L’éthique de la recherche médicale et scientifique faisant appel aux animaux
Par Dr. David Hanwell

Le Dr David Hanwell a travaillé comme vétérinaire auprès des animaux de laboratoire à divers titres au sein de l’industrie et des secteurs hospitaliers et universitaires. Il est actuellement vétérinaire à l’Université de Toronto et est responsable de superviser le programme d’éthique animale et de soins aux animaux de l’Université et de veiller à ce que les normes réglementaires appropriées soient observées dans le cadre des travaux, qu’il s’agisse de recherche biomédicale, de biologie fondamentale ou de travaux sur le terrain.
Auparavant, le Dr Hanwell était vétérinaire clinicien pour le Réseau universitaire de santé (RUS), où il apportait un soutien clinique et chirurgical aux recherches faisant appel à diverses espèces. Avant de joindre le RUS, il travaillait chez Sanofi Pasteur, dans les divisions de la recherche et ensuite, du contrôle de la qualité.
Le Dr Hanwell a obtenu un B.Sc. (Université de Guelph) et une M. Sc. (Université de Toronto) en biochimie, suivis d’un doctorat en médecine vétérinaire du Collège de médecine vétérinaire de l’Ontario. Après un passage rapide en pratique privée, il est revenu à l’Université de Guelph, où il a obtenu un doctorat en sciences vétérinaires (spécialisé en animaux de laboratoire). Il est un représentant du American College of Laboratory Animal Medicine, membre du conseil d’administration du Conseil canadien de protection des animaux et a publié plusieurs articles scientifiques sur l’utilisation des animaux en science.
Introduction
Le présent article fait un survol de l’approche éthique et humaine de la recherche sur les animaux, ici au Canada. Comme l’ont fait Banting et Best pour tester l’insuline sur des chiens et des lapins dans les années 1920, on a encore recours aux animaux en science pour répondre à des questions liées au fonctionnement normal du corps et à l’évolution des maladies (ce qui comprend la recherche sur le diabète). Compte tenu des similarités entre les êtres humains et certaines espèces animales, les découvertes réalisées grâce à l’utilisation d’animaux procurent des avantages tant pour les humains que pour d’autres animaux (p. ex. les chiens aussi peuvent être atteints de diabète).
Les modèles animaux sont depuis longtemps employés pour faire avancer la médecine et ont notamment permis de découvrir le rôle de l’insuline dans la régulation de la glycémie chez l’être humain. Peu importe leur utilité sur le plan scientifique, il n’en reste pas moins que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité : il importe donc d’imposer des critères éthiques à leur utilisation. Les spécialistes de l’éthique médicale ont instauré la règle des 3R (conceptualisée en 1959, soit bien après la découverte de l’insuline), qui est un cadre reconnu établissant les premières étapes à suivre avant de recourir aux animaux dans un contexte scientifique.
Les 3R : Réduire, Raffiner, Remplacer
Les 3R font référence aux principes de réduction, de raffinement et de remplacement des animaux dans un contexte scientifique. L’observation de cette règle des 3R permet de s’assurer que les animaux sont non seulement utilisés lorsqu’on en a besoin, et dans la plus petite quantité possible, mais également dans des conditions qui favorisent la santé de l’animal et son bien-être tout au long de son utilisation en vue d’expériences scientifiques.
- Réduire
- N’utiliser que le nombre d’animaux requis pour répondre avec confiance à une question scientifique (possibilité d’utiliser trop ou pas assez d’animaux).
- Raffiner
- Instaurer des mesures qui atténuent ou évitent les effets négatifs sur la santé des animaux et qui favorisent leur bien-être.
- Remplacer
- N’utiliser les animaux que lorsque les solutions de remplacement, comme les simulations informatiques ou la culture de tissus, ne sont pas disponibles ou adéquates.
Surveillance de l’utilisation des animaux en contexte scientifique
La réglementation et les normes qui régissent l’usage des animaux en science ont été établies dans les années 1950 et 1960, à peu près au moment où la conceptualisation de la règle des 3R a fait son apparition dans le discours public. Avant cela, les scientifiques (incluant Banting et Best) utilisaient les animaux de la façon qu’ils jugeaient la plus appropriée pour l’époque.
Au Canada, il existe maintenant un organisme fédéral chargé de surveiller le recours aux animaux dans un contexte scientifique. Le Conseil canadien de protection des animaux (CCPA) est une organisation nationale, administrée par des pairs, qui a le mandat d’établir, de maintenir et de superviser la mise en œuvre de normes très rigoureuses quant au bien-être des animaux et à leur utilisation éthique à des fins scientifiques, partout au Canada. Un établissement qui souhaite recevoir des fonds du gouvernement fédéral pour procéder à des recherches doit obtenir l’autorisation du CCPA s’il entend recourir à des animaux (il doit obtenir un certificat de Bonnes pratiques animales). Le processus d’autorisation est décrit de façon plus détaillée ici. En outre, en Ontario, il existe des lois qui encadrent l’utilisation d’animaux en recherche (la Loi sur les animaux destinés à la recherche). La Loi stipule que les inspecteurs sont tenus d’effectuer des visites non annoncées pour favoriser le respect des exigences, et ce, en tout temps.
Les responsables des organismes de surveillance visitent régulièrement les établissements de recherche pour vérifier si les normes et exigences sont respectées. Ces visites servent à évaluer de nombreux aspects du programme (indiqués ci-dessous). Tout problème constaté doit être réglé pour que l’utilisation des animaux puisse se poursuivre. On trouvera de l’information sur d’autres politiques et lois canadiennes encadrant les soins aux animaux et leur utilisation dans un contexte scientifique ici.
En plus de cette surveillance « externe » par des organismes de réglementation, les établissements doivent instaurer des procédures de surveillance « interne » des activités faisant appel à des animaux, et ce, sur une base quotidienne. Cette surveillance continue vise à s’assurer que les programmes d’éthique animale et de soins aux animaux des établissements de recherche respectent toutes les normes applicables. Pour mettre ce processus en place, l’établissement désigne un administrateur principal qui est responsable du programme dans son ensemble; ce dernier délègue ensuite aux membres d’un comité de protection des animaux la tâche d’assurer la surveillance au quotidien.
Comité de protection des animaux (CPA) – Le CPA de l’établissement doit s’assurer que tous les aspects du programme d’éthique animale et de soins aux animaux répondent aux normes et exigences.
- Le CPA doit être composé de membres qui représentent un vaste éventail d’intérêts :
- Vétérinaires d’expérience
- Membre(s) de la collectivité (représentant le public)
- Scientifiques/enseignants ayant l’expérience du travail avec les animaux
- Techniciens ayant l’expérience des soins à prodiguer aux animaux
- Représentant des étudiants (lorsque des étudiants sont concernés)
- Autres membres ayant des connaissances pertinentes (p. ex. exigences en matière de santé et sécurité, biostatistique/conception d’études de recherche).
Programme d’éthique animale et de soins aux animaux
Les programmes d’éthique animale et de soins aux animaux comportent de nombreuses composantes :
- Comités de protection des animaux (décrits ci-dessus)
Avant qu’une activité scientifique puisse commencer, les CPA doivent examiner et approuver le plan (ou protocole) d’utilisation des animaux pour veiller à ce que la règle des 3R soit rigoureusement observée.
- Visites d’évaluation préalables à l’approbation
Une fois que le CPA approuve le protocole, des visites annoncées et non annoncées sont effectuées dans les locaux où se trouvent les animaux par des membres du CPA afin de s’assurer que les pratiques et procédures obligatoires sont suivies.
- Source et types d’animaux
Les établissements doivent recourir à des animaux provenant de sources éthiques, comme des fournisseurs commerciaux, qui produisent des animaux à des fins scientifiques.
Les espèces doivent être jugées appropriées pour le domaine scientifique dans lequel se déroule la recherche (p. ex. étude du diabète).
- [TRADUCTION] Les chiens ont été l’animal de prédilection dans les premières études sur le diabète en raison de leur disponibilité et du fait que l’on avait une bonne compréhension de leur anatomie, améliorant ainsi l’efficacité des techniques chirurgicales. Mais l’avantage principal du chien était sa taille : en effet, au moment où les expériences ont commencé, il fallait prélever d’importants volumes de sang et l’animal ne pouvait donc pas être de plus petite taille. Au fil des travaux, alors que de nouvelles méthodes ont été développées pour tester la glycémie dans un plus petit volume de sang, les scientifiques ont opté pour de plus petits animaux (lapins). En fait, ils ont constaté que le perfectionnement de ces techniques leur a permis de réaliser leurs recherches avec plus de précision et plus rapidement. (Référence)
Aujourd’hui, on a recours à un éventail d’espèces dans la recherche sur le diabète, mais principalement à des rongeurs. Chaque modèle animal comporte un lien différent avec la physiologie humaine. Le choix du modèle est aussi influencé par d’autres facteurs.
- Environnement/captivité
La taille et l’aménagement des enceintes où vivent les animaux doivent être adéquats. Il faut leur fournir de la nourriture et de l’eau et changer leur litière à une fréquence appropriée (p. ex. les animaux diabétiques peuvent uriner plus souvent que les animaux en santé). Les conditions environnementales doivent être contrôlées pour assurer le confort de l’animal (p. ex. qualité de l’air, éclairage, bruit). Leurs comportements naturels ne doivent pas être brimés (p. ex. grimper, ronger, hébergement avec d’autres animaux pour permettre la socialisation et le jeu).
- Formation/compétences
Le programme d’éthique comprend une formation sur les connaissances et techniques nécessaires pour mener les procédures de façon à minimiser les impacts négatifs sur les animaux (p. ex. techniques chirurgicales pour retirer le pancréas de l’animal afin de provoquer le diabète, comme l’ont fait Banting et Best). Seuls les chercheurs possédant les compétences requises sont autorisés à exécuter ces actes médicaux.
- Locaux et équipements dédiés aux procédures scientifiques
Les locaux dédiés aux procédures et aux chirurgies doivent être propres, en ordre et convenir à l’activité menée (p. ex. comme les salles d’examen et de chirurgie employées en médecine). Les procédures doivent être réalisées conformément à des normes modernes approuvées par le CPA. Pour obtenir l’approbation requise, les chercheurs doivent fournir des détails au CPA, décrivant l’intervention et précisant la fréquence et la durée des procédures (p. ex. jeûne des animaux avant d’évaluer leur capacité à maintenir une glycémie acceptable). Il faut également indiquer à quel moment les objectifs scientifiques seront considérés atteints et fournir l’étude complète.
S’il s’agit d’une procédure nouvelle, des « études pilotes » devront être effectuées au préalable sur des sujets non animaux ou sur un plus petit nombre d’animaux, dans un premier temps, pour améliorer la technique (p. ex. test d’un nouveau produit d’insuline ou d’un dispositif d’administration)
- Soins vétérinaires et soutien
Les vétérinaires et techniciens en soins vétérinaires jouent un rôle important pour contrôler l’utilisation éthique des animaux et leur prodiguer des soins. Ces professionnels veillent au bien-être de l’animal en supervisant l’application de normes adéquates. Ils déterminent les besoins en élevage et en soins, plus particulièrement si la santé des animaux est affectée (p. ex. diabète induit). Ils contribuent également à l’amélioration des procédures et pratiques liées aux soins et à l’utilisation des animaux.
- Interventions humaines
Si les animaux sont susceptibles de subir des conséquences négatives (p. ex. en raison d’un diabète avancé), et lorsque ces situations surviennent, les chercheurs doivent prévoir des interventions appropriées, surveiller les animaux et prendre les mesures nécessaires pour remédier à leur condition (p. ex. apport en fluides en cas de déshydratation attribuable à un état diabétique avancé). Le CPA exige que ces interventions soient établies avant le début de toute activité scientifique et qu’elles soient améliorées au besoin en fonction de l’expérience tirée de l’étude ou des travaux d’autres chercheurs dans le domaine (p. ex. les pratiques exemplaires liées à l’amélioration de la règle des 3R doivent être publiées et diffusées).
- Disposition définitive
Une fois l’étude terminée, les animaux peuvent être adoptés ou (le cas le plus fréquent) euthanasiés sans cruauté (p. ex. pour examiner divers tissus afin de déterminer les effets microscopiques et moléculaires d’un nouveau traitement contre le diabète et établir s’il est sécuritaire et efficace en vue d’un usage sur l’être humain). Si l’on procède à une euthanasie sans cruauté, elle doit suivre les Lignes directrices du CCPA. La méthode employée doit être approuvée par le CPA et l’intervention ne peut être effectuée que par des employés formés et compétents.
Sommaire
La recherche sur le traitement et la prévention du diabète, tant chez les humains que chez les animaux, se poursuit. Certaines recherches sur le diabète peuvent être réalisées sans recourir aux animaux. Cependant, il n’est pas encore possible de les remplacer entièrement dans les divers processus expérimentaux. Lorsqu’il faut faire appel à des animaux, les chercheurs doivent observer la règle des 3R pour veiller à leur fournir des soins et un traitement éthique. Tous les aspects des soins aux animaux sont surveillés à divers niveaux, notamment par des organismes de réglementation, les CPA et le personnel chargé des soins vétérinaires. Il existe de nombreux modèles animaux qui permettent de mieux comprendre le diabète et donnent lieu à de nouvelles thérapies et de nouveaux dispositifs qui viennent en aide aux humains et aux animaux.
Ressources pédagogiques
Pour les enseignants et les élèves qui veulent en savoir plus sur le traitement éthique des animaux et la réglementation, ces liens vous seront utiles pour lancer vos recherches.
- Études de cas sur l’utilisation des animaux en recherche – https://www.ucl.ac.uk/animal-research/animal-research-case-studies; https://online.ucpress.edu/abt/article/74/1/10/18370/The-Discovery-of-Insulin-A-Case-Study-of
- Exemples de découvertes scientifiques réalisées grâce à des animaux – https://fbresearch.org/medical-advances/animal-research-achievements/
- Aperçu du travail en laboratoire avec des animaux et carrières dans le domaine – https://kids4research.org/Careers