Lire et comprendre les relevés trimestriels des pensionnats autochtones
Par Kaila Johnston

Kaila Johnston
Auteure collaboratrice
En tant que superviseur de l’éducation, de la sensibilisation et de la programmation publique au Centre national pour la vérité et la réconciliation, Kaila supervise les questions liées au soutien des éducateurs, au développement des ressources, à la mise en place d’initiatives de sensibilisation, ainsi qu’à l’engagement public sur les pensionnats et leur héritage. Avant de joindre la CNVR, Kaila a travaillé avec la CVR en tant que responsable de la collecte des déclarations et coordinatrice pour soutenir les activités de collecte des déclarations. Elle est titulaire d’un B.A. (avec mention) en justice pénale de l’Université de Winnipeg et d’une M.Sc. en crimes internationaux et criminologie de la Vrije Universiteit d’Amsterdam. Kaila est crie et est née et a grandi à Winnipeg, au Manitoba.
Qu’est-ce qu’un relevé trimestriel?
Un relevé trimestriel est une liste de tous les élèves d’un pensionnat autochtone pour un trimestre donné; c’est un document financier officiel. Le personnel d’un pensionnat autochtone remplit ces formulaires 4 fois par an, soit le 31 mars, le 30 juin, le 30 septembre et le 31 décembre, pour les envoyer au gouvernement du Canada et recenser le nombre d’élèves qui fréquente chaque pensionnat. Le nombre d’élèves qui fréquente une école et leur assiduité déterminent les montants du financement que le gouvernement octroie à chaque pensionnat.
Le montant du financement offert par le gouvernement sert à défrayer les coûts de l’entretien, les salaires et les dépenses telles que la nourriture, les vêtements, etc., du pensionnat et des élèves. Le système des pensionnats autochtones n’est que maigrement financé; les employés ne sont pas bien rémunérés, les établissements dépendent grandement des dons et fonctionnent en grande partie grâce au travail des élèves.
Un pensionnat ne reçoit aucune subvention tant que le gouvernement ne reçoit pas son relevé trimestriel. Le montant de l’allocation par élève du trimestre est établi comme suit : le nombre moyen de jours de fréquentation des élèves est multiplié par le montant de la subvention trimestrielle établie par élève.
Exemple:
Au pensionnat autochtone de Kamloops, il y a 318 élèves, soit 154 garçons et 164 filles. En 1947, l’allocation par élève du pensionnat autochtone de Kamloops est de 195 $ par année, ou 0,53 $ par jour.
Le nombre total de jours où les élèves habitent au pensionnat de janvier à mars s’élève à 27 410. Si aucun élève n’a manqué une journée au pensionnat, le nombre de jours total se serait élevé à 28 620 jours, soit 90 jours x 318 élèves.
Le nombre total de jours où les élèves habitent an pensionnat est divisé par le nombre total de jours du trimestre. Il y a 90 jours dans le trimestre de janvier à mars, ce qui signifie que la fréquentation moyenne des élèves pour ce trimestre est de 304,55, or le pensionnat reçoit seulement 285 + 10 jours. Le nombre est ensuite multiplié par l’allocation trimestrielle pour un total de 14 381,25 $.
Dans l’éventualité où aucun des 318 élèves n’a manqué une journée, le total de la subvention s’élèverait à 15 502,50 $, soit 318 élèves x 48,75 $. La différence est de 1 121,25 $.
Le personnel additionne les jours passés au pensionnat et les jours de classe pour tous les élèves afin de calculer l’allocation par élève du trimestre.

Comment lire et comprendre un relevé trimestriel?
La raison d’être des relevés trimestriels a changé au cours des ans, donc nous allons nous concentrer sur les relevés trimestriels de 1938 à 1952 qu’il est possible de consulter dans la base de données du Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR).
Voyons ensemble comment lire et comprendre ce type de document à l’aide du relevé trimestriel du 31 mars 1947 du pensionnat autochtone de Kamloops en Colombie-Britannique. Pour en trouver rapidement une copie, utilisez le code du document R00002084 dans le moteur de recherche de la base de données des archives du CNVR.
Chaque relevé trimestriel est muni d’une page couverture indiquant au personnel du pensionnat la marche à suivre pour le remplir adéquatement. Sur cette page, vous trouverez également le nom du pensionnat, la date de fin du trimestre, le nom du directeur, la date à laquelle le relevé a été rempli, le nom de l’agent des Indiens qui en a accusé réception, ainsi que la date et le lieu de la remise du relevé.
Il semble cependant que le directeur du pensionnat n’a pas rempli les informations sur la page couverture du relevé du 31 mars 1947; elle est vide!
Le directeur a en revanche rempli la page couverture du relevé trimestriel du 30 septembre 1947, donc le code du document est R00002087. Le directeur F.O. Grady OMI a rempli le document le 4 octobre 1947, l’agent des Indiens l’a reçu le 7 octobre et le ministère des affaires indiennes l’a reçu le 14 octobre.


Les autres pages du relevé trimestriels contiennent la liste des élèves qui ont habité ou fréquenté le pensionnat pendant le trimestre. Les différentes colonnes servent à documenter les informations qui permettent d’identifier chaque élève : le nom, le numéro d’inscription ou d’élève, l’âge, le sexe, la bande ou la réserve, la classe ou le programme, leur rang dans la classe, le métier ou l’industrie et le nombre de jours passés à apprendre ce métier, la date de leur arrivée au pensionnat, le nombre de jours passés au pensionnat et en classe et, finalement, des notes sur leur progrès ou les motivations d’absence.

1re colonne – Numéro d’inscription ou d’élève
Le numéro d’inscription ou d’élève sert plus souvent à identifier les enfants que leur nom. C’est ce numéro qui est inscrit sur tous leurs biens au pensionnat : leur uniforme, leurs couvertures et effets personnels. Chaque élève se voit attribuer un numéro lorsqu’il ou elle arrive au pensionnat. Ensuite, les élèves sont séparés selon leur sexe.
La liste des élèves est établie en fonction de la date de leur arrivée au pensionnat. Pour différencier les garçons des filles, les numéros des filles comment par un « 0 ». Les nouveaux élèves peuvent donc être ajoutés à la liste du relevé trimestriel en tout temps à partir de la date de leur arrivée.
Exemple:
Liste des filles/liste des garçons


2e colonne – Nom
Le nom des élèves peut changer d’année en année et même d’un relevé à l’autre, en fonction du membre du personnel qui remplit le relevé. Il se glisse parfois des erreurs d’épellation dans le nom des élèves et l’utilisation du nom de famille maternel, paternel ou le nom autochtone traditionnel. L’occurrence des noms autochtones traditionnels est plus élevée dans les vieux registres et dans ceux des pensionnats situés dans le grand nord.
3e colonne – Âge
En 1920, la Loi sur les Indiens est amendée et rend obligatoire les pensionnats autochtones, les écoles industrielles ou les externats autochtones pour tous les enfants âgés de 7 à 15 ans des Premières nations visées par le traité. Un nouvel amendement de la Loi sur les Indiens adopté en 1930 élève à 16 ans l’âge de fréquentation obligatoire.
Les relevés trimestriels indiquent la présence d’enfants beaucoup plus jeunes et plus vieux que la fourchette d’âge prescrite par le gouvernement. De nombreuses raisons expliquent cette réalité, notamment des enfants malades qui ont besoin de soins, des enfants orphelins à la suite du décès des parents ou des élèves plus âgés qui poursuivent des études de niveau secondaire ou qui habitent au pensionnat pour suivent des cours en ville.
Exemple:
Rose Larue, numéro d’élève 0857, vient de Kamloops; elle a 5 ans en date du 31 mars 1947. Elle est arrivée au pensionnat le 1er septembre 1946. Elle est en première année et n’a pas de corvées à effectuer.
August Gott, numéro d’inscription 616, de Kamloops; il a 17 ans en date du 31 mars 1947. Il est arrivé au pensionnat le 1er septembre 1939 et y habite depuis 8 ans. Il est en deuxième année du secondaire et a passé 360 heures dans sa formation sur l’exploitation laitière et technique.
Une élève de moins de 7 ans

Un élève de plus de 16 ans

4e colonne – Sexe
Indique le sexe de l’élève, soit masculin ou féminin.
5e colonne – Bande ou réserve
La plupart des relevés trimestriels indiquent la communauté dont proviennent les élèves, mais il arrive que cette colonne demeure vide ou que le personnel utilise d’autres manières de les identifier, telles que le numéro du traité, pour consigner les communautés natales des élèves.
Vous remarquerez l’impact du colonialisme lorsque vous découvrez des communautés qui n’existent plus; la communauté de St. Peter au Manitoba a été illégalement dispersée en 1908 par le gouvernement fédéral. Les membres de cette communauté ont été relocalisés à l’ouest du lac Winnipeg et elle porte désormais le nom de Première nation Peguis.
Exemple:
Une communauté qui n’existe plus

Autre manière de consigner le lieu d’origine

6e et 7e colonne – Classe ou programme et rang dans la classe
Le relevé trimestriel indique le niveau scolaire de chaque élève, de la première année du primaire à la dernière année du secondaire. La majorité des pensionnats autochtones n’offre pas de cours d’études secondaires avant la Deuxième guerre mondiale et les années 1950, à partir de l’amendement de la Loi sur les Indiens adopté en 1953.
Les amendements adoptés mettent en place des manières de valider que les pensionnats autochtones suivent les programmes d’enseignement régionaux et utilisent les ouvrages de référence conçus pour les programmes en question et que chaque élève reçoit un minimum d’instructions et d’éducation conformément au programme.
Les notes reçues en classe ou le rang indiquent l’assiduité et la discipline des élèves dans leurs travaux scolaires. Les résultats sont évalués comme suit : très bien, bien, passable et mauvais.
Si le relevé trimestriel du 31 mars 1947 ne présente aucun résultat ou note, nous pouvons y voir que les élèves du pensionnat autochtone de Kamloops étaient en première année du primaire (1) jusqu’en huitième année (8), soit l’équivalent de la deuxième année du secondaire.

8e et 9e colonnes – Métier ou autre industrie et nombre d’heures passées à apprendre le métier
Les pensionnats mettent en œuvre un système non officiel de demi-journées jusque dans les années 1950, un système selon lequel les élèves passent une demi-journée en classe à apprendre des leçons et l’autre demi-journée à apprendre un métier. Ce système prend fin en 1953 avec l’amendement de la Loi sur les Indiens.
Le travail est souvent établi en fonction du sexe de l’enfant; les filles apprennent les « sciences ménagères », comme la cuisine, le nettoyage, la lessive et les corvées de gestion d’un ménage, alors que les garçons acquièrent des compétences agricoles comme l’agriculture et l’élevage du bétail, mais aussi la cordonnerie, la confection sur mesure de vêtements, la charpenterie et la réparation de petites pièces d’équipement.
Le trimestre qui nous intéresse compte 90 jours, du 1er janvier au 31 mars 1947. Les garçons qui ont travaillé 360 heures pendant le trimestre ont travaillé approximativement 4 heures par jour. Les filles qui ont travaillé 270 heures dans le trimestre ont, quant à elles, travaillé 3 heures par jour et celles qui ont travaillé 90 heures ont donc travaillé une heure par jour sur leurs corvées.
Exemple:
Métiers des filles/Métier des garçons


10e et 11e colonnes – Date d’arrivée au pensionnat et présence
La première colonne de cette section consigne la date d’arrivée de l’élève au pensionnat autochtone. Les colonnes qui figurent sous Présence (Attendance) servent à consigner le nombre de jours du trimestre que les élèves ont habité au pensionnat et le nombre de jours passés en classe.
Il arrive que les élèves retournent chez eux pendant les vacances d’été et d’hiver, tout comme il arrive que les élèves restent au pensionnat jusqu’à ce qu’il le quitte définitivement. Si les élèves ne reviennent pas au pensionnat à la date prévue, ils perdent alors le privilège de rentrer chez eux dans les vacances.
Exemple:
Dans le relevé trimestriel du 31 mars 1947, les élèves ont habité 90 jours au pensionnat et ont passé 62 jours en classe. Dans le relevé trimestriel du 30 septembre 1947, on remarque que les classes n’ont pas eu lieu pendant l’été, en juillet et en août, et qu’elles n’ont repris que le 1er septembre. Lorsque le personnel a rempli le relevé trimestriel de septembre, les élèves avaient alors habité au pensionnat pendant 92 jours, mais passé seulement 17 jours en classe.
Relevé de mars 1947/Relevé de septembre 1947


12e colonne –Notes sur le progrès et motivations d’absence
Voilà la dernière colonne du relevé trimestriel; elle sert à indiquer des notes sur le progrès des élèves, les motivations d’absence, la date des absences et si les absences avaient été autorisées ou non.
Cette colonne nous permet de comprendre si un élève est arrivé au pensionnat en retard, a fugué, est tombé malade ou a été envoyé ailleurs pour recevoir des soins ou s’il est décédé. Les informations consignées dans cette colonne permettent également de voir si un élève habite au pensionnat et va à l’école ailleurs, comme un externat ou une école publique. Ces informations indiquent également quels types de maladie les élèves ont eu au pensionnat et si un élève a été transféré dans un établissement de soins de santé pour être traité pour la tuberculose ou pour une blessure.
Exemple:
Florence Simon, numéro d’élève 0711, a 14 ans et elle vient de Deadman’s Creek selon le relevé trimestriel du 30 septembre 1947. Elle est en sixième année et est arrivée au pensionnat le 1er septembre 1939. Elle a habité au pensionnat pendant 68 jours, mais a quitté et est revenue en retard.
Retard

Exemple:
Lawrence Marshall, numéro d’élève 613, a 14 ans et vient d’Adam’s Lake selon le relevé trimestriel du 30 septembre 1947. Il est en sixième année et est arrivé au pensionnat le 23 janvier 1939. Il a habité au pensionnat pendant 62 jours pendant les mois de juillet et d’août, mais il a quitté le pensionnat le 1er septembre 1947 et son absence n’est pas autorisée.
Fugue | Absence non autorisée

Exemple:
Paddy Sterling, numéro d’élève 612, a 16 ans et elle vient de L. Nicola selon le relevé trimestriel du 30 septembre 1947. Il fréquentait l’école secondaire et est admis au pensionnat le 28 novembre 1938. Il habite au pensionnat pendant 62 jours pendant les mois de juillet et d’août et quitte définitivement le pensionnat le 1er septembre 1947.
Un « D » inscrit à la main à côté du numéro d’un élève signifie « Départ définitif » (Discharged) ou Mort (Death).
Départ définitif (Discharged)

Les notes indiquant qu’un élève a été envoyé à un hôpital indien ou dans un sanatorium servent à comprendre quelles sortes de soins ont été prodigués aux élèves et non pas à étudier la prévalence des maladies dans les pensionnats autochtones. Il est possible que les élèves soient asymptomatiques, ce qui signifie qu’ils ne présentent aucun symptôme d’une maladie, telle la tuberculose, même s’ils en sont porteurs.
Exemple:
Walter Thomas, numéro d’élève 784, a 11 ans lorsqu’il est envoyé à l’hôpital Sardis pour y recevoir des soins. Walter vient de Kamloops et habite au pensionnat autochtone de Kamloops depuis septembre 1944.
L’hôpital Sardis est également connu sous le nom d’hôpital indien de Coqualeetza, qui est en fait le pensionnat autochtone Coqualeetza qui a fermé ses portes en 1940. L’hôpital Sardis a pour mission de soigner les patients autochtones.

Exemple:
Gertrude James, numéro d’élève 0836, a 12 ans lorsqu’elle est transférée à l’hôpital Sardis parce qu’elle est atteinte de tuberculose. Malgré les soins reçus, elle meurt des suites de la maladie. Elle provenait de la communauté de Bridge River et avait été envoyée au pensionnat autochtone de Kamloops en septembre 1946.
