vous ne serez donc pas surpris de lire qu’après ces belles expériences au Camp Huronda, j’ai choisi, au moment de fêter mes 16 ans, d’aller y travailler. J’ai fait partie de l’équipe du camp de 2012 à 2016 et de nouveau en 2018. Il ne m’est jamais arrivé de prendre le fait d’y travailler pour acquis; je me sentais anxieuse chaque année lors de la période du recrutement. Or mon émerveillement était renouvelé chaque été passé au Camp, à apprécier le caractère profondément enrichissant du camp sur ma vie et celles des autres membres de l’équipe et des campeurs. Au cours des dernières années passées au camp, j’ai eu la chance de participer au Programme de développement du leadership, une initiative conçue pour étoffer les compétences des individus qui allaient un jour prendre la relève des employés du Camp Huronda.

Lors de mes études de premier cycle, je me suis rendu compte que les personnes que j’estimais le plus fréquentaient toutes le Camp Huronda et vivaient avec le diabète de type 1; j’ai voulu en savoir davantage sur le fait que les expériences communes qui nous unissent façonnent aussi qui nous sommes en train de devenir. Mes capacités intellectuelles ne sont pas naturellement inclinées vers la philosophie ou la psychologie, mais ce sont les nombreuses présentations et mises en récit de science sur le diabète de type 1 qui m’ont motivée à me spécialiser en neuroscience. Je me suis d’abord penchée sur l’apprentissage et la mémoire, deux volets fascinants qui fournissent une preuve tangible des changements que nos expériences provoquent en nous. J’ai ensuite utilisé mes compétences pour travailler dans un laboratoire de recherche sur les accidents vasculaires cérébraux et le diabète. Une partie de mon travail consistait à donner le diabète à des souris; je blaguais souvent que mon taux de succès tenait en fait de toutes les fois où j’éternuais sur les souris! Je suis ensuite retournée étudier l’apprentissage et la mémoire au Centre canadien pour la neuroscience du comportement. Pendant mes années de recherche, j’ai vu de nombreux prix et des bâtiments nommés en l’honneur de Frederick Banting (et parfois aussi de Charles Best) et je trouvais rassurant de voir la grande communauté scientifique reconnaître leur travail, puisque leur découverte a un impact majeur sur ma vie personnelle et a inspiré des champs d’intérêt de recherche. Je travaille maintenant dans le domaine de la régulation médicale au Canada et je sais qu’il existe un lien fort entre l’innovation médicale dont je profite tous les jours, les communautés qui m’ont permis de m’épanouir et auxquelles j’ai contribué grâce à cette innovation médicale et mon choix de carrière, un choix qui repose autant sur l’innovation que les expériences humaines.

Un voyage du Programme de développement du leadership en 2016

La continuité de la grande communauté du diabète de type 1

Lorsque j’ai arrêté de travailler au Camp Huronda, j’ai senti mon contact avec la communauté du diabète se relâcher. Pour y remédier, j’ai pris deux décisions : je me suis impliquée auprès l’équipe Aventure de Connected in Motion. Je siège désormais sur leur conseil d’administration. Ensuite, je me suis jointe à l’équipe de recherche sur le diabète du docteur Tricia Tang à l’Université de la Colombie-Britannique, pour étudier la détresse et la santé mentale des personnes touchées par le diabète de type 1. Il est d’une importance capitale de connaître les agents stressants typiques du diabète puisqu’il est fort probable que les ressources générales les négligent. Les personnes touchées par le diabète de type 1 doivent connaître et comprendre ces agents stressants; c’est entre autres en partageant leurs expériences avec d’autres diabétiques qu’il est possible de créer une communauté de soutien et de développer un sentiment d’appartenance et d’habilitation. C’est ce que mes séjours au Camp Huronda m’ont permis de développer.  De plus, il est nécessaire de mettre en place des ressources de soutien pour la santé mentale et les services centrés sur la gestion du diabète puisque le diabète de type 1 a des effets significatifs sur l’état de santé mentale des personnes touchées. Être membre d’une communauté de personnes touchées par le diabète de type 1 m’a permis de célébrer mes victoires en groupe, de bénéficier de leur soutien. Je sais qu’il y a toujours de la place pour améliorer le soutien et c’est pourquoi je m’implique. 

Une randonnée avec l’équipe Aventure de Connected in Motion en 2018

Au sujet des améliorations, il est important de noter qu’en plus de soins de santé limités en matière de diabète, les services de soutien en santé mentale sont largement insuffisants ou hors de portée pour de nombreuses personnes atteintes du diabète de type 1, plus particulièrement pour ceux qui habitent dans les régions reculées et pour les adolescents en transition vers l’âge adulte. Il y a place à l’amélioration dans les dossiers suivants : s’assurer d’avoir une relève locale pour les endocrinologistes de régions reculées qui prennent leur retraite et fournir des soins adaptés aux jeunes adultes pour éviter qu’ils ne souffrent du manque de soutien au moment de commencer leur vie d’adulte. De plus, le coût de l’insuline et de l’équipement de gestion du diabète est prohibitif pour de nombreux Canadiens, ce qui nuit à la prestation de normes de soins adéquates. La mise en œuvre de nouveaux programmes de couverture des frais constitue un pas dans la bonne direction, mais il reste beaucoup à faire. Nous devons nous assurer de permettre aux Canadiennes et Canadiens de choisir et les meilleures options de soins et de gestion du diabète et des aliments sains, plutôt que la situation actuelle où ils doivent renoncer à des soins ou une alimentation saine ou doivent compter sur des programmes d’assurance privée. L’héritage moderne de la découverte de l’insuline joue un rôle primordial dans les actions conçues pour faire valoir les droits et les besoins des personnes touchées par le diabète de type 1 partout dans le monde, en ce qui a trait au coût et à l’accès à l’insuline et à l’équipement de gestion du diabète. Il y a encore aujourd’hui trop de décès causés par le manque d’accessibilité à l’insuline et aux bons équipements. 

Je ne travaille plus au Camp Huronda, mais, comme nous le disions tout le temps : « Pas de sursis, pas de fin ». Ce slogan traduit bien ma réalité. Environ un an après avoir quitté mon emploi au camp, l’équipe de direction m’a demandé de me joindre le comité du 50e anniversaire. Un des avantages de s’investir dans une communauté centrée sur une maladie chronique est la continuité et le renouvellement de ses activités. C’est vraiment beau à voir. J’ai eu la chance de voir, au sein de toutes les communautés de soutien au diabète auprès desquelles je me suis impliquée, des personnes diabétiques vivre leur vie à fond. Si l’objectif de Banting, Best, Macleod et Collip était de donner une chance aux personnes diabétiques de vivre leur vie, je peux vous assurer qu’ils ont réussi. Et nous, les diabétiques, profitons au maximum de leurs travaux.