Joan Fitzgerald – L’expérience d’une femme canadienne
Par Carla-Jean Stokes

Carla-Jean Stokes
Contributrice historique
Carla-Jean Stokes est titulaire d’une maîtrise en histoire de l’université Wilfrid Laurier, ainsi que d’une maîtrise en préservation des photographies et gestion des collections de l’université métropolitaine de Toronto. Sa maîtrise, intitulée “British Official First World War Photographs, 1916-1918: Arranging and Contextualizing a Collection of Prints at the Art Gallery of Ontario” , a remporté le prix de thèse 2015 de la Société d’histoire de la photographie du Canada. Depuis, elle a travaillé comme rédactrice, chercheuse, conférencière et conservatrice, et elle est fascinée par les moments et les personnages moins importants de l’histoire militaire.
Mary Joan Fitzgerald est née le 21 juin 1920, de James et Nina Fitzgerald. Elle a servi au sein des Forces canadiennes pendant plus de 30 ans, relevant des défis incroyables et parcourant le monde. Elle a occupé divers postes au sein des Forces armées canadiennes, mais c’est son affectation comme première infirmière de l’air pendant la Guerre de Corée qui sera le sujet de cet article. On montrera ainsi comment l’histoire de Fitzgerald illustre l’évolution du rôle des femmes canadiennes, en temps de guerre comme en temps de pays, à l’époque de la Guerre de Corée.

Deux ans avant la naissance de sa fille, James Fitzgerald est blessé pendant l’offensive des Cent‑Jours qui a permis de mettre fin à la Première Guerre mondiale. Il recevra la Croix militaire et reviendra au pays pour épouser Nina Chisholm à Halifax, en Nouvelle-Écosse. James reprendra son emploi d’avant-guerre, comme commis, et le couple aura cinq enfants, dont trois choisiront une carrière militaire.
L’histoire de Fitzgerald illustre la variété des rôles offerts aux femmes à l’époque où elle entre dans l’armée en tant qu’infirmière militaire. Les historiens soulignent fréquemment que la plupart des postes dans l’armée n’étaient pas jugés socialement acceptables pour les femmes qui voulaient préserver leur « féminité »[i]. Cependant, les soins infirmiers étaient considérés comme un choix naturel pour les femmes, puisqu’il s’agissait de prodiguer des soins. En fait, pendant la majeure partie du 20e siècle, les hommes ne pouvaient pas travailler comme infirmiers militaires. En évoluant dans cette sphère traditionnelle, des femmes comme Fitzgerald (et d’autres comme elle) pouvaient prendre leur distance des rôles qui leur étaient réservés – tant sur le plan social que professionnel – et vivre une carrière stimulante et enrichissante qui leur procurait cependant peu de prestige ou de pouvoir.
Fitzgerald a fréquenté le Convent of the Sacred Heart, une école catholique de Halifax fondée en 1849. Elle est sans doute entrée à l’école des soins infirmiers le plus tôt qu’elle a pu. La plupart des écoles exigeaient que les étudiantes soient âgées d’au moins 18 ans et qu’elles aient suivi des études secondaires jusqu’en 11e année (dans le reste du Canada) ou en 12e année (en Ontario). Ces exigences faisaient en sorte que la vaste majorité des étudiantes étaient blanches et de la classe moyenne – elles étaient les plus susceptibles d’avoir suivi ces études et pouvaient se permettre les coûts de la formation sans salaire pendant plusieurs années.
Vers la fin des années 1930 et au début des années 1940 (alors que Fitzgerald fréquente l’école de soins infirmiers), les programmes étaient d’une durée de trois ans et combinaient des cours, des examens et du travail à l’hôpital. En fait, à cette époque, les étudiantes et étudiants formaient la majeure partie du personnel médical, mais ils étaient peu nombreux à décrocher un poste à l’hôpital une fois leur programme terminé. Les hôpitaux comptaient sur le travail peu coûteux des infirmières et bon nombre de diplômées devaient trouver de l’emploi dans les domaines des soins à domicile, des services alimentaires, de la vente au détail ou, dans le cas de Fitzgerald, dans l’armée, après le déclenchement de la guerre en 1939.
En même temps, Fitzgerald peut être considérée comme une femme venant d’une famille militaire canadienne active. Comme on l’a déjà évoqué, son père a été décoré pendant la Première Guerre mondiale, alors que deux de ses frères ont servi dans l’armée (James, dans la Marine royale canadienne, et Jack, dans l’Aviation royale canadienne – il sera tué pendant la Seconde Guerre mondiale). Les motivations de Fitzgerald pour choisir une carrière dans l’armée, à une époque ou peu de femmes optaient pour de telles professions, ne sont pas tout à faire claires. Cependant, les traditions et valeurs familiales pourraient certainement expliquer les motifs pour lesquels elle a décidé de joindre les rangs et de rester dans l’armée.

Fitzgerald fait son entrée dans la profession en pleine Seconde Guerre mondiale à titre d’infirmière militaire au rang de lieutenant dans le Corps de santé royal canadien, en 1942. Même si la plupart des femmes doivent avoir au moins deux années d’expérience (en plus des trois années de leur programme de formation en soins infirmiers) avant de se joindre à l’armée, Fitzgerald semble avoir été acceptée un an seulement après avoir obtenu son diplôme, en 1941. Elle avait possiblement des relations influentes ou des compétences spécialisées qui la distinguaient de ses camarades. Pendant la Première Guerre, celle de son père, ce rôle était le seul qui était accessible aux femmes, et il le restera pendant des décennies.
La participation des femmes en temps de guerre dans le Canada post‑Confédération commence avec la Résistance du Nord-Ouest de 1885. Les soins infirmiers étaient la seule occupation offerte aux femmes, et cette situation restera la même au cours des 50 années suivantes. Pendant leur affectation de quatre semaines, les infirmières prenaient soin des blessés et s’occupaient des tâches traditionnellement réservées aux femmes, comme la préparation des repas et des médicaments, et la confection de pansements.
Douze femmes serviront pendant la guerre d’Afrique du Sud (1889-1902) et ce sera la première fois que des femmes canadiennes se rendent à l’étranger dans le cadre d’une opération militaire. Elles sont dirigées par Georgina Fane Pope (1862–1938), originaire de Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard. Enfant, Georgina lisait des romans sur la vie de Florence Nightingale et rêvait de suivre sa voie. Comme leurs camarades britanniques, on les appelle « infirmières militaires » (nursing sisters). Georgina s’élèvera au rang d’infirmière militaire en chef du Canada – un rôle qui évoluera tout au long du siècle suivant. Fitzgerald atteindra pour sa part le rang le plus élevé, soit celui d’infirmière en chef principale (matron-in-chief) (un titre qui sera plus tard remplacé par celui de directrice des soins infirmiers) vers la fin des années 1960.
La collègue de Georgina, Margaret MacDonald (1873–1948), sera l’infirmière en chef principale pendant la Première Guerre mondiale, alors que Georgina reste à Halifax jusqu’en 1917 pour former les nouvelles recrues. Plus de 2 800 infirmières militaires professionnelles, ainsi que plus de 2 000 volontaires (détachements d’auxiliaires volontaires, ou DAV) du Canada et de Terre-Neuve, s’enrôlent pendant la Première Guerre mondiale. Comme ce sera le cas pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque s’enrôle, l’offre d’infirmières prêtes à servir dépasse toujours la demande.
Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes se joignent à la population active en grand nombre. Plus de 30 000 femmes occuperont un emploi salarié hors de la maison, et des milliers d’autres travailleront comme bénévoles (p. ex. collecte de fonds et confection et distribution de fournitures pour les soldats en France).
[TRADUCTION] « L’image moderne de l’infirmière militaire est inspirée du legs de Florence Nightingale en Crimée, dans les années 1850, explique l’historienne Linda J. Quiney. Une mythologie romantique représentait Nightingdale comme « l’ange de la compassion » qui réconfortait les blessés sur le champ de bataille. » [ii] Les infirmières militaires pendant la Première Guerre mondiale exécutaient des tâches peu complexes, une situation qui n’a pas beaucoup évolué pendant des décennies. Ce rôle, propre au temps de guerre, ne remettait pas en question les normes sociales ou de genre. Les femmes comme Fitzgerald œuvraient dans ce milieu traditionnel afin se forger une belle carrière.
Mais 58 infirmières militaires seront tout de même tuées pendant la Première Guerre mondiale. D’autres seront témoins de scènes qu’elles n’auraient jamais vues dans leur contexte habituel. Georgina Fane Pope et de nombreuses autres ont survécu à la guerre, mais elles en conserveront des séquelles psychologiques pendant de nombreuses années.
À partir de 1941, de nouveaux débouchés s’offrent aux femmes canadiennes, puisque les forces armées leur confient des rôles de soutien militaire afin de libérer les hommes pour le combat. Le Service féminin de l’Armée canadienne est fondé le 2 juillet 1941 et accueillera 21 000 femmes. En outre, 17 000 femmes de plus se joindront au Service féminin de l’Aviation royale canadienne (fondé le 13 août 1941). Le Service féminin de la Marine royale du Canada (fondé le 21 juillet 1942) recrute 7 000 autres femmes pour le service de guerre. En tout, quelque 50 000 femmes contribueront aux trois volets militaires du Canada pendant la guerre.
Mais de nombreuses femmes demeurent au Canada pour se joindre à la population active civile et des millions d’autres occupent divers rôles au pays sur une base volontaire.
Fitzgerald se joint aux plus de 4 000 femmes canadiennes agissant à titre d’infirmières militaires. Comme pendant la Première Guerre mondiale, il y a plus d’infirmières qu’il n’en faut et, comme l’explique l’historienne Cynthia Toman, les autorités militaires pouvaient se permettre d’être sélectives avec leurs recrues. Les femmes devaient être en bonne forme physique, avoir moins de 45 ans, ne pas être mariées ou être veuves sans enfant. Les futures infirmières devaient fournir des références professionnelles, mais également de leur église. Enfin, les femmes devaient avoir obtenu leur diplôme d’un programme en soins infirmiers – ce qui signifie que les recrues étaient presque toujours de race blanche[iii].
Pendant des décennies, les historiens se sont demandé si la Seconde Guerre mondiale – qui a mené à l’effort militaire le plus généralisé au Canada – a réellement fait progresser la condition féminine. Plus récemment, les historiennes Sarah Glassford et Amy Shaw ont précisé cette question en se demandant quelles femmes ont bénéficié d’un avancement social ou professionnel. Elles avancent que l’appartenance a certainement un rôle à jouer à cet égard. Comme on peut le constater dans le cas des infirmières militaires, le système d’exclusion d’avant‑guerre, qui empêchait les femmes non blanches d’accéder aux écoles de soins infirmiers, nous amène à conclure que la Seconde Guerre mondiale offrait des possibilités d’émancipation aux femmes blanches, plus particulièrement.
Dans ce débat, la plupart des historiens avancent que la Seconde Guerre mondiale n’a été qu’une brève interruption dans cette assignation des rôles traditionnels. Après la guerre, on s’attendait des femmes qu’elles quittent leur emploi rémunéré et retournent à la maison, incluant la vaste majorité des infirmières militaires, qui furent démobilisées à la fin des hostilités. Après s’être rendue à Terre-Neuve (considérée comme « l’étranger » à cette époque), en Angleterre, en Belgique et en Italie pendant la guerre, Fitzgerald revient au Canada en septembre 1945 et obtiendra une libération honorable en novembre. Les infirmières militaires qui revenaient à la vie civile pouvaient quitter le marché du travail, changer de carrière, tenter de se trouver un emploi dans un établissement de soins privé ou public, ou retourner aux études. Tous les autres services féminins seront démantelés en 1946.
Fitzgerald choisit deux de ces trajectoires. Premièrement, elle décide de travailler à l’hôpital de Halifax pour les tuberculeux. Ensuite, elle reprend les études et obtient un diplôme en santé publique de l’Université d’Ottawa.

Fitzgerald revient dans l’armée en 1948 et devient lieutenante d’aviation pour l’Aviation royale canadienne. Elle suit une formation et travaille à la station Rockcliffe de l’Aviation royale canadienne, à Ottawa, en Ontario, jusqu’en 1950 – l’année même où les forces militaires en Corée du Nord envahissent la Corée du Sud et traversent le 38e parallèle. Même si le Canada se joint à la coalition des Nations Unies en vertu du principe de « sécurité collective », il est évident que ce sont les États-Unis qui dirigeront les opérations en Corée. Fitzgerald est envoyée à la base des forces aériennes Gunter, en Alabama, pour y suivre un programme de formation d’infirmière de l’air de sept semaines, en octobre 1950.
Le recours aux infirmières de l’air – ainsi que la création de programmes de formation – débute en 1942, au moment même où Joan Fitzgerald se joint au Corps de santé royal canadien. La première canadienne commencera sa formation aux É.-U. en 1943. Même si la US Air Force (USAF) fait appel à des infirmières de l’air pendant la Seconde Guerre mondiale, seules quelques Canadiennes se trouvent parmi leurs rangs.
L’historien militaire G. W. L. Nicholson aborde brièvement les origines des infirmières de l’air canadiennes dans son ouvrage, Canada’s Nursing Sisters. Il écrit notamment [TRADUCTION] « qu’elles sont en poste dans les hôpitaux de l’ARC en Angleterre, mais ne prendront part à aucune opération d’évacuation aérienne d’importance avant la fin de la guerre. »[iv] Comme l’indique l’historienne Cynthia Toman, il est vrai que seul un petit nombre d’infirmières canadiennes ont pris part aux évacuations aériennes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle ajoute :
[TRADUCTION] Six infirmières suivent un cours sur les évacuations aériennes à Bowman Field près de Louisville, au Kentucky, en 1943. Elles feront partie de l’unité d’évacuation aérienne des blessés no 6 de l’ARC, dont le mandat consiste à évacuer les blessés du continent vers les hôpitaux de base en Angleterre, en août 1944, et à évacuer les patients civils de Terre-Neuve-et-Labrador vers de plus grandes installations médicales en cas d’urgence. Les quatre infirmières qui se joignent au contingent no 52 de l’hôpital de campagne de l’ARC seront sans doute les premières femmes des pays alliés à mettre le pied en Normandie après le jour J, en juin 1944[v].
Cynthia Toman
Les autorités militaires américaines considèrent les évacuations aériennes trop risquées avant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, le devoir d’évacuer les soldats de terrains difficiles, comme la Birmanie (aujourd’hui le Myanmar), l’Alaska et la Nouvelle-Guinée les incitent à réévaluer cette politique. Les USAF ne disposent pas, à ce moment, d’aéronefs adaptés aux évacuations médicales. Elles ont plutôt recours aux mêmes aéronefs pour transporter les soldats et le matériel vers les zones de guerre, et ensuite pour évacuer les blessés.
Le personnel de bord et les infirmières doivent être formés rapidement pour ces missions. Le premier centre de formation est établi à Bowman Field, en 1942. Les USAF commencent à recruter des infirmières autorisées, entre 21 et 36 ans, pesant de 105 à 135 livres (47 à 61 kg), et mesurant entre 5 et 6 pieds (152 à 182 cm).
À l’automne 1950, Fitzgerald se joint aux rangs des infirmières de l’air, d’ailleurs de plus en plus nombreuses. Un récit de la Guerre de Corée, du point de vue de l’ARC, décrit le cours comme suit : « sept semaines de cours en soins infirmiers et de formation pratique, comprenant des vols de familiarisation et des exercices d’amerrissage ». Mais on peut aussi imaginer qu’on leur apprenait beaucoup plus que cela, si l’on se fie à l’historique des cours de formation pour infirmières de l’air pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans un premier temps, les infirmières devaient suivre un cours de quatre semaines qui, comme le décrit l’auxiliaire médicale de l’air Beverly Ford, comprenaient « une formation sur la façon de monter une tente, lire des cartes, creuser des tranchées et s’exercer aux techniques de camouflage. » Les recrues devaient aussi traverser une chambre à gaz lacrymogène et ramper sur le ventre sur un parcours de 75 verges parsemé de tranchées et de fils barbelés, alors que des charges de dynamite explosent partout autour d’elles et que les balles fusent au-dessus de leurs têtes. »[vi]
Les infirmières suivent une formation en survie mettant particulièrement l’accent sur les naufrages. Elles doivent notamment apprendre à souffler un canot de sauvetage, dessaler l’eau de mer, envoyer des signaux de détresse et rationner la nourriture.
Le cours est prolongé jusqu’à huit semaines en novembre 1943 afin qu’on y ajoute d’autres matières. En octobre 1944, le programme est transféré à Randolph Field, à San Antonio, au Texas. Entre décembre 1942 et juin 1946, 1 484 infirmières suivent le programme. Seulement 15 femmes échouent.
Même si les soins infirmiers seront longtemps considérés comme un rôle militaire approprié pour les femmes, ce type de formation est très loin de ce que certains présentent comme la « préservation de la féminité ». En outre, les infirmières de l’air se distinguent des infirmières militaires de par le jugement qu’on leur permet d’exercer pour prendre des décisions souvent spontanées et les longues périodes où elles peuvent agir de façon entièrement autonome.
Par exemple, une équipe d’évacuation médicale type comprend une infirmière de l’air et un technicien. Un médecin aura sans doute fait le point avec l’infirmière avant le décollage, mais il n’est généralement pas présent à bord de l’aéronef. L’équipe médicale de deux personnes est responsable d’environ 25 patients. L’infirmière de l’air doit utiliser ses propres connaissances et compétences pour prendre soin des patients et a l’autorisation d’improviser, au besoin. Elle surveille la pression atmosphérique dans la cabine en fonction des besoins de ses patients et peut demander au pilote de voler à une autre altitude si nécessaire. Cette autorité qu’elles exercent sur leurs collègues masculins n’est pas à l’image de ce qu’on observe dans les hôpitaux militaires : cette supériorité est bien temporaire et ne dure que le temps d’un vol. Les femmes comme Fitzgerald occupent des rôles qui paraissent très traditionnels, mais elles assument dans les faits des responsabilités qui ne le sont pas.
Lorsque les É.-U. prennent la direction des forces de la coalition des NU en Corée du Sud, au début de juin 1950, les infirmières comme Fitzgerald sont appelées à jouer un rôle lors d’évacuations médicales. Des services féminins seront réinstaurés en 1951, avec près de 5 000 femmes servant à différents titres pendant la guerre de Corée.
Fitzgerald deviendra la première infirmière de l’air de l’ARC pendant la guerre de Corée, mais 40 autres femmes (travaillant en binôme) serviront dans le cadre de ce programme, de 1950 à 1955, réalisant 250 évacuations médicales. Fitzgerald est ensuite postée à Honolulu pour tout le reste de son affectation, pendant l’hiver 1950-1951.
Les écrits des autres nous donnent une meilleure idée des expériences des infirmières de l’air à cette époque. Par exemple, le colonel Benjamin A. Strickland, s’adressant à un groupe d’infirmières diplômées en 1951, décrit les rôles typiques qu’elles seront amenées à jouer. Comme pendant la Seconde Guerre mondiale, les équipes d’évacuation aérienne de Corée sont formées d’une infirmière de l’air et d’un technicien. L’infirmière était informée de sa prochaine mission l’après-midi avant le décollage. Elle rencontrait les patients à l’aérodrome et vérifiait leur état de santé avant de superviser les préparatifs du vol et l’embarquement des patients, dont la plupart avaient été traités à l’hôpital de campagne juste avant leur vol.
L’infirmière de l’air était équipée d’une trousse médicale, contenant ce que Nicholson décrit comme une « pharmacie volante de médicaments d’urgence ». L’infirmière pouvait apporter les fournitures de son choix. Selon Strickland, « elle était maître à bord concernant tous ses patients ». Après la mission, elle pouvait rester à l’aérodrome ou retourner à sa base.
Après son affectation de trois mois, où elle évacuait des patients de la Corée vers Honolulu, en mars 1951, Joan Fitzgerald retourne à la base canadienne de Rockcliffe. Mais, comme on peut s’y attendre de la part d’une femme qui a parcouru plus de huit pays en dix ans, elle n’y est pas restée longtemps. Elle deviendra l’infirmière militaire responsable du cours d’assistance médicale avant de déménager à la base de l’ARC, à Aylmer, soit à environ 200 km au sud-ouest de Toronto, pour y occuper le même rôle. En 1953, elle suit un cours d’un an à l’Université de Toronto en administration des soins infirmiers, et revient ensuite à Ottawa, au quartier général de l’Aviation, en tant qu’adjointe de l’infirmière en chef principale.
L’affectation de Fitzgerald en Corée pendant la guerre a duré moins d’un an; c’est peu si l’on tient compte de sa carrière de plus de trois décennies dans l’armée canadienne. Et pourtant, ce passage en Corée montre comment certaines femmes des années 1950 pouvaient aspirer à des rôles militaires stimulants, et même prestigieux.

Ce rôle d’infirmière de l’air nous donne également quelques indications sur son caractère. Premièrement, elle aimait apprendre et a appris toute sa vie. Sa formation intensive d’infirmière de l’air s’ajoute aux nombreux cours qu’elle a suivis pendant sa carrière pour perfectionner ses compétences. Ensuite, Fitzgerald aimait voyager, de toute évidence – à la fin de la guerre de Corée, elle avait accumulé 430 heures de vol et était impatiente de reprendre l’avion pour aller voir son frère Jack à Londres, en Angleterre.
Fitzgerald avait une autre raison de se rendre à Londres, en 1953. Elle est l’une des deux infirmières canadiennes à recevoir une médaille de service des NU pour leur participation aux évacuations médicales aéroportées et est invitée à se joindre à un défilé de 20 km soulignant le couronnement de la reine Elizabeth II.
Malgré sa carrière militaire exceptionnelle, l’histoire de Fitzgerald n’est pas typique. Les femmes canadiennes, dans la période d’après-guerre, étaient fortement incitées à reprendre leurs rôles traditionnels d’épouses, de mères et de femmes au foyer. Il s’agissait en fait d’une attente, ou même d’un rêve, inaccessible pour de nombreuses femmes. Dans une entrevue menée en 1965, Fitzgerald mentionne que les possibilités de voyager et de mieux gagner sa vie ont certainement été des avantages de son emploi, et il est possible que ces avantages, en plus des racines militaires de sa famille, ont fait partie des raisons pour lesquelles elle a choisi de faire carrière plutôt que de fonder une famille. Son histoire montre bien que certaines femmes ont balayé ces pressions sociales du revers de la main, ou ont été obligées de le faire.
Dans le Canada de l’après-guerre, le taux de chômage était faible, ce qui a mené à un accroissement de la richesse personnelle et à l’introduction de l’État-providence. Cependant, les premières décennies de la Guerre froide sont facilement confondues avec un âge d’or. On s’attendait pendant la guerre à ce que la paix ramène une certaine forme de normalité. Mais cette transition a généré une anxiété sociale considérable. Pendant la Guerre froide, c’est la menace du nucléaire qui deviendra la nouvelle normalité.
De nombreux Canadiens se souviennent des perturbations sociales, politiques et économiques qui ont suivi la fin de la Première Guerre mondiale et croyaient que la famille nucléaire traditionnelle pouvait servir de bouclier contre ces maux de la société. Cependant, comme l’explique l’historienne Cynthia Comacchio, cette « reconstitution du culte de la domesticité victorien a toujours relevé davantage du rêve que de la réalité. »[vii]
Les années suivant immédiatement la fin de la guerre ont été marquées par un déclin de la participation des femmes sur le marché du travail. Le nombre de femmes travaillant hors de la maison a commencé à remonter dans les années 1950, n’atteignant cependant pas les niveaux d’avant-guerre, et ce, jusqu’en 1961. Le travail rémunéré n’était pas un luxe pour de nombreuses femmes; c’était une nécessité, surtout pour les familles à faible revenu, les immigrants récents, et les femmes non blanches. Encore une fois, lorsqu’on se demande comment la guerre a influé sur l’amélioration de la condition des femmes, il importe de se demander, tout comme Glassford et Shaw, quelles femmes?
L’histoire de Fitzgerald révèle un autre point de tension de cette époque : les femmes pouvaient (mais rarement) conserver leur poste d’infirmière militaire, mais cela les obligeait à renoncer à une famille et aux rôles traditionnels de mères et d’épouses. Pour d’autres femmes de l’armée, l’obligation de rester célibataire et les conditions de vie spartiates (habiter les logements rudimentaires des bases militaires, manger au mess, pas de visiteurs masculins) amenaient bon nombre d’entre elles à quitter l’armée après environ deux ans. La grande majorité des femmes qui quittent le service dans les années 1950 le font pour se marier. Elles sont alors immédiatement libérées de leurs fonctions.
En comparaison, les hommes de l’ARC pouvaient vivre sur la base avec leur famille. Les infirmières militaires habitaient également sur la base, mais devaient rester célibataires. En fait, l’une des principales raisons pour retenir les infirmières pendant la Guerre froide était qu’elles devaient fournir des services médicaux aux militaires et à leur famille habitant dans les bases ou dans des collectivités éloignées. Les infirmières répondaient à tous les besoins médicaux des familles – des soins d’urgence à la gynécologie, en passant par la santé publique.
Fitzgerald sera promue au rang de lieutenant‑colonel en 1968 et accédera elle aussi au poste d’infirmière en chef principale du Service de santé royal canadien. En 1972, elle sera la première canadienne à être promue au rang de colonel en temps de paix, et elle deviendra la « directrice des soins infirmiers », la nouvelle appellation de son poste. En juillet, elle sera également la première femme en uniforme à suivre un cours au Collège de la Défense nationale, un an seulement après que la première femme de tous les temps, Flora MacDonald, fréquente l’établissement (Flora MacDonald fera plus tard carrière en politique).
Fitzgerald, et celles qui viendront après elle, a tracé la voie vers une plus grande acceptation des femmes dans l’armée canadienne. Elle a servi dans l’une des guerres les plus importantes pour le Canada et dans la guerre que l’on dit « oubliée » au Canada. Entre les deux, elle a œuvré dans le domaine des soins infirmiers pour développer son leadership, voyager et profiter des diverses occasions d’apprentissage. Fitzgerald a pris sa retraite en 1976, et jusqu’à son décès, en septembre 2013, la société a été témoin de la levée graduelle des obstacles pour les femmes dans l’armée canadienne.
Pour en savoir plus
Ouvrages publiés :
Albert, Janice. « What’s Different About Flight Nursing? » dans American Journal of Nursing (56, No. 7, 1956, 873–874).
Comacchio, Cynthia et Neil Sutherland. Ring around the Maple: Children and Childhoods in English Canada, 19th–20th Centuries (Wilfrid Laurier University Press, 2024 : à venir).
Cook, Tim. The Necessary War: Canadians Fighting the Second World War, 1939–1943 (Penguin, 2014).
Ford, Beverly. « Voices of Our Past: Flight Nurse Training in World War II » dans Air Medical Journal (23, No. 5, 2004, 18–23).
Gauthier, Ariane. « ‘Long and Strenuous Duties in France:’ Neurasthenia and Nervous Debility among Canadian Nursing Sisters during the First World War » dans Canadian Military History (31, No. 1, 2022, 1–29).
Glassford, Sarah et Amy Shaw, Eds., Making the Best of It: Women and Girls of Canada and Newfoundland during the Second World War (UBC Press, 2020).
Hallett, Christine E. Veiled Warriors: Allied Nurses of the First World War (Oxford University Press, 2014).
Nicholson, G. W. L. Canada’s Nursing Sisters (Samuel Stevens Hakkert & Company, 1975).
Pierson, Ruth Roach. Canadian Women and the Second World War (Société historique du Canada, 1983).
Quiney, Linda J. This Small Army of Women: Canadian Volunteer Nurses and the First World War (UBC Press, 2017).
Shiner, Nancy Power. « ‘In the Best Interest of the Service’: RCAF Flight Nurses as the ‘New Woman,’ 1945–1959 » (MA thesis, Dalhousie University, 1998).
Toman, Cynthia. An Officer and a Lady: Canadian Military Nursing and the Second World War (UBC Press, 2007).
Toman, Cynthia. Sister Soldiers of the Great War: The Nurses of the Canadian Army Medical Corps (UBC Press, 2016).
Sites Web :
Musée canadien de la guerre : https://www.museedelaguerre.ca/apprendre/les-femmes-dans-les-forces-armees-canadiennes
Encyclopédie canadienne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/femmes-dans-les-forces-armees
Anciens combattants Canada : https://www.veterans.gc.ca/fra/remembrance/those-who-served/women-veterans/timeline
Gouvernement du Canada : https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/feuille-derable/arc/2020/06/le-role-de-l-arc-dans-la-guerre-de-coree.html
Article nécrologique de Mary Joan Fitzgerald : https://www.dignitymemorial.com/obituaries/halifax-ns/joan-fitzgerald-5661696
États de service de James Fitzgerald PGM : https://www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-militaire/premiere-guerre-mondiale/dossiers-personnel/Pages/item.aspx?IdNumber=391431
[i] Tim Cook aborde brièvement le sujet de la campagne contre les femmes en uniforme pendant la Seconde Guerre mondiale dans The Necessary War: Canadians Fighting the Second World War: 1939–1943 (Penguin, 2014), 6–9. Voir également : Ruth Roach Pierson, Canadian Women and the Second World War (Société historique du Canada, 1983) et Cynthia Toman, An Officer and a Lady: Canadian Military Nursing and the Second World War (UBC Press, 2007).
[ii] Linda J. Quiney, This Small Army of Women: Canadian Volunteer Nurses and the First World War (UBC Press, 2017), 5.
[iii] Cynthia Toman, An Officer and a Lady, 38–39, 47. Les recherches effectuées par Toman auprès d’un groupe d’infirmières révèlent que la majorité des infirmières militaires étaient Protestantes (77,9 %), les Catholiques formant le second groupe en importance (20,8 %). Les femmes juives étaient minoritaires dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale en raison des restrictions imposées à leur inscription dans les écoles de soins infirmiers, et elles ne formaient que 0,4 % de l’échantillon de Toman. Comme elle l’explique, certaines écoles, comme l’école de soins infirmiers de l’hôpital général de Montréal, rejetaient explicitement les candidatures de femmes juives.
[iv] G. W. L. Nicholson, Canada’s Nursing Sisters (Samuel Stevens Hakkert & Company, 1975), 213.
[v] Toman, An Officer and a Lady, 60.
[vi] Beverley Ford, « Voices of Our Past: Flight Nurse Training in World War II », Air Medical Journal (23, No. 5, 2004), 19.
[vii] Cynthia Comacchio et Neil Sutherland, Ring Around the Maple: Children and Childhoods in English Canada, 19th–20th Centuries (Wilfrid Laurier University Press, 2024 – à venir).