Des préventoriums dans les pensionnats autochtones
Par Kaila Johnston

Kaila Johnston
Auteure collaboratrice
En tant que superviseur de l’éducation, de la sensibilisation et de la programmation publique au Centre national pour la vérité et la réconciliation, Kaila supervise les questions liées au soutien des éducateurs, au développement des ressources, à la mise en place d’initiatives de sensibilisation, ainsi qu’à l’engagement public sur les pensionnats et leur héritage. Avant de joindre la CNVR, Kaila a travaillé avec la CVR en tant que responsable de la collecte des déclarations et coordinatrice pour soutenir les activités de collecte des déclarations. Elle est titulaire d’un B.A. (avec mention) en justice pénale de l’Université de Winnipeg et d’une M.Sc. en crimes internationaux et criminologie de la Vrije Universiteit d’Amsterdam. Kaila est crie et est née et a grandi à Winnipeg, au Manitoba.
Avez-vous déjà entendu parler d’un préventorium? S’il vous fait penser à sanatorium, vous êtes sur la bonne piste. Des différences importantes les distinguent; les voici…
Les sanatoriums du Canada sont des établissements administrés par les provinces conçus pour soigner les personnes atteintes de tuberculose. Ces hôpitaux n’ont pas été construits dans le but de soigner des autochtones, or lorsque les soins et les services offerts aux habitants de race blanche évoluent et que nous voyons la création des soins en clinique externe, des patients autochtones sont admis pour optimiser la capacité de l’hôpital et sont soumis à des procédures invasives.
Le personnel de ces établissements croit que les patients autochtones ne vont pas suivre les instructions fournies ou qu’il n’y pas d’établissements de soins de santé ou de personnel médical dans les communautés pour superviser l’administration adéquate des soins. Par conséquent, le personnel des sanatoriums garde les patients autochtones dans leurs établissements afin de s’assurer qu’ils complètent le traitement prescrit, même si les patients non-autochtones ne sont pas tenus de respecter les mêmes directives.
Donc, qu’est-ce qu’un préventorium? Je vous donne un indice : une partie du mot, « préven- », dicte la mission de l’établissement, soit la prévention!
Les préventoriums sont des institutions conçues pour les enfants d’âge scolaire qui sont légèrement atteints de la tuberculose ou qui sont pré-tuberculeux. Ces enfants sont parfois décrits comme faibles, pâles, mal nourris ou frêles et à risque d’avoir contracté une infection. Ces institutions sont en mesure d’offrir de l’éducation, et sont annexés à un sanatorium ou un pensionnat autochtone. On a construit des préventoriums à proximité de pensionnats autochtones pour y isoler les enfants malades; ces bâtiments servent avant tout à prévenir la contagion et la propagation de la tuberculose.[1]

Dans une lettre qu’il rédige en 1938, le docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes, décrit deux types d’enfants qui souffrent de tuberculose. Le premier type comprend les enfants qui souffrent d’une forme active de la maladie et qui doivent être soignés dans des sanatoriums. Le second type comprend les enfants qui sont « légèrement atteints et qui ont des chances de se rétablir » grâce à un régime de soins spécial et rigoureux.[2] Ces élèves peuvent rester au pensionnat s’ils reçoivent et suivent ce régime de soins spécial.
Les églises qui exploitent les pensionnats autochtones préfèrent les préventoriums aux sanatoriums puisque ces institutions leur permettent de gérer les inscriptions au pensionnat et d’exercer du contrôle sur les élèves. Le personnel ecclésiastique se réserve aussi le droit de contrôler qui est admis au préventorium et de rejeter des patients.
Le premier préventorium ouvre en annexe de l’Institut Coqualeetza à Chilliwack en 1935 lorsqu’un sondage révèle que 164 des 214 élèves, soit 77 % du corps étudiant, est atteint de tuberculose. Aménagé dans une ferme reconditionnée, le préventorium de Coqualeetza est géré par une infirmière et accueille 15 élèves.[3]
Des préventoriums sont également mis sur pied à Alert Bay à Mission, toujours en Colombie-Britannique. Le préventorium d’Alert Bay est aménagé dans l’ancienne maison du directeur, que les élèves ont rénovée dans le cadre de leur formation sur les travaux manuels. Un autre préventorium, celui du pensionnat Fort Alexander au Manitoba, ouvre ses portes en 1938 pour fermer à peine un an plus tard. Les préventoriums des pensionnats autochtones ne sont jamais en fonction longtemps et nous pouvons comprendre pourquoi en nous penchant sur le cas du pensionnat autochtone de Fort Alexander.

Le préventorium de Fort Alexander est annexé au pensionnat autochtone catholique de Fort Alexander. Le docteur E.D.R. Bissett a déclaré « qu’aucun enfant non catholique n’y sera admis, à l’exception de la demande expresse du ministère. »[4] Dans sa lettre, le docteur Bissett exprime qu’il est navré que cette politique soit en vigueur, puisqu’il est convaincu que de nombreux enfants de la réserve indienne bénéficieraient de soins que le préventorium est en mesure de leur prodiguer.
Les enfants qui fréquentent les pensionnats autochtones catholiques du Manitoba et de l’Ontario sont admis au préventorium avec la permission de leurs parents; dans l’éventualité où il y a résistance ou objection, le directeur du pensionnat doit contacter le ministère des Affaires indiennes pour demander conseil et directives.[5]

Les enfants qui ne sont que légèrement affectés par la tuberculose ou considérés comme à risque d’une infection ne sont pas admissibles aux soins prodigués par un sanatorium. C’est plutôt au préventorium qu’ils reçoivent « plus de nourriture, des soins quotidiens et des heures de classe réduites afin qu’après environ un an de ce régime, ils puissent reprendre le cours normal de leur vie scolaire à leur pensionnat. »[6]
Dans un rapport de 1941, le docteur P.E. Moore recommande que les enfants placés sous observation ne devraient pas participer à des activités physiques et des travaux manuels et que tout exercice ou corvée exigeante soit proscrite, qu’ils devraient pouvoir bénéficier de périodes de repos et être tenus aussi loin que possible des autres élèves.[7]
En janvier 1938, le préventorium de Fort Alexander, qui dispose de 30 lits, accueille 28 enfants, dont 13 filles et 15 garçons âgés de 6 à 13 ans. Le personnel prend leur température deux fois par jour pour la noter dans leur dossier médical. Chaque enfant doit être pesé une fois par semaine et leur poids consigné dans leur dossier. Ces notes sont cruciales et permettent de suivre l’amélioration ou le déclin de l’état de santé des enfants.[8]

Dans une de ses lettres, le docteur E.D.R. Bissett fournit les principes directeurs suivants pour le préventorium :[9]
Aucun enfant atteint de tuberculose des poumons, qui a une ou des lésions tuberculeuses avec des pertes ou qui en raison de perte quelconque soit considéré comme une menace pour ses camarades, ne doit être admis.
Voici un exemple de routine quotidienne :
7 h – Les enfants se lèvent, se lavent, s’habillent et font leur lit. On prend leur température et on l’inscrit dans leur dossier. On les examine pour relever toute trace d’infection grave. Dans l’éventualité où on relève des signes de maladie, on déplace l’enfant dans le pavillon d’isolement et on en informe le médecin traitant.
7 h 50 – déjeuner
8 h 25 – brossage des dents et toilette matinale
8 h 30 – classes
10 h 30 – fin des classes et jeux libres à l’extérieur jusqu’à 11 h 45
12 h – repas du midi
12 h 30 – période de repos d’une heure
13 h 30 – classes pendant une heure
14 h 30 – goûter de l’après-midi, jeux libres à l’extérieur jusqu’à 16 h 30
17 h – repas du soir
17 h 45 – bains douches, prise de température du soir (qu’il faut noter dans le dossier)
19 h – heure du coucher
Chaque enfant doit prendre une cuillerée à table d’huile de foie de morue deux fois par jour et une cuillerée à thé de tonique de fer une fois par jour et ce, tous les jours. De plus, il est recommandé pour tous les enfants de prendre du soleil pendant 15 à 20 minutes autour de midi.
Avez-vous déjà pris de l’huile de foie de morue? Si ce n’est pas le cas, demandez à un parent, un tuteur ou un grand-parent s’ils ont déjà dû en prendre et ce qu’ils pensent du goût!
Je vous suggère d’aménager une salle de classe en plein air pendant les mois où le temps est doux. En plus des travaux quotidiens en classe, j’aimerais que vous prévoyiez des cours de vannerie, de couture, de fabrication de filets de pêche, de réparations de chaussures, ainsi que des ateliers de modelage et de peinture pour ceux et celles qui font preuve d’aptitudes spéciales pour ce type d’activités. Des exposés sur la nature et l’histoire des oiseaux, des fleurs et des insectes endémiques, en portant une attention particulière aux insectes nuisibles pour les jardins et les potagers, seraient non seulement instructifs mais aussi intéressants pour les élèves.
Voici un exemple du menu typique qui est servi aux enfants hébergés dans le préventorium. Ce menu est plus copieux que les repas servis aux enfants qui ne bénéficient pas de soins spéciaux.[10]
Est-ce que ce menu ressemble aux plats que vous mangez lorsque vous ne vous sentez pas bien?
Lundi | ||
---|---|---|
Déjeuner | Dîner | Souper |
Pommes Céréales Pain brun et beurre Lait | Œuf poché Carottes Patates Blanc-manger Lait | Tomates Pain brun et beurre Salade de fruits |
En décembre 1938, le docteur J.D. Adamson et l’inspecteur A.G. Hamilton rendent visite au préventorium de Fort Alexander. Ils passent en revue les dossiers et les rapports de rayons X des patients, alors au nombre de 27 et ils remarquent une amélioration au niveau des lésions, des signes de guérison. Aucun patient n’a besoin d’aller au sanatorium.
Même si leur état s’est amélioré, le risque de contagion préoccupe toujours grandement puisque tout nouveau cas de tuberculose envoyé au préventorium peut infecter les enfants en voie de guérison et potentiellement la totalité des autres élèves du pensionnat. Les enfants hébergés au préventorium continuent à manger, à jouer et à aller en classe avec les autres enfants du pensionnat. Il est donc préférable de séparer les enfants du préventorium et d’aménager une salle à manger séparée, des classes séparées et des terrains de jeux distincts pour éviter que les élèves ne soient en contact.[11]
Le 3 mars 1939, le docteur P.E. Moore envoie une note de service au docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes, pour lui faire part de la récente inspection qu’il a effectuée avec l’inspecteur Hamilton et le docteur Bissett.[12] Il informe le docteur McGill qu’il n’est pas convaincu que le préventorium de Fort Alexander réponde aux exigences et le considère comme dangereux en raison des possibilités de propagation de la tuberculose auprès des autres élèves.
Au pensionnat autochtone de Lebret en Saskatchewan, tout comme à celui de Fort Alexander, on permet aux cas d’infection légère de continuer à fréquenter les classes avec les autres élèves. Or, même si les enfants légèrement atteints sont isolés des autres et reçoivent des soins spéciaux, 25 nouveaux cas de tuberculose sont diagnostiqués avant la fin de l’année. À partir du moment où tous les cas de tuberculose sont isolés à Lebret, aucun nouveau cas n’est signalé en deux ans.
En fonction du cas du pensionnat de Lebret et de ses observations lors de la visite d’inspection, le docteur P.E. Moore recommande la fermeture du préventorium de Fort Alexander.
En fin de compte, le docteur H.W. McGill rédige une note de service au sous-ministre des Mines et des Ressources, dont le mandat englobe le ministère des Affaires indiennes. Dans sa note, il déclare que monsieur Hoey, les docteurs Stone, Moore et lui-même croient que le préventorium de Fort Alexander ne répond pas aux besoins pour lesquels il a été construit et qu’ils sont de l’avis que le préventorium doit être abandonné.
Le 21 mars 1939, le premier adjoint exécutif du sous-ministre répond à la note de service en indiquant que le ministre accepte les points de vue exprimés et qu’il faut mettre en œuvre un plan pour fermer le préventorium à la fin de l’année scolaire.[13]
Le 15 mai 1939, le docteur J.D. Adamson émet ses recommandations concernant les enfants qui habitent au pensionnat autochtone et au préventorium de Fort Alexander : 5 enfants devront rester au préventorium, 2 enfants du pensionnat devront y être admis, 2 devraient être envoyés dans un sanatorium. Les 20 autres patients peuvent quitter le préventorium et revenir au pensionnat ou renvoyés chez eux à la fin de l’année scolaire.[14]
Voilà où l’histoire du préventorium de Fort Alexander se termine, selon les registres du CNVR. Les préventoriums d’autres pensionnats autochtones resteront par contre en fonction bien après cette date. En 1941, 4 préventoriums de la Colombie-Britannique, à Alert Bay, Mission, Cranbrook et Coqualeetza, continuent d’accueillir des patients sous la direction d’un médecin traitant et d’infirmières travaillant à temps plein.[15] Ces institutions admettent un nombre réduit de patients et tout patient qui présente « plus que les lésions minimes » est hospitalisé. L’objectif est de fournir des soins localisés plutôt que de tenter de répondre aux besoins d’une province ou d’une région entière.[16]
La propagation de la tuberculose des enfants malades aux élèves sains demeure un problème dans les pensionnats autochtones; c’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle ces institutions ont été fermées définitivement.[17]
[1] Hackett, Paul. « That Will Not Be Done Again »: The Fort Alexander Preventorium and the Fight against Tuberculosis in Indian Residential Schools (Au sujet du préventorium de Fort Alexander et de la lutte contre la tuberculose dans les pensionnats autochtones), 1937 à 39 (texte en anglais seulement). Article paru dans le Native Studies Review, 2012, volume 21, numéro 1, pages 1 à 41.
[2] 8 février 1938, lettre du docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes, au révérend J.O. Plourde (texte en anglais seulement), pages 4 à 6. R00007210. Bibliothèque et Archives Canada.
[3] Pensionnats du Canada : L’histoire, partie 1, des origines à 1939. pages 531-532. Commission de vérité et réconciliation du Canada.
[4] 8 février 1938, lettre du docteur E.D.R. Bissett au docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes (texte en anglais seulement), page 18. R00007212. Bibliothèque et Archives Canada.
[5] 22 décembre 1937, lettre du docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes, au directeur du pensionnat autochtones de Pine Creek (texte en anglais seulement), page 6. R00007212. Bibliothèque et Archives Canada.
[6] 22 décembre 1937, lettre du docteur Dr. H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes, au docteur E.D.R. Bissett (texte en anglais seulement), page 9. R00007212. Bibliothèque et Archives Canada.
[7] Moore, P.E. « Tuberculosis Control in the Indian Population of Canada » (Contrôle de la tuberculose dans les populations indiennes du Canada) (texte en anglais seulement). Article publié dans le Canadian Public Health Journal, volume 32, numéro 1 (janvier 1941), pages 13 à 17.
[8] Janvier 1938, relevé trimestriel du préventorium de Fort Alexander, pages 27 et 29 (texte en anglais seulement). R00007212. Bibliothèque et Archives Canada.
[9] 22 décembre 1937, lettre du docteur E.D.R. Bissett au révérend J. Brachet, directeur du pensionnat de Fort Alexander (texte en anglais seulement), pages 19 à 21. R00007212. Bibliothèque et Archives Canada.
[10] 22 décembre 1937, lettre du docteur E.D.R. Bissett au révérend J. Brachet, directeur du pensionnat de Fort Alexander (texte en anglais seulement), page 22. R00007212. Bibliothèque et Archives Canada.
[11] 5 janvier 1939, lettre du docteur J.D. Adamson au docteur E.L. Stone, directeur des services de santé (texte en anglais seulement), pages 18 et 19. R00007215. Bibliothèque et Archives Canada.
[12] 3 mars 1939, note de service du docteur P.E. Moore au docteur H.W. McGill (texte en anglais seulement), pages 25 et 26. R00007215. Bibliothèque et Archives Canada.
[13] 21 mars 1939, note de service de C.W. Jackson, premier adjoint exécutif du sous-ministre au docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes (texte en anglais seulement), page 1. R00007216. Bibliothèque et Archives Canada.
[14] 15 mai 1939, lettre du docteur J.D. Adamson au docteur H.W. McGill, directeur des Affaires indiennes (texte en anglais seulement), pages 6 et 7. R00007216. Bibliothèque et Archives Canada.
[15] Hackett, Paul. « That Will Not Be Done Again »: The Fort Alexander Preventorium and the Fight against Tuberculosis in Indian Residential Schools (Au sujet du préventorium de Fort Alexander et de la lutte contre la tuberculose dans les pensionnats autochtones), 1937 à 39 (texte en anglais seulement). Article paru dans le Native Studies Review, 2012, volume 21, numéro 1, pages 1 à 41.
[16] Moore, P.E. « Tuberculosis Control in the Indian Population of Canada » (Contrôle de la tuberculose dans les populations indiennes du Canada) (texte en anglais seulement). Article publié dans le Canadian Public Health Journal, volume 32, numéro 1 (janvier 1941), pages 13 à 17.
[17] Pensionnats du Canada : L’histoire, partie 1, des origines à 1939. pages 487 et 488. Commission de vérité et réconciliation du Canada.