Les pensionnats autochtones et la déstabilisation des déterminants sociaux de la santé: une introduction
Par Émilie Lebel

Émilie Lebel
Auteure collaboratrice
Émilie est une rédactrice pigiste émergente spécialisée dans la santé et la justice sociale. Elle possède un baccalauréat spécialisé en sciences de la santé et en psychologie (Université d’Ottawa, 2013), une maîtrise en sciences de la santé en ergothérapie (Université d’Ottawa, 2015) et un certificat en troubles concomitants (Université de Toronto et CAMH, 2022), ainsi que des années d’expérience en santé mentale communautaire et en lésions cérébrales acquises. Émilie se passionne pour les changements sociaux positifs et efficaces – qu’elle s’efforce de susciter par l’éducation et un discours significatif.
Cet article fait partie d’une série explorant la manière dont les pensionnats ont déstabilisé les déterminants sociaux de la santé des communautés autochtones. Chaque chronique amplifie la parole d’un gardien du savoir afin d’examiner l’héritage de ces institutions au sein des communautés contemporaines.
Que signifie d’être en santé ?
Le concept de la santé tel qu’on le connaît aujourd’hui a été établi en 1948 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui proposa cette définition : « un état de bien-être physique, mental et social complet et non pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. »
En d’autres termes, être en bonne santé est bien plus que de ne pas être malade. Qui plus est, la santé ne se limite pas au corps physique mais englobe aussi les dimensions mentale et sociale de la vie d’une personne. Ainsi, grâce à cette définition plus large, la vision courante de la santé est devenue plus holistique et s’oriente vers celles soutenues par les peuples autochtones du Canada. Également, cette nouvelle compréhension du concept permet de mieux saisir les facteurs qui influencent la santé. Justement, c’est réciproque : en reconnaissant que la santé soit physique, mentale et sociale, nous concèdons que le mental, le physique et le social peuvent à leur tour avoir un impact sur la santé.
Les déterminants sociaux de la santé
La santé est effectivement déterminée par des facteurs tels la génétique, l’âge et le sexe – mais seulement en partie.
En effet, elle est aussi fortement influencée par les circonstances sociales et économiques. Ces types de facteurs constituent les « déterminants sociaux de la santé », ou DSS. Ils incluent les conditions de vie d’une personne ainsi que les systèmes qui affectent son quotidien.
Selon l’OMS (2022), les DSS englobent :
1. Le revenu et la protection sociale
2. L’éducation
3. Le chômage et la sécurité d’emploi
4. Les conditions de travail
5. L’insécurité alimentaire
6. Le logement, l’infrastructure de base et l’environnement
7. Le développement de la petite enfance
8. L’inclusion sociale et la non-discrimination
9. Les conflits structuraux ; et
10. L’accès aux services de santé abordables et de qualité décente.
Autrement dit, les DSS sont des conditions non médicales qui affectent nos choix, façonnent nos conditions de santé probables et détermine leur gravité potentielle. Chacune de ces conditions est importante, mais leur effet cascade – soit que l’une tend à en entraîner une autre – est tout aussi important. Par exemple, une personne ayant un faible revenu peut être contrainte de vivre dans des logements insalubres, avec de la moisissure ou des parasites, ce qui risque d’influencer sa santé respiratoire ou mentale.
Un autre exemple est celui des Inuits vivant au Nunavut. Ceux-ci ont un accès limité aux services essentiels en Inuktitut, ce qui entraîne des diagnostics erronés, de pires pronostics et même des décès évitable (selon Kotierk dans Greenwood, de Leeuw, Stout, Larstone et Sutherland, 2022). En fait, selon l’OMS, les DSS sont possiblement les facteurs les plus importants à considérer lors de l’analyse des disparités en santé puisqu’ils sont à l’origine de 30 à 55 % des écarts de santé observés.
Essentiellement, les données démontrent que les forces socio-économiques ont peut-être un impact encore plus important sur notre santé que les soins médicaux.
Inégalité et iniquité en matière de santé
L’inégalité en santé désigne la répartition variable des déterminants de la santé entre divers groupes, ce qui entraîne des différences dans leurs états de santé respectifs. Par exemple, les communautés plus éloignées ont souvent un accès restreint aux soins, ce qui influence les tendances de santé de ces populations. En ce qui a trait aux inégalités, les DSS peuvent servir de guide pour les initiatives de santé publique ; effectivement, ils mettent en évidence les expériences clés ayant tendance à s’accumuler chez les populations vulnérables, causant et aggravant ainsi les problèmes de santé des membres de ces communautés.
Au Canada, les Premières Nations, Inuits et Métis sont disproportionnellement plus susceptibles que le Canadien moyen de faire face à des services de santé insatisfaisants, à un faible niveau d’instruction, à un revenu faible et instable, à l’insécurité alimentaire, à la pauvreté, aux logements inadéquats et à la discrimination. Par conséquent, les peuples autochtones, en contraste à la moyenne nationale, ont une espérance de vie plus courte ; un taux plus élevé de mortalité infantile ; plus de maladies chroniques telles l’arthrite, l’obésité, le diabète et le cancer ; plus de maladies transmissibles tels le VIH, la tuberculose et l’hépatite C ; ainsi qu’une incidence plus élevée de suicide, de surdoses et de troubles de santé mentale (Greenwood et al., 2022 ; Pan-Canadian Health Inequalities Reporting Initiative, 2018; Fayed, A King, M King et al., 2018). Ces taux varient grandement parmi les diverses communautés qui composent les peuples des Premières Nations, Inuits et Métis, mais tous sont en deçà de ce à quoi s’attendre au Canada.
En vérité, ces tendances sont plus qu’inégales ; elles sont aussi inéquitables.
L’iniquité en matière de santé signifie que les écarts retrouvés dans l’état de santé de différents groupes sont injustes et évitables. De fait, certains groupes sont confrontés à l’accumulation systémique d’expériences néfastes, ce qui altère autant leur santé que leur qualité de vie. « Cette répartition inégale des expériences nuisibles à la santé n’est en aucun cas un phénomène ‘naturel’, mais bien le résultat d’une combinaison toxique de politiques et de programmes sociaux médiocres, d’arrangements économiques injustes et de mauvaise politique. » (Commission on Social Determinants of Health, 2008)
« Politiques et programmes médiocres » : les pensionnats autochtones
Selon l’Initiative pancanadienne sur les inégalités en santé (2018), « La structure coloniale, qui visait à assimiler les Autochtones à la culture eurocanadienne dominante, est largement responsable de la déstabilisation des déterminants de la santé des Autochtones »
L’une de ces structures d’assimilation est, sans conteste, le système des pensionnats. Ces écoles résidentielles furent opérationnelles à travers le pays de 1831 à 1996. Elles visaient à rompre les liens non seulement entre parents et enfants, mais aussi les liens culturels, spirituels et communautaires dans l’intention avoué de « civiliser les Indiens. » (Greenwood & al., 2022)
De surcroît, Dr Peter H. Bryce publia en 1922 un pamphlet intitulé The Story of a National Crime dans lequel il dénonce les mauvaises conditions de vie observées dans ces écoles. Il y condamne notamment l’incidence stupéfiante de tuberculose ainsi que les taux de mortalité élevés, qu’il attribue à ces conditions déplorables. À ceci s’ajoute encore d’autres effets néfastes sur la santé des pensionnaires : ces institutions ont systématiquement façonné les déterminants sociaux de la santé des peuples autochtones. En effet, « les inégalités en matière de santé des peuples autochtones sont ancrées dans l’histoire de la dépossession de leurs terres et de la destruction de leurs systèmes sociaux. » (Delormier et al., 2017, cité dans Greenwood et al., 2022)
En définitive, l’impact des pensionnats autochtones fut non-seulement profond mais aussi fondateur des inégalités en santé observées aujourd’hui dans les communautés des Premières Nations, Métis et Inuits. Les prochaines chroniques de cette série exploreront la portée des pensionnats sur certains DSS clés en donnant parole à trois personnes issues de cette déstabilisation.
Références
Bryce, P. H. The Story of a National Crime: An Appeal for Justice to the Indians of Canada. Ottawa: James Hope and Sons, 1922.
Commission on Social Determinants of Health. (2008). Closing the gap in a generation: Health equity through action on the social determinants of health: Commission on Social Determinants of Health final report. Geneva, Switzerland: World Health Organization.
Greenwood, M., de Leeuw, S., Stout R., Larstone, R. & Sutherland, J., editors. Introduction to Determinants of First Nations, Inuit, and Métis Peoples’ Health in Canada. Toronto (ON): Canadian Scholars Press; 2022.
Pan-Canadian Health Inequalities Reporting Initiative. (2018). Key Health Inequalities in Canada; A National Portrait. Canada: Public Health Agency of Canada.
ST Fayed, A King, M King, et al. (2018). In the eyes of Indigenous people in Canada: exposing the underlying colonial etiology of hepatitis C and the imperative for trauma-informed care. Canadian Liver Journal 1.3. doi: 10.3138/canlivj.2018-0009.
The Truth and Reconciliation Commission of Canada (2015). Canada’s Residential Schools: The Legacy; The Final Report of the Truth and Reconciliation Commission of Canada, Volume 5. Montreal & Kingston: McGill-Queens University Press.
World Health Association (2022). Social determinants of health. Consulted on https://www.who.int/health-topics/social-determinants-of-health#tab=tab_1
Lectures recommandées
Downie, G & Lemire, J. (N.D.). The Secret Path. https://www.secretpath.ca.
Greenwood, M., de Leeuw, S., Stout R., Larstone, R. & Sutherland, J., editors. Introduction to Determinants of First Nations, Inuit, and Métis Peoples’ Health in Canada. Toronto (ON): Canadian Scholars Press; 2022.
Jean, Michel. Tiohtiáke. Montréal: Libre Expression; 2021.
Maurice, Jacqueline Marie. The Lost Children : A Nation’s Shame. Professional Women Publishing; 2014.
Pan-Canadian Health Inequalities Reporting Initiative. (2018). Key Health Inequalities in Canada; A National Portrait. Canada: Public Health Agency of Canada.